Le point de vue n’est pas nouveau : les jeux vidéos manquent de personnages noirs fort. Ou alors ils sont bourrés de stéréotypes. Un journaliste, noir, s’est penché sur la question.
Comme il le dit lui-même, Evan Narcisse n’a rien inventé en pointant du doigt ce problème, mais sa démarche est intéressante. Tant qu’à jeter un pavé dans une mare déjà remplie de pavés, autant le faire différemment. Ce journaliste noir spécialisé dans les jeux vidéo a ainsi décidé de converser par email avec d’autres acteurs de la culture gaming, noirs comme lui, et partageant son point de vue. L’intégralité des échanges est à lire sur le site Kotaku pour lequel Narcisse écrit régulièrement.
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Le journaliste le précise d’emblée : il a déjà lui-même écrit sur la question, comme en 2012, lorsqu’il demande à voir moins de noirs stéréotypés dans les jeux vidéo. Ou en 2013 quand il réclame plus de développeurs noirs dans le monde du gaming. Ou à la fin de cette même année lorsqu’il loue Assassin’s Creed IV’s Freedom Cry et la possibilité de jouer enfin avec un personnage noir se battant contre l’esclavage. A vrai dire, il est presque devenu LE spécialiste de la question, au point que certaines sociétés de jeux vidéo lui écrivent afin de lui demander si c’est « ok d’avoir un personnage noir funky » dans leur prochain jeu, etc.
Le problème Watch Dogs
Première interrogation donc pour Evan Narcisse et question directement posée à Austin Walker, critique spécialisé comme lui dans les jeux vidéo: Watch Dogs aurait-il pu éviter les stéréotypes sur les Noirs en ayant plus de développeurs noirs dans son équipe de créateurs ? Sorti en mai 2014, le jeu d’Ubisoft a parfois été accusé de ne pas lésiner sur les clichés, rangeant trop facilement les Blacks dans des catégories toutes faites. Réponse de Walker : « Watch Dogs aurait pu avoir de bien meilleurs personnages noirs même s’il n’y avait pas eu plus de noirs impliqués dans son développement ! » Comprendre que ceux qui se sont penchés sur la question et sur la description de Chicago, où se tient l’action, n’ont pas cherché à sortir des clichés.
Walker écrit que les développeurs s’en sont sans doute tenus aux descriptions faites par certains médias dans les années 90 au sujet du Cabrini-Green Project, un quartier HLM de Chicago connu pour ses gangs et la violence qui y régnait. Mais, comme souvent, la réalité n’était pas unilatérale. « On voyait des photos de « frères » menottés, mais jamais en train de tenir la porte ou porter les courses de quelqu’un« , s’indigne Walker. « Evidemment que Cabrini-Green était un quartier à problèmes. Mais c’était également un endroit où les gens vivaient leur vie. »
Austin Walker poursuit en citant un article du New York Times publié en 2011 lors de la destruction de la dernière tour du quartier de Cabrini-Green. Une jeune femme se souvient de ses années passées là-bas et de son « premier Noël » dans le quartier. « Il y avait cette petite esplanade, c’est là que j’ai appris à faire du vélo« , dit-elle. Et Walker de conclure : « Watch Dogs n’a pas de place pour les petites filles noires qui apprennent à faire du vélo. » Selon lui, ce dont les jeux vidéo et les autres médias ont le plus besoin, « c’est quelque chose de plus complexe que cette image de vies noires dévastées« .
L’exemple HBO
Shawn Alexander Allen est développeur. Egalement interrogé, il cite en exemple les séries, notamment celles produites par HBO, qui ont depuis longtemps proposé des personnages noirs aux multiples facettes, aussi bien « du côté des bons que des méchants« . En particulier The Wire, série au casting majoritairement noir comme le notait d’ailleurs son créateur dans une longue interview accordée à L’Express en 2012.
Allen note que les personnages de The Wire, qu’ils soient flics ou gangsters, « cherchent à avancer dans la vie comme ils peuvent, dans un système qui les entoure et les piège« . La série mène aussi la guerre aux stéréotypes, comme le montraient Olivier Esteves et Sébastien Lefait dans leur ouvrage La question raciale dans les séries américaines paru l’année dernière. Une voie que les jeux vidéos devraient emprunter plus souvent selon Allen : « Les jeux semblent heureux de continuer à dépeindre des anti-héros blancs entourés de seconds rôles avec un noir par-ci et un noir par-là, au lieu de suivre l’exemple de HBO qui crée des espaces où les Noirs sont représentés dans toute leur diversité. »
Pour finir, Allen relève que deux jeux sortis récemment ont tout de même réussi à proposer des personnages noirs évitant les clichés et traités comme n’importe quel héros de jeu vidéo : Nillin dans Remember Me et Clementine dans The Walking Dead, Saison 1.
Problème pourtant : pour le doublage, les producteurs ont fait appel à des voix blanches… « Mettriez-vous du maquillage noir sur le visage d’acteurs blancs pour leur faire jouer des noirs de nos jours ? La réponse est non, évidemment ! » s’insurge le développeur. Il parle même de « digital black face« , en référence à la pratique qui consistait donc à peindre en noir le visage de blancs pour jouer des noirs stéréotypés dans le théâtre américain du XIXe siècle – en 2013, une journaliste de Elle avait d’ailleurs créé la polémique en se prenant en photo avec le visage maquillé de noir et une perruque afro. Shawn Alexander Allen avance ainsi que non seulement « faire doubler des noirs par des blancs enlève toute personnalité au personnage, mais cela contribue aussi à prouver que les jeux vidéos sont si blancs qu’ils ne parviennent pas à trouver des acteurs pour doubler des personnages noirs« .
Trop peu de Noirs dans l’industrie du jeu vidéo
Il semblerait toutefois que la représentation évolue. Catt Small, elle aussi développeuse de jeux vidéo, cite ainsi plusieurs jeux mettant en scène des personnages noirs complexes échappant aux clichés : The Walking Dead, Sunset ou encore Broken Age.
http://www.youtube.com/watch?v=kuCErygUS_g
Elle offre également une piste de réflexion qui permettrait selon elle d’améliorer la représentation des noirs dans les jeux vidéos. « Nous verrons plus de bons personnages noirs dans les jeux quand l’industrie sera plus accessible« , écrit-elle. « Le nombre de développeurs noirs est beaucoup trop petit. » La raison de ce déficit ?
« Je ne crois pas qu’il y ait un manque de Noirs désireux de se lancer dans l’industrie du jeu vidéo, mais plutôt un manque de Noirs suffisamment encouragés et ayant les moyens d’investir dans les jeux vidéo. Beaucoup de parents noirs préfèreront encourager leurs enfants à aller vers les sciences, le droit ou l’éducation, car ils craignent pour leur avenir. La question c’est : comment permettre aux Noirs de créer des jeux et de réussir financièrement, et comment changer la perception du medium lui-même afin que les parents ne découragent pas leurs enfants de se lancer là-dedans ?
Co-fondatrice de Brooklyn Gamery, Catt Small évoque ses interventions dans les lycées des communautés black et latino, durant lesquelles elle ne se contente pas de parler des techniques et des outils. « Je leur indique aussi les événements auxquels ils peuvent se rendre pour prendre part à la vie de cette communauté qu’est l’industrie du jeu vidéo. » Ajoutez à cela le développement d’outils de conception gratuits ou peu chers et quelques solutions se dessinent ainsi dans un même but : aider les jeunes noirs à intégrer le monde du gaming pour pouvoir, enfin, raconter leurs histoires.
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