Mercredi s’ouvre à Rodez le procès d’un ancien membre des Béatitudes pour attouchements sexuels sur mineurs. En mai, nous publiions une enquête sur la face cachée de cette communauté religieuse : son fondateur charismatique et délirant, ses religieuses victimes d’abus sexuels et ses accusations de dérives sectaires.
En novembre 2008, Ephraïm reparaît mais en mauvaise posture. La police l’interpelle à l’aéroport de Roissy au moment où il descend d’un avion en provenance du Rwanda. Un an avant, le frère Philippe avait expliqué au procureur que la direction des Béatitudes savait qu’il était pédophile et qu’elle n’avait jamais rien fait pour l’éloigner des enfants. Le procureur avait donc ouvert une information à Rodez pour non-dénonciation de crimes pédophiles.
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Gardé à vue pendant quarante-huit heures, Ephraïm reconnaît qu’il était au courant du comportement de Philippe et déclare qu’il regrette de “ne pas avoir su protéger les enfants”. Mais le juge doit le relâcher car la responsabilité d’Ephraïm est engagée pour des actes pédophiles dont le délai de prescription est aujourd’hui dépassé et non pour ceux qui seront jugés en septembre.
Libre, Ephraïm retourne alors au Rwanda où il travaille avec une association belge d’aide aux enfants de Kigali. L’association porte le nom d’Anawa et reçoit aujourd’hui de l’argent collecté par des sympathisants et des anciens membres des Béatitudes.
En France, circule un prospectus de demande de fonds. On y voit la photo d’Ephraïm entourant de ses bras un petit garçon noir. Dans sa maison spacieuse et immaculée, au centre de Kigali, Ephraïm vit avec deux femmes. Jeanne, une Française d’origine rwandaise, et une jeune femme slovène. Jeanne a un fils de 30 ans qui habite à Paris. Il nous donne rendez-vous dans un bar du IIIe arrondissement.
Ce jeune entrepreneur réfléchi qui se prénomme Pierre est allé au Rwanda rendre visite à sa mère. « Depuis des années, ma mère voue une admiration totale à Ephraïm. Pour lui, elle a quitté mon père et notre famille. L’année dernière, Ephraïm lui a annoncé une grande nouvelle : selon lui, ma mère serait la fille cachée du roi du Rwanda en exil. Ma mère m’a dit : ‘J’ai une grande nouvelle à t’annoncer. Je croyais que je n’étais personne, en réalité je suis une princesse et tu es un prince’… Elle a demandé le divorce à mon père afin de pouvoir disposer de ses biens et je suppose que tout va aller dans la poche d’Ephraïm. La dernière fois que je les ai vus à Kigali, c’était en 2008. Ephraïm se faisait appeler ‘tonton’, il se comportait comme un gourou avec plusieurs adeptes autour de lui.
J’ai assisté à des sessions de ‘formation psycho-spirituelle’ qu’il dispense au clergé rwandais. Ce sont les mêmes méthodes qu’en France : exorcismes, analyses des rêves, faux souvenirs, etc. Des dizaines de prêtres assistent à ces formations pour lesquelles ma mère sert de traductrice. Je me souviens surtout d’Ephraïm qui me disait, au milieu des quarante enfants recueillis par l’association : ‘ Je trouve ça tellement beau quand je vois ces petits enfants courir tout nus, avec leur robinet d’amour…' »
Au Rwanda, Ephraïm a des ennemis à tous les niveaux
A Kigali, la spiritualité d’Ephraïm ne fait pas que des adeptes. L’abbé Emmanuel Kayumba, un prêtre du diocèse de Butare, s’interroge. Il se demande par quel miracle le fondateur des Béatitudes, diacre et ayant fait voeu de chasteté, peut vivre avec deux femmes. En octobre 2007, il adresse une lettre au diocèse rwandais pour dénoncer celui qui, selon lui, est « tout sauf un homme d’Eglise ». Il pose des questions sur la gestion de son association. Mais cet abbé de 50 ans en pleine santé physique ne mène pas son combat jusqu’au bout. Un mois plus tard, il est pris d’un malaise inexpliqué et meurt en quelques jours. Un site web de la diaspora rwandaise juge sa mort « suspecte » et assure qu’elle a fait couler « beaucoup de salive » dans les milieux religieux rwandais.
Au Rwanda, Ephraïm se fait même des ennemis au plus haut niveau de l’Etat. Le 3 octobre 2008, la ministre des Affaires familiales du Rwanda envoie au président de la République et au Premier ministre un courrier concernant l’immigré français.
« Sa présence au Rwanda nuit aux orphelins de la cité de la miséricorde dont il prétend s’occuper. Ses pratiques sectaires, qui invitent les enfants à se rebeller contre leurs parents, portent préjudice à l’harmonie des familles du pays. »
Cet été, suite à la demande déposée en 2005 par le père François-Xavier Wallays, le Vatican va faire des Béatitudes « une famille de vie consacrée ». Un statut neuf, prestigieux, qui l’aidera certainement à nettoyer l’image de secte qui la poursuit. C’est ce que nous explique Christian Terras qui dirige la revue catholique contestataire Golias : « Le Vatican a conscience de l’ampleur des problèmes dans cette communauté mais se trouve dans l’impossibilité de la dissoudre en raison de la centaine de prêtres qui appartiennent aux Béatitudes. Il n’a pas trouvé d’autre solution que de faire évoluer le mouvement en lui donnant une nouvelle identité. Ce qui va lui permettre de prétendre que désormais tout va repartir dans le droit chemin. Le mélange entre les prêtres, les laïcs et les religieuses sera par exemple totalement banni. »
Un évêque est particulièrement pressé d’aider les Béatitudes à se transformer : l’archevêque de Toulouse, monseigneur Le Gall. A plusieurs reprises, il a rendu visite à la communauté de Blagnac.
Comme à chaque fois qu’un évêque se rend dans la communauté, les disciples d’Ephraïm l’accueillaient en grande pompe, parés de leurs plus beaux habits. L’évêque ne soulevait aucun problème et repartait en souriant, satisfait qu’en ce siècle d’assèchement des églises les Béatitudes entretiennent autant de vocations. A son goût, d’ailleurs, la reconnaissance du Vatican traîne trop. « On ne peut plus attendre », nous confie-t-il au téléphone.
L’évêque décide donc de précipiter les choses en prenant un sacrement d’avance sur Benoît XVI. Le 12 septembre 2010, devant 1 200 chrétiens réunis à la basilique de Lourdes, dix-sept frères et soeurs des Béatitudes venus du Kazakhstan, de Pologne, de Roumanie, du Tchad ou des Etats-Unis ont prononcé sous sa consécration les voeux évangéliques de chasteté, pauvreté et obéissance. Un vrai coup de klaxon au Vatican. Car en décembre 2008, le cardinal Rylko, membre du gouvernement du Vatican, avait demandé aux Béatitudes de cesser de consacrer des religieux tant que cette communauté n’aurait pas pleinement accédé à son nouveau statut.
« Ce sont vraiment de vieilles histoires… »
Que pense vraiment l’archevêque de Toulouse de la Communauté d’Ephraïm ? Quelle position adopte-t-il aujourd’hui vis-à-vis des religieuses victimes d’abus, des enfants victimes de pédophilie, du fonctionnement sectaire ? Au téléphone, nous lui demandons s’il connaît les soucis de la communauté. « Non, je n’ai jamais entendu parler d’aucun souci à la communauté des Béatitudes. Je n’ai jamais rien remarqué qui pose problème. – Pourtant, des familles se sont plaintes de graves dérives sectaires… – Oh oui, quelques-unes, mais ce sont vraiment de vieilles histoires. Je ne peux rien vous dire là-dessus. – Savez-vous où se trouve Ephraïm et ce qu’il est devenu ? – Non, je ne sais pas du tout et je ne vois pas l’intérêt de cette question. Si j’avais su que vous m’interrogeriez là-dessus, je n’aurais pas accepté de vous parler. » Puis il met fin à la conversation.
Nous demandons aussi son opinion sur les Béatitudes au frère Henry Donneaud. Le Vatican a nommé ce dominicain commissaire pontifical pour statuer sur les Béatitudes.
« Ephraïm a décidé de prendre du recul. Il ne s’exprime plus au nom de la Communauté. Les Béatitudes sont une communauté très vivante, très fervente, avec beaucoup de vocations. Le Vatican en est très content. – Mais avez-vous entendu parler de dérives sectaires ? – Non, je ne sais pas, et personnellement, je n’ai rien remarqué de tel. – Il y a eu tout de même un certain nombre de problèmes ! – Oui, mais ce ne sont que les soubresauts du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Tout est en train de se régler. »
Les évêques que nous avons questionnés ne veulent plus discuter des dérives d’Ephraïm et des scandales sexuels. L’important, à leurs yeux, est de ressouder une communauté capable de rassembler des croyants et d’attirer des vocations. Reste une question. Comment entendent-ils régler le sort de Gisèle, Alain, Muriel et du père Jean-Baptiste, qui ont refusé d’étouffer le scandale pédophile et ont fini abandonnés dans l’abbaye de Bonnecombe ? Le 30 décembre 2010, Monseigneur Le Gall leur a écrit. Le religieux demande au groupe de se séparer et de quitter l’abbaye : « Il faut en arriver là, je ne vois pas comment (votre) communauté pourrait être reçue ailleurs. Chacun d’entre vous doit trouver une solution de son côté. »
Emmanuel Lalande & Sophie Bonnet
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