Alors que six anciens “baqueux” passent actuellement en conseil de discipline, l’enquête de l’IGPN témoigne de pratiques certes condamnables mais loin du “système organisé” dénoncé lors de leur mise en cause.
Six anciens policiers de la Brigade anti-criminalité sur les sept ayant passé plusieurs semaines en détention provisoire sont convoqués, jusqu’au 18 décembre, en conseil de discipline. Mis en examen en octobre 2012 pour “vol en bande organisée, extorsion en bande organisée, acquisition, détention et transport non autorisé de stupéfiants”, ils risquent la révocation.
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Un premier conseil, tenu en juillet dernier, a déjà sanctionné une première vague de policiers à des peines allant de quinze jours à trois mois de suspension ferme. Plus d’un an après le début de l’affaire de la BAC Nord de Marseille, l’enquête administrative conduite par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) de Marseille, avec le renfort d’enquêteurs venus de Paris, Lyon et Bordeaux, présente des faits bien moins accablants que ceux présentés, au moment du “coup de filet”, organisé en octobre 2012 par la “police des polices”.
A l’époque, Jacques Dallest, alors procureur de la République de Marseille, dénonce un “système organisé de vol, de racket et de trafic de drogue” allant jusqu’à parler de “gangrène”. Dans la foulée, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, décide, sans attendre la fin de l’instruction, de dissoudre l’unité entière et sept fonctionnaires sont placés en détention provisoire pendant dix semaines (octobre à décembre).
Depuis, libérés et autorisés à reprendre du service en uniforme et en dehors des Bouches-du-Rhône, ces policiers attendent toujours la fin de l’information judiciaire qui semble, à ce jour, au point mort. “Depuis un an, aucun policier n’a été auditionné par la juge”, indique l’un des mis en examen. Et pour cause, l’enquête administrative que Les Inrocks ont pu consulter, témoigne de la fragilité des charges. Dans ses conclusions, l’IGPN relève un “manquement aux obligations de probité, de dignité, d’exemplarité et autres manquements professionnels” mais rien qui prouve l’enrichissement personnel et le racket de dealers.Pour l’essentiel, des fautes individuelles et des manquements à la procédure. A savoir, surtout des destructions de petites quantités de cannabis saisies sur des acheteurs sans rédiger de procédure et la récupération de barrettes de résine de cannabis ou de pochons d’herbe appartenant à des dealers et utilisés pour rémunérer des informateurs. Ce que les policiers qualifient alors de simples “récupérations ”, l’IGPN assimile cela à des “vols ”.
Les témoignages
A l’origine de cette affaire, on trouve un ancien policier de la BAC Nord. Sébastien Bennardo. Ecarté du service fin 2009 notamment pour mauvaise entente avec ses collègues, il lance ses premières accusations en avril 2010, lors d’une audition devant le cabinet d’audit et de discipline de la direction de la sécurité publique qui transmet un rapport au directeur de la sécurité publique Pascal Lalle. Ce dernier décide de ne pas donner suite. La même année, un autre policier, sanctionné à plusieurs reprises, dénonce aussi les agissements de certains policiers, auprès du commissaire Anthony de Freitas, adjoint au chef de la sûreté départementale. Là encore, Pascal Lalle ne donne pas de suite.
Il faut attendre octobre 2011 et la nomination d’Alain Gardère au poste de préfet délégué à la sécurité à Marseille pour que ces accusations trouvent un écho. Selon un enquêteur, dans un premier temps, Sébastien Bennardo “dénonce des agissements sans donner de détails exploitables”. Puis, il finit par raconter qu’en “novembre ou décembre 2008”, lors d’une “opération stup” dans une cité des quartiers Nord, à laquelle il participe, un dealer s’est plaint d’avoir été soulagé de 500 euros par des fonctionnaires de la BAC. Devant l’IGPN, Sébastien Bennardo revient sur ses accusations avant d’expliquer que c’est Albert Plaza, chef de la BAC Nord jusqu’en mars 2010, qui lui a demandé de le faire. Interrogé sur ce point, le capitaine dément.
Au cours des auditions, Sébastien Bennardo lance d’autres accusations. Il explique que certains de ses informateurs lui disent que des policiers pratiquent des perquisitions illégales dans le secteur du Bon Pasteur, un lieu de vente à la sauvette. Puis, qu’une amie de son épouse qui “préfère rester anonyme” lui a rapporté qu’une femme de policier se rendait au travail “avec des sacs de grande marque”. Il accuse ce même policier d’avoir acheté un 4×4 Nissan après avoir dérobé 25 000 euros et du cannabis dans l’appartement d’une cité. Selon une source proche de l’enquête, après vérification, l’achat du véhicule s’est fait à crédit.
Les sonorisations
C’est en partant de ces témoignages que la justice ordonne, après l’ouverture d’une information judiciaire en février 2012, la mise sur écoute de six véhicules de la BAC. Dans le dossier de l’IGPN, seules les retranscriptions écrites sont disponibles. Alors que certains enquêteurs notent que “les conditions d’écoute sont rendues difficiles en raison du trafic radio, du bruit moteur et de bruits parasites”, ces sonorisations sont présentées comme des “preuves techniques” et deviennent le principal élément de l’enquête. Des bribes de conversation, sorties de leur contexte, parfois incompréhensibles et de mauvaise qualité. Si mauvaise que Sebastien Bennardo explique, dans son livre, qu’il a passé des heures, avec l’IGPN, à les “décoder”. Ainsi “tiens sens” devient “cinq cent” et une phrase qui apparaît dans le rapport de l’IGPN, “le mieux, c’est d’être seul”, disparaît lorsque le passage est soumis à la contre-expertise du laboratoire scientifique.
Alors que les enquêteurs multiplient les suppositions (usage fréquent du conditionnel et autres “peut-être”, “semble”, “probablement”), l’IGPN va jusqu’à ajouter des appréciations personnelles telles que untel « a une élocution faisant penser à une ivresse alcoolique ou cannabique”. Lorsque dans certains passages, les mots employés paraissent compromettants, les policiers parlent souvent de propos “ à la marseillaise”, de “galéjade” et de “plaisanteries”. “Il faut comprendre que quand on passe huit euros dans une voiture, on parle de tout et de n’importe quoi et des fois on part dans des délires”, explique l’un des mis en examen. Mais pour l’IGPN, ces conversations “n’ont pu, au travers de leur teneur répétitive, qu’accréditer – voire encourager – des pratiques en marge des règles administratives ou déontologiques.”
Les perquisitions
Le 2 octobre 2012, jour de l’arrestation des policiers de la BAC Nord, plusieurs perquisitions ont également lieu au domicile des fonctionnaires et dans les vestiaires de la division nord. L’IGPN découvre notamment quelques pochons d’herbe, une sacoche avec dix-sept barrettes de cannabis et une pochette avec quelques bijoux dont la valeur n’a pas été expertisée (l’un a également avoué avoir volé 540 euros dans une sacoche abandonnée par un dealer).
Certains policiers expliquent que le cannabis découvert servait à rémunérer des indics, d’autres, qu’ils ont oublié de détruire la marchandise après une saisie sur un consommateur. Dans leurs auditions, les fonctionnaires racontent qu’en dessous d’un certain nombre barrettes de cannabis (en générale quatre) saisies sur un acheteur et si le contrôle se déroulait normalement, pour éviter de “perdre du temps dans la paperasse”, ils laissaient l’individu repartir libre et détruisaient la marchandise sans faire de “procédure simplifiée”.“Aucun de mes supérieurs ne m’a jamais rappelé à l’ordre pour me dire quoi que ce soit là dessus, ou pour se plaindre d’un manque de compte rendu”, assure l’un des mis en cause.
Dans les cas où les policiers récupéraient une sacoche sur un revendeur, certains avouent avoir déjà conservé quelques barrettes pour un indic. “Je sais que garder des pochons pour mon informateur est illégal et contraire à la déontologie. Pour alors les raisons qui m’ont poussé à faire cela me paraissent alors légitimes. Utiliser ce moyen pour obtenir des informations qui ont porté leurs fruits ne m’a pas paru amoral”, estime l’un des mis en examen avant de lister quelques belles affaires faites grâce à un informateur.
Mais jusqu’à présent l’IGPN est resté muet face à ces arguments et semble n’accorder aucune circonstance atténuante à ces policiers. La “police des polices” estime ainsi que ces fonctionnaires sont coupables collectivement. Peu importe les fautes commises, tous sont renvoyés devant le conseil de discipline pour les même motifs : “Manquement aux obligations d’obéissance, de compte-rendu, de dignité et d’exemplarité.” Feriel Alouti
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