Mercredi s’ouvre à Rodez le procès d’un ancien membre des Béatitudes pour attouchements sexuels sur mineurs. En mai, nous publiions une enquête sur la face cachée de cette communauté religieuse : son fondateur charismatique et délirant, ses religieuses victimes d’abus sexuels et ses accusations de dérives sectaires.
Une ancienne communautaire nous révèle la formule : “Un jour, il a commencé à m’expliquer qu’il pratiquait ‘l’union mystique’, une union de prière mais également sexuelle, exécutée selon lui dans l’Eglise par sainte Claire avec saint François d’Assise ou le pape Jean-Paul II avec soeur Faustine Kowalska. Il prétendait que seuls les vrais mystiques pouvaient comprendre. Je vais le dire autrement : il séduisait les religieuses et couchait avec elles en les persuadant que c’était la volonté du Ciel. J’étais anéantie d’apprendre cela, j’ai mis des jours à réaliser. J’ai décidé d’en parler au berger de l’époque mais il ne m’a pas crue. Alors, devant lui, j’ai appelé Ephraïm au téléphone. J’ai mis le haut-parleur et j’ai parlé à Ephraïm d’une jeune religieuse très fragile psychologiquement avec laquelle il couchait. Je lui ai demandé ce qui se passerait si la religieuse tombait enceinte. Se croyant seul avec moi, Ephraïm m’a répondu ceci : ‘Elle s’enfuira aux Etats-Unis pour accoucher et ensuite nous ferons comme si elle avait adopté un enfant.’ J’étais très inquiète pour cette soeur. Le soir même où elle a prononcé ses voeux, Ephraïm a couché avec elle en lui disant qu’ils étaient enveloppés par le Saint-Esprit.”
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La jeune soeur n’est finalement jamais tombée enceinte d’Ephraïm mais elle s’est enfuie des Béatitudes. Après avoir renoncé à ses voeux, elle a fondé une famille. Elle confirme aux Inrocks le témoignage de son ancienne protectrice mais ne souhaite pas reparler de son histoire qu’elle juge trop douloureuse. Elle tient pourtant à signaler que “de toute façon, l’Eglise et les évêques savent tout. Ils ont dans leurs archives des piles de dossiers sur Ephraïm”.
L’archevêque de Marseille alerté dès 1992
En effet, en 1992, la femme qui avait piégé Ephraïm au téléphone alerte Monseigneur Coffy, l’archevêque de Marseille, grand protecteur de la communauté. “Mais, dit-elle, le religieux a refusé de me croire. Il a convoqué une soeur qui avait des relations sexuelles avec Ephraïm et celle-ci lui a tout raconté. Il a ensuite convoqué Ephraïm, qui n’est jamais venu. L’archevêque (aujourd’hui décédé – ndlr) a alors envoyé des prêtres visiter la communauté. Ils ont transmis leur rapport à l’évêché. Quelques mois plus tard, l’un de ces prêtres m’a fait savoir oralement que l’évêque n’agirait pas. Il considérait qu’Ephraïm avait effectivement débloqué mais que le reste de la communauté était sain et que je devais garder le silence.”
Devant Alain, son dévoué, Ephraïm se vantait de ses unions mystiques. “Il me disait : ‘Les femmes, c’est mon péché mignon !’ A la fin des années 80, à Langeac, près du Puy-en-Velay, il a tiré de son couvent une jeune dominicaine pour en faire sa secrétaire personnelle. Je la voyais sortir du bureau d’Ephraïm à minuit et en larmes. Ephraïm me disait : ‘Le couvent ne veut pas la lâcher, mais moi je l’aurai !” Quatre témoins directs, des anciens des Béatitudes, confirment l’anecdote.
Alain se souvient aussi avoir vu débarquer en 1992, dans une communauté de Mayenne où il se trouvait avec Ephraïm, une mineure de 17 ans : Chloé (le prénom a été modifié), confiée par ses parents à Ephraïm afin que ce dernier puisse l’aider à accomplir sa “formation artistique”. Ephraïm loge Chloé dans un somptueux étage du château, dit du Sacré-Coeur, situé sur une colline. Il lui achète une voiture et un chien cocker pure race puis la rejoint chaque soir dans son château.
“La petite Chloé, poursuit Alain dont un diacre des Béatitudes nous a confirmé le récit, ne participait jamais à la vie de la communauté, elle était isolée et montrait un visage particulièrement triste. Fin 1997, elle a suivi Ephraïm à Saint-Martin du Canigou puis a fini par s’enfuir.”
Muriel, celle qui a « introduit Satan dans la communauté »
Près du cloître de l’abbaye, il y a une maisonnette en pierres. A l’intérieur vit la troisième “possédée” de Bonnecombe. Ou plutôt la première. C’est elle qui, selon Ephraïm, a introduit Satan dans la communauté. C’est une jeune brune de 39 ans en gilet de velours noir. Elle se prénomme Muriel. Son intérieur est décoré de croix, d’icônes et de statues pieuses.
Quand elle arrive dans la communauté de Bonnecombe en 2000, elle décèle immédiatement que le frère Philippe (le prénom a été modifié), qui donne des cours de musique aux enfants et anime leurs camps de vacances, se comporte curieusement. Elle le voit, souvent vêtu en short moulant, manifester un trouble au contact des enfants. Muriel lui demande un jour s’il a un problème et le frère avoue ses penchants pédophiles.
Muriel alerte le numéro deux des Béatitudes, François-Xavier Wallays. Le 17 février 2001, celui-ci convoque le père Jean-Baptiste, le prêtre de la communauté de Bonnecombe, et lui annonce ceci :
“Tu sais, j’ai longuement prié la Sainte Vierge, elle est venue me visiter et j’ai reçu la certitude intérieure que Muriel doit quitter la communauté. Je suis persuadé que c’est la volonté de la Vierge.”
Mais le père Jean-Baptiste refuse de faire partir Muriel et Wallays ordonne en vain. Ephraïm doit intervenir. Il s’y emploie en déclarant Muriel “folle, manipulatrice et habitée par le démon”. Avec Wallays, il impose à la “possédée” des mesures d’isolement : interdiction de mettre les pieds dans l’abbaye et d’assister aux offices ; Muriel doit demeurer cloîtrée dans sa maison.
Nul ne peut venir la visiter ni lui parler. Son isolement dure un an, de septembre 2001 à septembre 2002, et Muriel le subit sans se révolter autrement qu’en priant Dieu de longues heures chaque jour.
En 2007, le frère pédophile continue de se confier à elle : il lui avoue d’autres actes sur cinquante-sept enfants de 5 à 14 ans dans presque toutes les communautés de France. Avec l’accord du frère qui a besoin de soulager sa conscience, Muriel dresse une liste de ces enfants et la remet au procureur qui sans attendre impose à Philippe un contrôle judiciaire.
Son procès s’ouvrira cette année. Mais aux Béatitudes, ceux qui soutiennent la dénonciation de Muriel, c’est-à-dire Alain, Gisèle et le père Jean-Baptiste, reçoivent le 9 mai 2008 une lettre signée du père Wallays (qui n’a pas souhaité répondre à nos questions) leur apprenant qu’ils sont désormais privés de leurs droits d’engagés à la Communauté, suite, explique la lettre, “à la médiatisation des aveux de Philippe”.
En 2007, Ephraïm disparaît
Les semaines suivantes, les unes après les autres, les familles de Bonnecombe déménagent pour rejoindre d’autres communautés. Muriel, Gisèle, Alain et le père Jean-Baptiste restent seuls dans la vieille abbaye. Et Ephraïm ? “Je n’ai plus aucune nouvelle de lui, explique Alain. On a entendu dire qu’il s’était enfui en Afrique, où il vivrait avec des enfants.”
En effet. En 2007, Ephraïm disparaît de la communauté des Béatitudes. Un an plus tard, son nom est effacé de la hiérarchie de la communauté. Il n’y célèbre plus la messe.
“On a su, dit Gisèle, qu’il était parti au Rwanda. Il a monté une association et des demandes de dons ont commencé à circuler pour qu’il puisse acheter un terrain. Depuis, nous avons complètement perdu sa trace. La situation d’Ephraïm est devenue un sujet interdit dans la communauté.”
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