Il n’y a pas que « Spider-Man » et « Lara Croft » dans la vie. En marge des blockbusters, la scène vidéoludique indépendante a elle aussi réussi sa rentrée. Au menu de cette sélection pas du tout exhaustive : un simulateur burlesque de trous dans le sol, une virée fascinante sur une planète rappelant celle d’“Avatar”, une furieuse aventure ninja au style rétro, un jeu de stratégie pour ceux qui trouvent les jeux de stratégie indigestes et la première création d’un prodige britannique de 20 ans.
Planet Alpha
Sur PS4, Xbox One, Switch et PC (Planet Alpha ApS / Team 17, environ 20€)
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Disons que c’est Inside (le sidérant jeu de fuite nocturne des auteurs danois de Limbo) sur Pandora (la planète luxuriante mais violentée du film Avatar) et n’en parlons plus. Ou plutôt si car le jeu (conçu au Danemark, tiens, lui aussi) est l’un des plus marquants du moment. L’un des plus beaux plastiquement, des plus prenants, des plus envoûtants. On pourrait crier à l’escroquerie, accuser les développeurs de masquer par leur travail sur le décor et la profondeur de champ, sur ce qui s’affiche devant notre personnage ou à l’arrière-plan, le fait que Planet Alpha est un jeu d’action mâtiné d’aventure plutôt linéaire et se déroulant sur un seul plan comme ses ancêtres Flashback et Another World. Sauf que non : la vérité de l’expérience est justement dans le rapport entre le proche et le lointain, l’immense et le minuscule, entre ce que l’on ne peut que voir (et qui, alternativement, nous accueille, nous écrase, nous terrifie) et ce que l’on peut vraiment toucher. La distance et, dans une certaine mesure, l’impuissance en font partie.
Sur le monde de Planet Alpha, le joueur n’aurait d’ailleurs que peu de prises s’il ne disposait pas du pouvoir de faire avancer et reculer le temps. Alors, la nuit tombe, une fleur géante éclôt, un champignon tout aussi gigantesque apparaît et c’est en exploitant ces transformations des lieux que l’on parviendra, en rusant plutôt qu’en combattant, à éviter les dangers (des robots belliqueux, un scarabée surdimensionné…) pour poursuivre notre route, entre forêts et bases extra-terrestres, jusqu’au bout des huit chapitres du jeu qui, c’est à noter, est beaucoup plus longs que la plupart des essais indés comparables de ces dernières années. Tant mieux : aussi dangereuse soit-elle, cette planète est de celles que l’on ne quitte qu’avec regret.
Donut County
Sur PS4, iOS, Mac et PC (Ben Esposito / Annapurna Interactive, de 5 à 12€ environ)
Vous êtes un trou. Un trou dans le sol, qui n’aspire qu’à grandir pour engloutir toujours de choses : objets, véhicules, bâtiments, êtres vivants… Tel est le concept de Donut County, l’une des perles les plus éclatantes de la rentrée indé, non pas un jeu AAA, mais plutôt CCC : comique, conceptuel et (follement) coloré. Sur cette territoire, le grand ancien et modèle assumé de Ben Esposito, game designer américain ayant œuvré sur The Unfinished Swan et What Remains of Edith Finch, s’appelle Katamari Damacy. Comme dans le chef-d’œuvre de Keita Takahashi (dont le retour, avec Wattam, semble relativement imminent), le point de départ pourrait être celui d’un jeu d’enfant – d’un jeu qu’un enfant très jeune inventerait lui-même. Le but serait, comme au chamboule-tout, de faire tomber des objets, de les mélanger ou, au contraire, de les classer par taille (pour faire d’abord entrer les premiers dans notre trou mobile, puis de plus grands, quand il s’élargit). De les empiler ou, à l’inverse, de les faire disparaître – ici, les désirs d’ordre et de désordre cohabitent harmonieusement.
Le premier plaisir, donc, est celui de la manipulation, voire de l’expérimentation : on tente des choses pour voir comment le monde de Donut County, son système d’interactions “physiques”, réagit. Ben Esposito, dont le jeu a été plagié (mais l’exécution vraiment pas égalée) avant même sa sortie, ne s’arrête cependant pas là et introduit sans relâche de nouvelles idées dans ce joyeux bac à sable, lesquelles sont autant de problèmes à résoudre. Que faire quand notre trou est bloqué par une carotte trop volumineuse ? Et quel usage peut-on faire d’une flaque d’eau, d’une fusée de feu d’artifice ou d’une grenouille que l’on vient d’“avaler” ? Porté par un récit idéalement absurde dans lequel les raton-laveurs s’envoient des SMS en rêvant de drones, Donut County a aussi pour lui de se prêter sans résister à bien des lectures (politiques, économiques, psychanalytiques…) selon l’état d’esprit et l’inspiration du joueur. On l’aime d’amour.
Bad North
Sur PS4, Xbox One et Switch (Plausible Concept / Raw Fury, environ 15€). A paraître sur PC, iOS et Android.
Enfin un jeu de stratégie pour les nuls en jeux de stratégie. Alors que les ténors du genre, de l’ancêtre Civilization (dont l’épisode VI aura prochainement droit à une version Switch) au brillant Frenchie Endless Space 2, gagnent constamment en complexité jusqu’à donner parfois l’impression d’empiler les systèmes de jeu, les Suédois de Plausible Concept ont pris le partie d’en faire moins plutôt que plus. Le résultat est une merveille de minimalisme inspiré, de dépouillement ludique comme graphique, un jeu jamais intimidant et pourtant toujours stimulant. Un jeu d’une extrême élégance.
Ça commence toujours pareil : une île, représentée en vue isométrique à la manière de Monument Valley, nous est offerte dont il va falloir défendre les quelques habitations contre les Vikings qui, en bonne logique, arrivent par la mer. Alors on positionne nos combattants, jonglant entre l’attaque et la défense, entre les archers et l’infanterie, entre la tentation d’envoyer toutes nos troupes face au même adversaire ou de mieux les répartir.
Et tout ça, en “temps réel” (selon l’expression consacrée) ou presque : avec juste un léger ralentissement de l’action au moment où l’on donne nos instructions. Parfois, en particulier sur les premières îles et au niveau “normal” plutôt que “difficile”, on survole les débats et le général d’armée se change en spectateur fasciné des courageuses petites fourmis qui luttent sur l’île. Parfois aussi, on tente fiévreusement de sauver ce qui peut l’être après une succession d’erreurs tactiques aux premiers assauts. Et si l’on perd, tant pis, on recommencera : pas bien longues, les parties sont toujours (un peu) différentes dans ce jeu qui, plutôt que pour une campagne scénarisée, opte pour l’éternel reprise du Rogue-like. Si l’on s’en sort mieux la fois suivante, ce ne sera pas parce que nos soldats ont gagné en “expérience” mais parce que nous avons nous-même progressé, et Bad North donne furieusement envie d’y arriver. En ce qui nous concerne, c’est une performance.
The Messenger
Sur Switch et PC (Sabotage Studio / Devolver Digital, environ 20€). A paraître sur PS4 et Xbox One.
On connait le goût de Devolver Digital (Hotline Miami, Minit, Crossing Souls, Broforce…) pour le style rétro et The Messenger, conçu par les Québécois de Sabotage Studio, est une nouvelle preuve que l’éditeur américain n’a pas perdu son flair en la matière. Hommage non dissimulé aux jeux d’action des années 80 et d’abord à Ninja Gaiden, The Messenger est du genre sévère mais juste : notre héros bondissant (qui, innovation maison pas si simple à maîtriser, peut enchaîner deux sauts s’il frappe un objet en l’air après le premier) répond parfaitement à nos injonctions et si l’on échoue piteusement, c’est toujours parce qu’on n’a pas été assez précis et réactif (et peut-être aussi parce que ses auteurs sont un peu méchants). C’est donc avec délice que l’on souffre tout au long de cette aventure qui se métamorphosera en cours de route en abandonnant sa progression linéaire au profit d’une structure plus ouverte façon “Metroidvania” et, pour l’occasion, passera d’une allure de jeu 8-bit à 16-bit.
Au départ, jouer à The Messenger, ce n’est pourtant pas embrasser tout un monde, pas chercher à le conquérir, à le dominer mais, plus simplement, essayer d’arriver entier au checkpoint suivant (qui, maudits développeurs, est toujours un tout petit plus loin qu’on ne le voudrait). Ce qui compte, c’est cet écran, ce passage délicat, ce monstre dont on finira bien par assimiler le rythme des mouvements. Dans ces niveaux dont le design délibérément daté et limité ne restreint en rien le pouvoir d’évocation – ce serait même plutôt le contraire –, l’instant est roi. Comme dans Celeste ou Shovel Knight pour rester dans le registre néo-rétro, il s’agit de l’habiter pleinement, de devenir cet enchaînement de gestes, cette trajectoire, ce moment. C’est étrangement rassérénant.
The Spectrum Retreat
Sur PS4, Xbox One, Switch et PC (Dan Smith Studios / Ripstone Games, environ 13€)
Attention, phénomène. On parle ici peut-être moins de The Spectrum Retreat que de son jeune auteur britannique Dan Smith, étudiant aujourd’hui âgé de 20 ans et qui en avait à peine 15 lorsqu’il en a entamé le développement. D’autant que, loin du brouillon juvénile et à quelques petits détails près, cette première œuvre impressionne par son assurance et sa maîtrise.
The Spectrum Retreat est un jeu double. Côté pile, il y a le walking simulator en vue subjective : un matin, on se réveille dans un étrange hôtel aux employés dépourvus de visage dont, guidé par une mystérieuse voix off, on va explorer les couloirs, quelque part entre The Stanley Parable, un Firewatch d’intérieur et un Virginia bavard. Côté face, lorsque l’on parvient à pénétrer dans une chambre bien précise de chaque étage, on passe au jeu de réflexion qui, là, évoquerait plutôt un mélange de Portal et de The Witness. Il y a des barrières transparentes, des ponts et des cubes disséminés dans chaque niveau dont il faut changer la couleur pour s’ouvrir la voie et ce qui était simple et direct ne tarde pas à se complexifier jusqu’à faire un petit peu mal au cerveau. Pendant ce temps, un sentiment étrange nous gagne alors que les deux “mondes” (l’abstrait et le concret) semblent se contaminer mutuellement. Où et qui sommes-nous ? Quel est le sens de tout ça et pourquoi donc se sent-on soudain mélancolique ? Fraîchement adapté sur la Switch un mois et demi après son arrivée sur les autres machines à jouer, The Spectrum Retreat mérite toute notre attention. Comme, pour l’avenir, Dan Smith – sans hésitation.
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