Après la polémique sur la dénonciation de pédophiles à la police, un reportage de l’émission Les infiltrés déclenche la colère des catholiques traditionalistes et des milieux d’extrême-droite qui attaquent en justice et sur internet.
Ludo « gerbe la messe moderne », Vatican II et les curés d’aujourd’hui. Ce jeune homme appartient à l’organisation Dies Irae, filmée par des journalistes de l’agence Capa pendant cinq mois pour l’émission Les infiltrés.
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Le résultat de leur travail, que Les Inrocks ont visionné, sera diffusé mardi 27 avril sur France 2 et suscite déjà une campagne de dénigrement, photos à l’appui, sur les sites d’extrême-droite. L’institut du Bon Pasteur, visé dans le reportage, met en demeure France 2 et demande la non-diffusion. Des parents d’élèves d’une école privée bordelaise attaquent la chaîne, Capa et les journalistes pour incitation au crime.
L’enquête de Mathieu Maye et Rémy Lange (noms d’emprunt) visait à étudier le groupe Dies Irae, conduit par l’ex-FN Fabrice Sorlin. Elle les a menés à l’église Saint-Eloi, bien connue des Bordelais. Parce qu’ils effectuait des travaux bénévoles dans l’église, Alain Juppé a affecté le lieu à des dissidents catholiques de la Fraternité Saint-Pie-X, extrémistes parmi les traditionalistes, en 2002. Une décision du tribunal administratif expulsant les occupants sur requête de l’archevêché n’a jamais été appliquée.
« Nous n’avions pas l’intention de faire un film sur les catholiques traditionalistes mais sur l’extrême-droite en France à travers l’émergence d’un groupuscule » explique Rémy Lange. « C’est le lien direct avec l’Eglise qui m’a amené là, il se trouve qu’ils sont liés aux traditionalistes. » Dies Irae utilise une cave ornée de drapeaux franquistes, à proximité de l’église Saint-Eloi, avec la bénédiction de l’abbé.
Préparation à la guerre civile
Parmi les activités de Dies Irae, la construction d’un parcours du combattant sur le modèle militaire, sur un terrain mis à disposition par un sympathisant près de Bordeaux. C’est là que Ludo entraîne les troupes à la « croisade » et à la future « guerre civile » contre les musulmans, qu’il faudra « saigner au couteau ». « On n’est pas en train de se battre pour une couleur, précise-t-il. On est en train de se battre pour une religion ».
Même si des camps d’entraînement existent déjà en France, notamment organisés sous l’égide du minuscule et néonazi Parti solidaire français » (voir la vidéo), le dispositif est « inédit » parce que réalisé grâce au concours de militaires professionnels, précise Rémy Lange.
http://www.youtube.com/watch?v=_2Jd5HQRohU
Face caméra dans le reportage des Infiltrés, Fabrice Sorlin parle de Dies Irae comme d’un « mouvement politique et social d’implantation locale ». Devant ses amis, filmé en caméra cachée, il regrette le coup d’Etat impossible contre la démocratie moderne, désignée comme « l’ennemi ».
Si Les infiltrés avaient perdu leurs lettres de noblesse après que des journalistes ont donné leurs sources pédophiles à la police, ils démontrent ici l’intérêt de la caméra cachée devant le double discours. « Ça fait dix ans que je travaille sur l’extrême-droite, il est impossible de voir ça face caméra », explique Rémy Lange.
« Nous sommes fachos »
Le journaliste a également pénétré l’école Saint-Projet, privée hors contrat (donc non soumise au contrôle de l’Education nationale sauf en cas de plainte). Il y officie comme surveillant bénévole et filme en caméra cachée. Un enfant de 12 ans l’interroge : « Vous êtes facho? » Désignant ses camarades : « Lui, c’est un facho. Lui, c’est un facho. Nous sommes fachos. » « Mon voyage de noces, je le ferai à Auschwitz », conclut-il. Et les gamins entonnent une comptine qui vante les « douches gratuites » du camp de concentration.
C’est ce passage sur l’école Saint-Projet qui a déchaîné la colère des parents d’élève. Quinze familles portent plainte contre Mathieu Maye, Capa et France 2 pour incitation au crime. Elles accusent le journaliste d’avoir fait répéter aux enfants ces propos racistes et antisémites pour « bidonner » le reportage.
Par ailleurs, l’avocat Jérôme Triomphe, avocat de l’abbé Laguérie et de l’institut du bon pasteur, a envoyé une mise en demeure à la chaîne pour obtenir une copie du reportage et l’annulation de sa diffusion. Joint par téléphone, il évoque la possibilité que Mathieu Maye ne soit pas un journaliste mais un intermédiaire recruté par France 2.
Enfin, Daniel Hamiche, de Radio Courtoisie, a adressé une lettre recommandée à France 2. La chaîne souligne que « les gens qui portent plainte n’ont pas vu le film », pas encore diffusé, et donnent justement foi au résumé de Daniel Hamiche. Invité au débat qui suit l’émission, il avait salué la « déontologie » du reportage, pour le dénoncer par la suite. « S’il avait quelque chose à dire, il avait une heure d’antenne », se défend France 2.
Capa et de France 2 disent également avoir reçu des menaces et des lettres d’insultes. La campagne de dénigrement est lancée depuis plusieurs jours sur les sites d’extrême-droite (catholiques ou non), qui diffusent la photo de Mathieu Maye désigné comme « une taupe » qui cherche à « nuire ». L’hebdomadaire Minute lui consacre une « enquête » en Une ce mercredi : le journaliste serait un ancien militant du FNJ « obsessionnel de la question juive », selon le témoignage d’un responsable frontiste local.
Camille Polloni
Photo: l’église Saint-Eloi de Bordeaux (Eric-p/Flickr)
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