Cinq militants antifascistes ont été mis en examen suite à un affrontement avec des bandes d’extrême droite. L’un d’entre eux, Antonin Bernanos, est en détention provisoire, à l’isolement, depuis un mois.
Les amis d’Antonin Bernanos ont finalement décidé de parler. Depuis un mois, leur camarade, militant à l’Action antifasciste Paris-banlieue (AFA) âgé de 25 ans, est incarcéré à la maison d’arrêt de Fresnes. Il a été placé en détention provisoire suite à un affrontement entre antifascistes et bandes d’extrême droite à Paris. Avec lui, plusieurs antifas ont été interpellés après que des militants nationalistes, physiquement dominés, ont porté plainte. Le collectif Libérons-les (né de l’affaire du quai de Valmy en 2016) n’a volontairement transmis que peu d’informations à ce sujet, se contentant de relayer les témoignages de solidarité. Factuellement, le récit des faits se limite à un paragraphe dans un communiqué diffusé le 22 avril : “En début de semaine dernière, une confrontation a opposé des militant·e·s antifascistes aux fascistes de Génération Identitaire, des Zouaves Paris et de la Milice Paris. Expulsés de la rue, les fascistes ont porté plainte, ce qui a conduit à l’arrestation, la mise en examen et l’incarcération des antifascistes. Aucun militant fasciste n’a été inquiété.”
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“On a aujourd’hui des détenus de nature politique”
Le 17 mai à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), ce collectif organisait une soirée de soutien aux militants réprimés, en présence de l’avocat membre de la Ligue des droits de l’homme Arié Halimi, de la chercheuse Vanessa Codaccioni, du journaliste David Dufresne et du Collectif de défense des jeunes du Mantois. Un antifasciste parisien, ami d’Antonin Bernanos, a accepté de nous donner quelques informations complémentaires en marge de cet événement : “Il y a cinq mis en examen, dont un incarcéré (Antonin Bernanos, ndlr). Trois militants ont été relâchés au cours de leur garde à vue. Les faits se sont déroulés en semaine, dans la nuit, le soir où Notre-Dame de Paris a brûlé (le 15 avril, ndlr)”. Alors qu’un procès est en attente pour les mois à venir, Antonin Bernanos, souvent présenté comme un “meneur d’ultra-gauche” dans la presse (à l’instar de cet article d’Europe 1 qui a ébruité l’affaire), est incarcéré dans des conditions particulières : “Il est à l’isolement, c’est-à-dire qu’il est seul dans une cellule, et même pendant la promenade. Il ne reçoit pas non plus nos lettres. Tout cela est justifié par des raisons médiatiques”, relate son camarade. Antonin Bernanos est connu pour être une figure de proue du mouvement antifasciste à Paris.
Son avocat, Me Arié Halimi, pointe du doigt ces conditions de détention spécifiques, qui trahissent à ses yeux l’existence de détenus politiques – une catégorie qui s’applique “hors de tout cadre légal” selon lui : “Sous prétexte qu’il était un détenu médiatique, on l’a mis à l’isolement. La réalité – Antonin me l’a dit lui-même cette semaine – c’est qu’ils ont créé un couloir avec les détenus dits d’extrême gauche. Les militants d’extrême gauche subissent aujourd’hui une détention spécifique. Cela porte un nom : ça veut dire qu’on a aujourd’hui des détenus de nature politique”. En 2017, suite à l’affaire de la voiture de police brûlée sur le quai de Valmy, Antonin Bernanos avait écopé d’une condamnation à cinq ans de prison, dont deux avec sursis. Son frère, Angel Bernanos, poursuivi dans la même affaire pour participation à un attroupement violent, avait été relaxé. “Antonin a été interpellé, Angel aussi, avec pratiquement rien si ce n’est un témoignage anonyme d’une personne qu’on saura plus tard être un policier. Les éléments étaient maigres”, relate Me Halimi.
“Anto sert de paratonnerre pour les forces répressives”
Pour les amis d’“Anto”, son arrestation témoigne donc de la criminalisation de la figure de l’antifa, souvent amalgamée aux “black blocs”. Le 1er mai dans l’émission C dans l’air, le criminologue Alain Bauer établissait ainsi un lien direct entre ces interpellations et l’éparpillement des rangs des manifestants radicaux lors du traditionnel défilé du 1er mai : “Beaucoup de black blocs ou antifas sont pour certains déjà en détention pour d’autres affaires, notamment une bagarre entre militants d’extrême droite et militants d’extrême gauche il y a quelques semaines, qui a amené une certaine dépopulation”.
“Anto sert de paratonnerre pour les forces répressives”, déplore son camarade de lutte, qui requiert l’anonymat. Sa mère, Geneviève Bernanos, co-fondatrice du Collectif des Mères solidaires pour soutenir les victimes du fascisme et de la répression d’État, n’a pas encore obtenu de permis de visite pour prendre de ses nouvelles. A ses yeux, il subit les foudres de la justice en raison de son passé : “Il subit cette situation aujourd’hui non pas à cause des faits qui lui seraient éventuellement reprochés – et qui restent à démontrer car à ce jour la juge n’a sollicité aucune commission rogatoire et n’a ouvert aucune enquête –, mais à cause de son passé judiciaire, parce qu’il a déjà connu défavorablement les services de police, et qu’il a un sursis, dont j’espère qu’ils ne le feront pas tomber”.
Ce n’est pas la première fois que la constellation antifasciste et autonome fait l’objet d’un traitement policier, judiciaire et carcéral spécifique. La répression dont Julien Coupat et le groupe de Tarnac ont fait l’objet jusqu’à leur relaxe (au bout de dix ans) en témoigne : l’Etat goûte peu à aux pratiques contestataires de ces militants. “Il y a une longue guerre de basse intensité menée par l’Etat contre eux”, affirme ainsi le sociologue Ugo Palheta, auteur de La possibilité du fascisme (La Découverte, 2018). “On a dénoncés ces militants comme des ennemis de l’Etat, des ennemis de l’intérieur. On a transformé leur engagement républicain – à mon sens – en un engagement anti-républicain”, abonde Arié Halimi.
“Des batailles parfois féroces, physiques”
Dans le même temps, les militants d’extrême gauche font face de plus en plus souvent à des groupuscules d’extrême droite dans le contexte des mobilisations des Gilets jaunes, en particulier depuis le 1er décembre. “On a plus de chance de les croiser que sur d’autres mobilisations. On est même quasi obligés de les croiser”, constate un membre du collectif antifasciste La Horde. Ces militants nationalistes ont d’abord voulu faire de l’acte III à Paris un coup d’éclat important – le souvenir du 6 février 1934, mythe fondateur de l’extrême droite, les galvanise encore. Ils ont ainsi défilé derrière une banderole : “Le peuple aux abois/Tuons le bourgeois”, en référence à une formule de Julius Evola, figure de la Nouvelle droite et des néofascistes.
Par la suite, antifascistes et fascistes se sont affrontés à plusieurs reprises dans les cortèges. Le 8 décembre, des antifas ont expulsé des militants royalistes de la manifestation. Le 26 janvier, les militants du NPA ont été attaqués par les Zouaves Paris, un groupe composé d’ex-cadres du Groupe union défense (GUD) et d’anciens membres de Génération identitaire :
#GILETS_JAUNES : un groupe d’extrême droite attaque un cortège d’extrême gauche à Paris boulevard Diderot #Acte11 pic.twitter.com/teWQ2AC2AA
— Jules Bedo (@Julesbdo) January 26, 2019
L’expulsion de cette nouvelle peste brune des rangs des Gilets jaunes est devenue un enjeu important. “Ce mouvement social n’est pas porté par les organisations syndicales et politiques, c’est un mouvement très hétérogène, dans lequel chacun cherche à conquérir l’hégémonie. Il y a donc des batailles parfois féroces, physiques, entre groupes néofascistes et gauches radicales, NPA, antifascistes, autonomes, qui considèrent que le terrain ne doit pas leur être laissé. Les affrontements sont donc plus réguliers. L’enjeu est fort pour les milieux autonomes notamment d’empêcher l’extrême droite de déployer son drapeau”, explique le sociologue Ugo Palheta.
Etonner la catstrophe
Ces derniers mois, l’Etat affaibli par la médiatisation des violences policières et par la répétition des journées de mobilisation, a tenté de stigmatiser l’ensemble du mouvement des Gilets jaunes comme antisémite et d’extrême droite. Un membre de Libérons-les fait donc une lecture politique de l’arrestation de son camarade : “L’incarcération d’Anto doit être prise pour ce qu’elle est : une vengeance d’Etat contre ceux qui ont activement contribué à rendre impossible l’amalgame entre fascistes et Gilets jaunes”.
D’ici au procès, Geneviève Bernanos – qui ne souhaite la prison “à personne, pas même mon pire ennemi” – a fait une demande de mise en liberté de son fils, et garde “quelques parcelles d’espoir” qu’il puisse sortir sous surveillance électronique. En attendant, elle puise dans les vers de Victor Hugo l’énergie nécessaire à la lutte, pour “prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait”.
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