Aires d’autoroute, sous-bois, bords de lacs… Autant de lieux pour les adeptes du cruising. La photographe Amélie Landry a capté ces lieux de drague entre hommes situés à la périphérie des villes. Quand la photo rencontre la sociologie.
“Dans la forêt je te retrouve à l’heure opportune/Un rendez-vous improvisé sous la lune”, les paroles de La Forêt, le hit de Lescop, sont une définition quasi parfaite du cruising, cette drague de plein air à laquelle s’adonnent des hommes en quête d’un (ou plusieurs) partenaires occasionnels et souvent anonymes, à la périphérie des villes.
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Ce sont ces lieux que la photographe belge Amélie Landry, 37 ans, a voulu capturer/cartographier dans son livre Les Chemins égarés. Des images de plages, de sous-bois, de recoins d’aires d’autoroutes où les hommes se croisent, se frôlent. Et baisent, parfois.
“Il m’a fallu un mois et demi pour apprendre à reconnaître ces lieux”
“Il y a une vraie beauté dans ces lieux. Ce sont souvent des endroits isolés ou abandonnés vraiment magnifiques. Et l’idée que l’on puisse se rencontrer librement en laissant faire le hasard témoigne selon moi d’un tout autre rapport au monde.”
Des films, comme le magnifique L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie (2013), ont déjà abordé la question de la drague en plein air entre hommes. Amélie Landry propose, quant à elle, une galerie de portraits sensibles de cruisers : “Il m’a fallu un mois et demi pour apprendre à reconnaître ces lieux. Je crois que les femmes remarquent moins ce genre d’endroits.” Sur des territoires pensés majoritairement par et pour les hommes, cela n’a rien d’étonnant…
“Finalement, une ou deux personnes acceptaient d’être photographiées et de parler de son intimité”
Au départ, la photographe a eu du mal à justifier sa présence. Et surtout celle, intrusive, de son objectif. “Du coup, je suis d’abord rentrée avec des images de lieux, sans aucun portrait. ça manquait de vie.” Elle s’inscrit donc sur un réseau de rencontres gay pour échanger avec des habitués : “Sur 150 messages envoyés, je récoltais 15 échanges, 10 rendez-vous dont 4 lapins et, finalement, une ou deux personnes acceptaient d’être photographiées et de parler de son intimité.”
Car, en plus des photos de corps gonflés de désir déambulant dans la nature, la jeune artiste a recueilli les histoires de ses modèles. Un travail presque sociologique, qu’elle a laissé le soin à Laurent Gaissad, chercheur en socio-anthropologie de la sexualité, de retranscrire dans ce même ouvrage.
“La sexualité, la forêt, la nuit…”
Pour déverrouiller la parole de ses témoins, saisir pleinement leurs ressentis, échapper aux réponses trop simples, trop littérales, Amélie Landry leur a montré à chacun un texte de Georges Bataille, Je rêvais de toucher la tristesse du monde : “C’est un poème qui décrit parfaitement un lieu de drague. On y retrouve la sexualité, la forêt, la nuit, quelque chose d’un peu inquiétant… Il évoque un labyrinthe avec des références au Minotaure… Le texte donnait une possibilité de raconter des choses de manière moins factuelle.”
Parmi eux, des hommes hétéro qui fréquentent ces lieux “parfois sans rien faire”, dit-elle, “parfois pour y avoir des rapports sexuels avec d’autres hommes”. Comme l’explique Laurent Gaissad dans le livre, “On peut avoir une sexualité entre hommes sans nécessairement être homosexuel.” “Sourires crispés, situation compliquée”, chantait Lescop.
“Certains hommes sont dans des problématiques compliquées vis-à-vis de l’homosexualité”
Souvent contrariés par des municipalités rétrogrades à grand renfort d’éclairage et de mobilier urbain, ces lieux représentent une survivance presque incongrue à l’heure d’internet et des applis de rencontre type Grindr. “Certains hommes sont encore dans des problématiques compliquées vis-à-vis de l’homosexualité. Mais d’autres font aussi consciemment le choix d’un autre mode de rencontre qui ne serait pas cadré par un commerce comme un bar, un sex-club gay ou une application.”
Des lieux de sexe où les identités de classes s’effacent. “On n’a plus de nom, plus de profession, on n’est plus qu’un objet de désir”, raconte Etienne, un cruiser de Charente-Maritime. Pour autant, Amélie Landry estime qu’il ne faudrait pas réduire ces lieux au sexe. “J’ai fait une photo d’un couple qui s’enlace car l’un des témoins a rencontré son compagnon sur un lieu de drague. C’est donc possible d’y faire une belle rencontre.”
Les Chemins égarés. Géographie sociale des lieux de sexualité entre hommes d’Amélie Landry (Le Bec en l’air), 184 p., 38 €
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