Si la plupart des Youtubeurs français sont surtout connus pour leur sketchs d’autres préfèrent parler littérature. Chaque semaine, des « booktubeurs » partagent leur passion en vidéo. Déjà présent dans les pays anglophones et hispanophones, cette nouvelle forme de chronique littéraire émerge peu à peu en France, et ça n’a pas échappé aux maisons d’édition.
Après un générique rodé au graphisme étudié, Émilie, alias « Bulledop », entame sa chronique littéraire hebdomadaire sur Youtube. Au programme Anna Gavalda, Gilles Paris et Tatiana de Rosnay, dans cette vidéo Bulledop propose son top 5 des auteurs contemporains. À 23 ans, elle fait partie de la communauté des « booktubeurs », des passionnés qui partagent leurs coups de cœur et leurs déceptions littéraires sur la toile. Un phénomène révélé par Livres Hebdo qui prend aujourd’hui de l’ampleur.
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Nouvelles coqueluches des internautes, leurs chaînes Youtube attirent de plus en plus de visiteurs. Bulledop est aujourd’hui a plus de 12 600 abonnés et 340 000 vues. Autre booktubeuse, « Nine » compte 23 600 abonnés et a dépassé le million de vus. « Quand j’ai commencé il y a deux ans, les plus suivis avait 1 000 abonnés », se rappelle-t-elle.
Dévoreuses de livres depuis toujours, toutes deux pâtissent du manque d’intérêt de leur entourage pour la littérature. « L’avantage du web, c’est qu’il permet de partager une passion, j’ai donc lancé un blog en mai 2011 », raconte Nine. Émilie, elle, a lancé le sien en 2012, mais se lasse progressivement du format. Il y a tout juste un an, elle décide de reprendre sa chaîne Youtube qu’elle avait abandonné en 2011. « C’est Margaud liseuse, une booktubeuse suisse qui m’a donné envie de m’y remettre. Le format vidéo rend le partage plus direct et surtout les gens réagissent beaucoup plus, laissent plus des commentaires », remarque-t-elle.
La littérature « young adult » surrepésenté
Si le phénomène commence tout juste à prendre de l’ampleur dans l’Hexagone, dans d’autres pays ces chroniqueurs 2.0 ont déjà assis leur succès. « Ils ont émergé il y a quatre ou cinq ans aux Etats-Unis, puis dans la communauté hispanique, ce sont aujourd’hui les deux grosses communautés de ‘booktubeurs’« , retrace Kévin, 35 ans, alias « Treky ». Un succès à l’image de l’Américain « Jesse the reader » l’un des plus connus, qui cumule près de 120 000 abonnés et 5,6 millions de vues sur Youtube.
Organisée comme une émission littéraire, chaque vidéo de booktubeur a sa rubrique. Entre les « BookHaul », retraçant les acquisitions du mois, les « Update », consacrés aux trois dernières lectures, et les « TAG » ou challenges, la culture « booktube » a son propre vocabulaire, ses propres codes.
Si tous les genres littéraires sont traités, « le young-adult reste surreprésenté », remarque Treky. Les adolescents, en particulier les adolescentes, principaux fans des Youtubers, raffolent des Hunger Games, Harry Potter et Twilight. Les booktubeurs peuvent être un nouveau moyen de toucher les lecteurs, voire d’influencer leurs choix de lecture et les maisons d’éditions l’ont bien compris.
« Il y a clairement un filon »
« On a envoyé une œuvre à un ‘booktubeur’ de manga et sa vidéo a fait 50 000 vues, alors on a commencé à enquêter », nous raconte-t-on chez Glénat Manga et Comics. Ayant pris le tournant du 2.0, les maisons d’édition promeuvent leurs auteurs sur les réseaux sociaux et ce nouveau phénomène internet ne leur a pas échappé.
« A la Japan Expo de Paris, Norman et John Rachid sont passés par le stand Glénat, on les a pris en photo avec des ouvrages dans les mains, postée sur Twitter, ce jour-là on a eu un pic énorme de visites et notre nombre de followers a augmenté ».
Si avec les Youtubeurs le résultat est aussi spectaculaire, les maisons d’édition parient que les booktubeurs produiront bientôt le même effet. « Ils sont hyper-prescripteurs, il y a clairement un filon », affirme-t-on du côté de Glénat Manga et Comics. Des partenariats entre éditeurs et booktubeurs commencent à se créer. « On est beaucoup sollicité », indique Bulledop. « Depuis l’article de Livres Hebdo on est assailli de demandes », confirme Nine. Outre l’envoi régulier d’ouvrages, les maisons d’éditions peuvent aussi encourager des événements marketing. A l’occasion de son 10 000è abonné, Bulledop a organisé un jeu concours dont les récompenses étaient fournies par une maison d’édition partenaire.
Être « booktubeur » devient le nouveau phénomène à la mode. Nombreux sont ceux qui se lancent dans l’aventure ces derniers mois. « On reçoit deux demandes par jour en ce moment mais on ne peut pas envoyer des exemplaires d’ouvrages à tout le monde », explique-t-on chez Glénat. « On regarde la qualité des commentaires, de réalisation de la vidéo, l’orthographe aussi dans leurs posts sur les réseaux sociaux, et puis pour un partenariat il faut au moins que le ‘booktubeur’ ait 10 000 abonnés, parce qu’une fois ce palier franchi il peut vite grimper ».
« En France on est loin de se faire un salaire »
De leur côté, les booktubers expérimentés mettent un point d’honneur à garder leur indépendance. « Je n’ai pas envie de parler d’un livre parce qu’on me le demande », insiste Nine. Au départ, Treky n’était pas très favorable aux partenariats avec les maisons d’éditions, « mais certaines sont très correctes dans les relations, je veux pouvoir lire ce que je veux ».
D’autant que booktubeur n’est pas un métier, mais avant tout un travail de passionnés. Les chroniqueurs réalisent généralement leurs vidéos seuls. « Je suis un peu geek, j’ai appris à maîtriser les logiciels de montage toute seule », lance Bulledop. « On utilise les lois de Youtube, en faisant des vidéos dynamiques, avec beaucoup de découpages et de la musique » et ça demande du temps. Une demi-heure pour tourner, cinq à six heures de montage, sans compter le temps de lecture et celui passé sur les réseaux sociaux. « Quand j’étais étudiante, j’avais le temps de faire deux vidéos par semaine, depuis que je travaille, je n’en fais plus qu’une », confie Émilie.
Beaucoup d’efforts pour peu de récompenses. L’activité de booktubeur n’est pas très lucrative, seul Youtube verse une rémunération en fonction du succès des vidéos. « Aux États-Unis il y en a qui en vivent, mais en France on est loin de se faire un salaire », confie Nine. « Tout ce que je gagne, je le réinvestis dans du matériel vidéo, c’est du bonus pour m’améliorer ». Être booktubeur peut aussi permettre de se faire connaître du milieu littéraire. Peu après son diplôme, Émilie a été embauchée chez un libraire. « Ils m’ont donné m’a chance pour ça », selon elle.
Désormais, les booktubeurs commencent aussi à lier des partenariats avec des salons du livre, ou des institutions, notamment des collectivités territoriales. Arrivé tardivement en France, le phénomène enfin lancé devrait prendre de plus en plus d’ampleur dans l’Hexagone.
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