Dans la foulée de Marjane Satrapi, les réalisateurs iraniens Mohsen Makhmalbaf et Samira Makhmalbaf exhortent les occidentaux à ne pas reconnaitre l’élection d’Ahmadinedjad et dénoncent un coup d’Etat.
Paris, vendredi 19 juin : les cinéastes iraniens, Mohsen Makhmalbaf et Samira Makhmalbaf, père et fille, donnent une conférence de presse sur la situation en Iran. Ils dénoncent « un coup d’Etat » et demandent aux occidentaux et à leurs gouvernements au nom du peuple iranien bâillonné et coupé du monde dont ils se font les ambassadeurs « d’écouter la voix et les cris de la rue et de ne pas reconnaitre l’élection de Mahmoud Ahmadinejad. La présence des gens, c’est plus qu’une manifestation, c’est un référendum », assènent-ils. Trois jours plus tôt, Mohsen Makhmalbaf était à Bruxelles, avec Marjane Satrapi. Les deux donnaient une conférence de presse après avoir été invités au Parlement européen par le Vert Daniel Cohn-Bendit.
« Reconnaître la légitimité de M. Ahmadinejad signifierait ne pas reconnaître la légitimité du peuple iranien. Nous avons besoin que vous souteniez le mouvement démocratique du peuple iranien qui veut vivre en paix, être capable de rêver et de définir sa place comme une grande nation au sein de la communauté internationale », déclarait Marjane Satrapi, relayée par Mohsen Makhmalbaf prenant la parole en persant.
Militant politique dans sa jeunesse (ce pourquoi il passa quatre années en prison, entrant avant la révolution iranienne et n’en sortant qu’après), Mohsen Makhmalbaf appartient à la nouvelle vague du cinéma iranien. Très investi dans le développement du cinéma dans la région, il a aussi créé une organisation non-gouvernementale pour permettre aux enfants d’aller à l’école en Iran. Une grande partie de son travail est pourtant bannie dans son pays. C’est pour cette raison qu’il choisissait en 2004 de quitter l’Iran en protestation contre la censure. Juste avant le 11 septembre, il avait attiré l’attention sur la situation afghane avec son célèbre film Kandahar (2001).
Samira Makhmalbaf est la fille de Mohsen. Elle signe à 17 ans son premier long métrage, intitulé La Pomme (1997). En 1998, elle fait sensation à Cannes pour être la plus jeune réalisatrice au monde à concourir dans un festival international. Et en 2000, elle y remporte le prix du Jury avec Le Tableau noir. Son dernier film, L’enfant cheval est sorti sur les écrans en mai.
« Une page de l’Iran s’est tourné. Depuis trente ans, notre pays oscillait entre 20% de démocratie et 80% de dictature. Depuis vendredi, nous sommes tombés dans la dictature à 100% », a dénoncé Moshen Makhmalbaf invité à s’exprimer par le Mouvement de la paix qui lutte auprès des mouvements démocratiques iraniens contre la guerre et l’arme nucléaire.
« Pour la première fois, le peuple d’Iran manifeste par millions sans l’autorisation du gouvernement, nonobstant les menaces d’arrestation ou de meurtre, pour réclamer la démocratie. Depuis une semaine, 700 opposants ont été arrêtés et sont certainement en train d’être torturés par le gouvernement. En plus de ceux tuées ou blessés dans la rue.
», continue-t-il. Le dernier bilan d’Amnesty international fait état d’environ dix morts et de quatre étudiants portés disparus. Alors que les preuves de fraudes massives lors des élections se multiplient depuis une semaine, « le peuple iranien veut que se tienne une autre élection surveillée par des observateurs internationaux ou que toutes les parties soient présentes pour surveiller ».
Sous Ahmadinejad, « la vie est devenue 2,5 fois plus chère. L’argent a servi à financer le projet atomique et la guerre au Liban » explique Mohsen. Les libertés publiques ont été amoindries et il a ruiné l’image de l’Iran sur le plan international. « Khatami parlait dialogue entre civilisations, Ahmadinejad ne parle que de guerre entre civilisations, de l’holocauste alors que cela ne nous concerne pas. Pendant que nous avions Khatami, il y avait Bush, qui a affaibli la notion de démocratie en Iran en attaquant l’Afghanistan et l’Irak. Maintenant qu’il y a Obama, nous avons notre propre Bush ! Si nous iraniens ne pouvons faire en sorte qu’Ahmadinejad s’en aille il y aura péril pour la démocratie en Iran mais aussi pour la paix dans le monde ».
D’après ses informations, le quartier général de Mir Hossein Moussavi à Téhéran aurait été attaqué vendredi 12 juin, jour des résultats, par une vingtaine de miliciens en civil. Ordinateurs cassés, personnes molestées, « des chefs de l’armée ont ensuite pénétré dans son quartier général pour informer Moussavi qu’ils n’acceptaient pas son élection alors qu’il était en train de rédiger son discours d’intronisation. Le comité des élections venait en effet de lui annoncer sa victoire ».
« Certains pensent qu’il n’y a pas de différence entre Ahmadinejad et Moussavi. Alors qu’il y a d’un côté la manière de penser et gouverner d’Hitler et de l’autre celle de Gandhi », précise Samira Makhmalbaf. Son père, lui, tient à présenter l’homme politique qui est en train de bouleverser l’histoire de l’Iran. « Il y a trois étapes dans sa vie. Jusqu’à la Révolution islamique en 1979, c’était un peintre surréaliste. A l’université, il enseignait l’histoire de l’art », raconte Moshen. Avec sa femme, peintre aussi, ils ont été les élèves du célèbre sociologue et militant politique Ali Chariati qui initiait ses étudiants à la révolution religieuse dans les années 60. « Mais pas islamisante comme les mollahs. Il était autant opposé au Shah d’Iran qu’aux ayatollahs », précise le cinéaste.
De 1979 à 1989, Moussavi est rédacteur en chef d’un journal avant de devenir premier ministre à l’époque où Khameini, le guide suprême de la révolution islamique – poste le plus élevé de la république islamique d’Iran – était Président. « Durant ces 8 ans, il y avait deux grandes différences entre eux. A cette époque, le 1er ministre avait plus de pouvoir. Moussavi était socialiste, il voulait que les gens ne souffrent pas de faim. Khameini était partisan des marchands de bazar et des riches. Lorsque Khameini est devenu guide suprême, Moussavi s’est retiré de la politique pendant vingt ans », continue Moshen. Moussavi est retourné à la vie civile et a entretenu un rapport constant avec les artistes. Si bien qu’aujourd’hui selon Moshen, « tous les artistes le soutienne aujourd’hui ».