Le 23 juin prochain, l’électorat britannique sera appelé à se rendre dans les bureaux de vote afin de décider si le pays restera dans l’Union Européenne. Pourquoi les Britanniques nous tournent-ils le dos aujourd’hui ? Se croiraient-ils « trop bien » pour nous ? Seraient-ils europhobes ? Enquête.
Alors que de Gaulle avait mis son veto pour leur refuser l’entrée dans la CEE par deux fois, en 1963 puis en 1967, voici qu’aujourd’hui les Britanniques nous tournent le dos et envisagent de quitter l’institution européenne. La menace du “Brexit” (sortie du Royaume-Uni de l’Europe) n’est plus une simple revendication politique portée par l’Ukip, le parti eurosceptique d’extrême droite en Grande-Bretagne. En effet, elle pourrait bien devenir réalité le 23 juin prochain, date à laquelle l’électorat britannique sera appelé à pour se prononcer sur le maintien ou non du pays dans l’Union européenne.
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Dans un éditorial du mois dernier, le Guardian, l’un des seuls journaux en faveur d’un maintien dans l’Union, expliquait que “la Grande-Bretagne n’a jamais aimé l’Europe”. D’après les sondages, à la question “le Royaume-Uni devrait-il sortir de l’Union européenne ?“ le “oui“ s’approche dangereusement du “non“. Comble : le Sun prétend même que la reine d’Angleterre serait en faveur d’un Brexit. On fuit le reste du Vieux Continent comme la peste. Que s’est-il donc passé ?
Les Britanniques en auraient-ils marre de nous ? Seraient-ils simplement europhobes ?
Elizabeth II et le « #Brexit » dans le « Sun » : un scoop qui tombe à pic https://t.co/MAl2UxL2Yc pic.twitter.com/ycMQ7E4tIq
— Le Monde (@lemondefr) March 9, 2016
Une question qui ne date pas d’aujourd’hui
D’après Jean-Yves Camus, politologue spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe, la question de l’appartenance du Royaume à l’UE a longtemps été au cœur des débats outre-Manche :
“Ce n’est pas d’aujourd’hui que la Grande-Bretagne se pose des questions sur son appartenance à l’Union européenne. Elle a commencé à déclencher son processus d’adhésion en 1961, donc finalement pas si tard que ça, même si l’adhésion formelle ne date que de 1973. Déjà en 1973, le parti conservateur s’était déchiré sur la question de l’appartenance à l’Union européenne. […] Une partie de l’opinion britannique ne s’est au fond jamais faite à l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union, qui a été décidée tardivement.”
Cette distance que certains Britanniques souhaitent mettre entre leur pays et l’Europe n’est pas nécessairement synonyme d’europhobie. Jean-Yves Camus le note en évoquant le traité constitutionnel européen auquel les Français ont dit “non” en 2005 – ce qui ne fait pas d’eux des europhobes pour autant. Toujours selon Camus, il s’agit avant tout d’un “problème psychologique” lié à l’insularité du territoire britannique qui inspire à nos voisins une méfiance et un sentiment de distance vis-à-vis du continent :
“La Grande-Bretagne n’a jamais adopté l’euro, elle tient à sa livre. Elle n’a jamais non plus adopté le système métrique – mine de rien ça vous singularise. […] Elle a des institutions anciennes, très particulières, qui n’ont aucun équivalent en Europe ; elle a un modèle de démocratie propre. […] Les Britanniques ont, encore une fois, un sens très aigu de leur spécificité géographique, historique, institutionnelle.”
Un statut spécial dans l’Union
Cette singularité, on la retrouve dans le statut spécial accordé au Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, comme l’affirme Sophie Heine, politologue à l’institut Egmont et chercheur associé à l’université d’Oxford :
“[Les Britanniques] bénéficient en effet de toute une série d’“opt out”, notamment sur Schengen, l’euro et la charte des droits fondamentaux. L’ambition de n’avoir qu’une relation commerciale avec les autres pays membres de l’UE, régie par la négociation intergouvernementale, imprègne une grande partie de la classe politique britannique depuis des décennies.”
Alors qu’une crise humaine et économique a commencé à s’abattre sur l’Europe, deux types de discours eurosceptiques – l’un modéré, l’autre radical – se sont mis à se faire entendre. Portés majoritairement par les conservateurs et fondés sur une défense de la souveraineté, Sophie Heine fait le constat qu’ils deviennent de plus en plus nombreux au Royaume-Uni, comme un peu partout en Europe :
“L’euroscepticisme – ‘soft’ et ‘hard’ pour reprendre une typologie classique de la littérature sur le sujet – a le vent en poupe au Royaume-Uni. Mais, il s’agit là d’une caractéristique ancienne du rapport du Royaume-Uni à l’UE. Par ailleurs, cette tendance est européenne plutôt que britannique. On peut dire qu’aujourd’hui l’euroscepticisme – de plus en plus ‘populiste’ – est passé de la marginalité au ‘mainstream’.”
La popularité de ces discours tient au fait que le diagnostic qu’ils font de l’Europe “est en partie correct”, selon Sophie Heine ; d’autant plus que les pro-Européens n’arrivent pas à fournir un contre-discours persuasif :
“L’UE a bridé la capacité de décision et d’action souveraine des États sans la remplacer par une véritable souveraineté européenne. […] Il est loin d’être certain que les partisans d’un maintien du Royaume-Uni dans l’UE parviennent à calmer les craintes des citoyens britanniques sur le long terme, même si l’argumentaire eurosceptique modéré adopté par Cameron pourrait convaincre les Britanniques de rester dans l’Union.”
Ed Miliband, ancien leader du Labour à la Chambre des Communes: « je crois passionnément que nous devons rester dans l’Union européenne ».
— Philippe Bernard (@canalbernard) February 22, 2016
Pragmatisme plutôt qu’euroscepticisme ?
Si le discours fort véhiculé par l’Ukip et une partie des conservateurs du camp de David Cameron, dont le meneur se trouve être le charismatique maire de Londres, Boris Johnson, est si populaire, c’est sûrement parce qu’il reflète les craintes de beaucoup de ses citoyens. En témoigne la popularité de la page Facebook “Britain First“ (1,3 million de like) dont la plupart des publications revendiquent clairement une sauvegarde de l’identité britannique, ou la victoire de l’Ukip aux élections européenne de 2014.
Le « deal » de Cameron vu par le Daily Telegraph pic.twitter.com/ZUaogLOXHu
— Philippe Bernard (@canalbernard) February 20, 2016
Laura, assistante maternelle et professeure de français âgée de 24 ans et vivant à Londres depuis deux ans et demi constate qu’un discours europhobe s’est installé en Grande-Bretagne :
“ Un jour, un Anglais assis dans le coin de son pub vous dira qu’il y a trop de gens de l’Europe de l’Est ici, faisant des enfants et prenant tout le travail car ils travaillent pour pas cher. Le jour d’après, vous tomberez sur une mère de famille à la sortie d’école disant qu’il y a trop d’étrangers, venus d’Europe ou d’ailleurs, qui ne font rien mais viennent toucher les aides sociales. “
Le discours europhobe qui s’installe au Royaume-Uni ne signifie en rien que les Britanniques sont europhobes. Peut-être serait-ce simplement lié à un sentiment de distance géographique, culturel et historique avec “le continent“, amplifié par une crise qui ne les concerne pas, puisqu’elle ne peut être vue depuis les côtes de Douvres et qu’elle touche une monnaie qui n’est pas la leur. Peut-être s’agit-il tout simplement d’une démonstration du fameux pragmatisme dont ont toujours fait preuve nos voisins d’outre-Manche.
Ou peut-être, comme l’explique Jean-Yves Camus, que “la Grande-Bretagne tient tout simplement, et c’est compréhensible, à sa spécificité”. Alors que l’incertitude plane sur l’avenir de la relation libre entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, souvenons-nous de ce bon vieux de Gaulle qui doit bien se marrer où qu’il soit.
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