Selon le discours officiel, le réacteur des centrales nucléaires françaises résisterait au crash d’un avion. D’après nos informations, il reste pourtant un point faible : les fameuses piscines de désactivation.
La scène se passe trois jours après le séisme au Japon. Un, puis deux, puis trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima ont lâché. Ce lundi noir, Nicolas Sarkozy tient une réunion à huis clos avec des chefs de l’UMP. Selon Le Canard enchaîné, il s’enflamme contre les inquiétudes et les critiques entourant l’accident nucléaire.
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Voici la phrase : « Je suis désolé de dire ça, mais (dans nos centrales nucléaires françaises de type EPR – ndlr) on a la double coque ! Le principe de la double coque, c’est que si un Boeing 747 s’écrase sur une centrale, le réacteur n’est pas touché. » Ce qui le préoccupe beaucoup en ce moment, rappelons-le, est de vendre un maximum de nos réacteurs nucléaires de type EPR (environ 5 milliards l’unité) à la Chine. Mais, avec ce gros Boeing 747, le président n’en aurait-il pas rajouté un peu sur la solidité de nos réacteurs ?
Pour le vérifier, il suffit de téléphoner aux centrales nucléaires du pays. Et de leur demander si elles se voient avec un 747 leur tombant sur le réacteur. Dans une centrale du littoral, pas vraiment :
« Il n’y a que les futures centrales EPR, avec leur double coque en construction, qui sont prévues pour résister à l’impact d’un 747. -Donc la vôtre et les 19 centrales qui tournent en ce moment dans le pays ne résisteraient pas à l’impact d’un 747 ? – Nos réacteurs sont faits pour résister à la chute de certains avions. – Des avions de quel type ? -… Cessna. »
D’un coup, le niveau de sûreté baisse d’un cran. Le Cessna est un petit aéroplane de tourisme léger. Mais c’est déjà important de savoir que si l’un d’eux s’écrase sur une centrale nucléaire française, le réacteur tiendra. Ses parois ne se fissureront pas. L’uranium restera confiné. Aucun combustible nucléaire n’ira brûler en pleine atmosphère. C’est clair ? Si un Cessna fait le kamikaze, il n’y aura pas chez nous de second Fukushima. C’est l’avis des experts.
Sauf qu’en interrogeant d’autres centrales, on se rend compte qu’un autre scénario pourrait les faire mentir. C’est très simple. Un réacteur nucléaire, tous les ans, doit changer son combustible (les fameuses barres d’uranium). On sort le combustible usé de la cuve du réacteur et on le stocke dans une « piscine de désactivation ». Il restera une année dans l’eau borée de cette piscine, le temps de perdre une partie de sa radioactivité pour être transporté vers l’usine de retraitement de La Hague.
» Et l’inquiétude est là », nous dit un technicien nucléaire d’EDF, qui restera anonyme. Il fait partie de ces hommes qui se relaient 24 heures sur 24 autour d’un réacteur nucléaire pour surveiller sa sécurité et resserrer ses boulons.
« Cette piscine de désactivation est dans un bâtiment voisin du réacteur. Si jamais il y a un accident et qu’elle se vide de son eau, le combustible radioactif qu’elle contient passe à l’air libre et on se retrouve dans le même scénario qu’au Japon : fission à l’extérieur du coeur et dégagement de produits radioactifs. – Rassurez-nous : le bâtiment de cette piscine est-il conçu pour résister, comme le réacteur, à un crash d’avion ou à un missile ? »
Après un bref silence, le technicien répond : « Vous devriez le demander à nos experts. »
On revient donc vers les responsables d’une centrale nucléaire EDF. Si un Cessna s’écrase sur votre centrale, la piscine est-elle protégée ? « Nos réacteurs sont prévus pour résister à toutes les agressions extérieures. On est au top de la sûreté. – Le réacteur, d’accord. Mais la piscine de désactivation ? – Elle a les protections nécessaires pour ses fonctions. – Mais elles consistent en quoi, ces protections ? – C’est confidentiel ! Je ne peux pas vous répondre. » Au moins, l’énigme est clairement posée.
De quoi est fait le toit de cette piscine ? Dans les centrales que nous appelons, on commence à sentir un drôle d’embarras. L’une alerte la suivante du contenu de nos questions et la consigne devient de nous orienter ailleurs. Vers l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), qui veille à la sécurité nucléaire et a pour mission d’informer le public. Coup de fil, donc, au centre de presse ouvert en permanence que l’ASN a mis en place au premier jour de la crise au Japon.
Et toujours à propos de la piscine qui reçoit le combustible nucléaire sorti du réacteur : nous aimerions savoir de quoi a l’air le toit qui la protège. Et si ce toit, dans le cas où un Cessna lui tomberait dessus, protégerait l’uranium. « Information confidentielle ! », nous répond un expert. « Tiens, mais pourquoi ? – Parce que si on vous fournit des informations sur la vulnérabilité des bâtiments de nos centrales, on va donner des idées à des terroristes qui pourraient lancer des actes de malveillance sur nos installations. – Autrement dit, vous n’avez pas prévu de protection… – Je ne peux pas en dire plus. Cela peut donner des idées aux terroristes, on ne peut pas vous répondre. »
Heureusement, l’ASN a 440 agents qui surveillent les centrales du pays. L’un d’eux nous en lâche un peu plus sur cette fameuse piscine et sur le bâtiment qui la protège.
« C’est un bâtiment industriel. – D’accord… Il est construit en quoi ? Double coque de béton ? Il est solide ? – Il est classique. – C’est-à-dire ? – Il est comme un entrepôt : murs de béton, toit de tôle et bardages métalliques. – D’accord ! Et qu’est-ce qui se passe si un avion tombe dessus ? – Ecoutez, on est polarisés en ce moment sur ce qui se passe au Japon, et nous ne sommes pas en train de faire des calculs là-dessus. Mais je ne dis pas que ce calcul ne se fera pas plus tard… »
Le risque nucléaire est toujours très technique, alors résumons bien. D’abord, un petit avion, mais pas un 747, peut s’écraser sur une de nos centrales atomiques : son réacteur entouré de la fameuse double coque de béton tiendra le choc. Ensuite, la piscine de désactivation, qui contient le coeur du combustible actif, peut ne pas résister à ce choc. Et si ce choc l’endommage au point de lui faire perdre son eau, l’uranium qu’elle contient peut se retrouver à l’air libre et brûler. Enfin, EDF, l’ASN, et Areva, nos trois opérateurs du nucléaire français, redoutent un scénario de crash d’avion ou d’attaque terroriste mais ils n’ont pas encore envisagé de protéger cette piscine.
Reste une question dont on n’a pas parlé. Un séisme… « Toutes nos centrales sont prévues pour résister aux séismes et aux crashs d’avion. On est au top de la sureté », nous répète-t-on chez EDF. Ça, on le savait. On est tellement au top qu’en décembre 2010, Nicolas Sarkozy a vendu à l’Inde deux réacteurs EPR (7 milliards d’euros) qui vont être construits à Jaïtapur, à 260 kilomètres de Bombay, au coeur d’une zone hautement sismique, classée en risque 4 sur une échelle de 5, et qui a connu en 1993 un séisme de 6,2 sur l’échelle de Richter (contre 8,9 le 11 mars au Japon).
En décembre dernier, notre géant Areva, qui construit ces centrales, justifiait habilement son choix : « Si des centrales sont construites au Japon en zone sismique, il n’y a aucune raison de ne pas en construire en Inde ». Les Japonais ne le contrediront pas : la centrale nucléaire en zone sismique, c’est l’avenir.
Michel Despratx
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