Anxiété, dépression et générateur de mal-être : les griefs contre les réseaux sociaux ne manquent pas. Parmi eux, Instagram serait l’un des plus nocifs sur notre santé mental.
« Paname c’est la Champion’s leaaaaaaague ». Une ambiance de feu règne dans l’enceinte du Zénith de Paris, le 17 mars dernier. MHD, l’enfant du quartier y donne l’un des concerts les plus bouillants de sa tournée. Le prince de l’afro trap, tout de noir vêtu, chemise pailletée, y joue quelques-uns de ses morceaux emblématiques comme La puissance, Afro Trap partie 9 ou A Kel Nta. Face à lui, le public reprend ses gimmicks à l’unisson. Ils sont conquis. A 100 % ? Pas vraiment…
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« En rentrant chez moi, je me suis rendu compte que j’avais passé la moitié du concert à faire des snap ou des story Instagram, regrette Saïd, responsable social media de 29 ans. A ce moment-là, je me suis dit que ce n’était pas normal de suivre le concert en live mais à travers mon application et ça signifiait peut-être que j’y passais trop de temps. » Aussi anecdotique soit-il, l’événement fait tilt chez le Parisien. « Il y a deux ans encore, j’y passais énormément de temps, entre les comptes lifestyle, hip-hop et pour suivre l’actualité du monde des sneakers, décrit-il. Mais ces derniers mois, j’ai freiné ma consommation et j’ai senti que ça jouait sur ma personnalité. Je me sentais beaucoup moins jovial. D’ailleurs, c’est à cette époque qu’une enquête est sortie sur la corrélation entre Instagram et l’affect mental. »
Anxiété, dépression et générateur de mal-être
L’enquête à laquelle il fait référence (disponible ici) date de 2017 mais fait régulièrement surface. Elle a été menée par l’ONG indépendante Royal Society for Public Health auprès de Britanniques âgés de 14 à 24 ans. Dans sa conclusion, elle expose les aspects positifs de l’utilisation des réseaux sociaux comme le droit à l’expression mais, aussi, et c’est bien là le plus intéressant, ses côtés négatifs. Son diagnostic cingle : Facebook, Instagram, Twitter ou encore Snapchat exacerbent la dépression, l’anxiété, exposent leurs utilisateurs au harcèlement et génèrent du mal-être et de l’inquiétude quand à l’image que l’on renvoie de soi-même.
Instagram, avec ses comptes d’influenceurs aux vies de rêves, serait l’un des réseaux sociaux les plus nocifs. Une photo de chambre d’hôtel sur une île paradisiaque ou un plat d’un restaurant à la mode vous plaît ? Un double clic sur la photo génère un like et vous donne la sensation de vivre l’expérience par procuration. Sauf que chez certaines personnes, cela devient aussi addictif que la cigarette. « C’est la première chose que je fais le matin, concède Elsa, journaliste free-lance de 36 ans. Plutôt qu’aller me préparer un café, je me réveille en douceur en restant cinq minutes à regarder mes comptes préférés dans mon lit. »
« Je retouche toutes mes photos avant de les publier »
Bien qu’elle nie être « une grande addict », Elsa se rend compte de l’impact du réseau social sur son quotidien au fur et à mesure qu’elle nous en décrit son utilisation : « Je fais attention au fil, je ne pose pas telle photo à tel moment, j’attends parfois que l’ordre soit plus cohérent. De plus je retouche toutes mes photos avant de les publier ; j’ai même regardé des tuto sur YouTube pour apprendre à les éditorialiser. » Elle déclare alors, comme pour se justifier : « Mais je le fais par plaisir, donc je le sens moins comme quelque chose de négatif. » Une responsable digital dans la culture, utilise elle une jolie métaphore pour décrire cette course à l’esthétisme : « Mon fil Instagram, c’est comme un jardin dont je serais la jardinière. S’il y a une plante qui ne va pas avec le reste, je l’enlève, c’est tout. »
Où se trouve la frontière entre positivité et négativité ? A quel moment Instagram nous rend-il malheureux ? « Depuis 30 ans, la société s’est considérablement narcissisée, analyse Michael Stora, psychologue et président de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines. Lorsqu’on se retrouve à utiliser Instagram en étant en pleine construction identitaire et qu’on se rend compte qu’on peut avoir quelques kilos de trop ou ne pas avoir le look du moment, par rapport à un supposé idéal, on peut très rapidement être renvoyé à un sentiment d’incomplétude et donc de déprime. » D’autant que les vies rêvées d’influenceurs ne sont finalement pas légion. Paris Match raconte par exemple que beaucoup peinent à boucler leur fin de mois pour continuer de vendre du rêve à leurs followers. Le site Ulyces va même jusqu’à évoquer « La vraie vie de loser des influenceurs d’Instagram ».
https://www.instagram.com/p/Bht2zQqnDAf/?taken-by=kaylynslevin
Saïd, le responsable social-media, reconnaît que le danger des réseaux sociaux vise principalement les plus jeunes : « Je vais avoir trente ans et j’arrive à rendre compte du danger qui peut découler d’une utilisation exacerbée. Mais on ne s’en détache pas aussi facilement à 15 ans… » Pourtant, Elsa, la journaliste free-lance reconnaît avoir traversé quelques moments de mal-être : « Il m’arrive de ressentir de la jalousie par rapport à certains comptes. D’avoir l’impression d’avoir une vie de merde. Dès que ça m’arrive, je me désabonne des comptes en question. C’est quelque chose que je ne faisais pas au début et qui s’est accéléré depuis la possibilité de faire une story sur Instagram. »
« Vivre un peu plus de vrais moments »
« La tyrannie d’Instagram vient du fait que ce soit avant tout un site d’images, avance Michael Stora. Elle va provoquer rapidement des émotions de toute sorte, tout en appauvrissant notre capacité à imaginer. Ainsi Saïd explique qu’il « essaye aujourd’hui de consommer un peu moins et de vivre un peu plus de vrais moments. » Elsa, elle, a téléchargé l’application Forest : « Je cale le temps durant lequel je ne peux pas toucher au téléphone, pour rester concentrée. Une plante virtuelle pousse en même temps. Si je touche à mon téléphone avant le temps imparti, elle meurt. »
« L’évolution digitale est révélatrice de choses qui n’ont rien à voir avec le digital », estime Stéphane Hugon docteur en sociologie et responsable du Groupe de Recherche sur la Technologie et le Quotidien à l’université Paris V. Si les réseaux sociaux sont aussi présents dans la vie de nos jeunes, c’est qu’il y a un manque qu’ils viennent combler. »
L’exemple de la jeune Milly illustre cette dérive. Cette jeune Irlandaise avait annoncé sur son compte Instagram son intention de se donner la mort, avant de passer à l’acte deux mois plus tard. Sur son compte, elle partageait régulièrement ses états d’âme, ne cachant pas son envie de mettre fin à ses jours, raconte Paris Match. Elle y racontait à quel point elle était malheureuse à cause de son physique, se dévalorisant régulièrement et écrivant même que les « belles filles ne mangent pas ». Elle avait 11 ans.
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