Le 7 mars, le groupe Boko Haram déclarait son allégeance à Daech. Ce dernier l’a acceptée, comme l’atteste une vidéo publiée sur internet la semaine dernière par le porte-parole de l’organisation. Auteur du livre « Boko Haram – Le Cameroun à l’épreuve des menaces », le chercheur Léon Koungou revient sur les raisons qui peuvent expliquer ce rapprochement.
Le 7 mars dernier, Boko Haram a proclamé sa bay’ah – l’allégeance de son groupe – au calife Abou Bakr al-Baghadi, chef de Daech. Quel est le principal intérêt de Boko Haram à travers cette démarche ?
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Léon Koungou – C’est un véritable concours de circonstances duquel je retiendrais deux aspects fondamentaux : dans un premier temps il s’agit, pour Boko Haram, de bénéficier d’un soutien de poids, pour faire face à la mobilisation régionale qui lui fait face. On l’a notamment vu ces derniers temps, avec la mutualisation des moyens impulsés par la coalition qui regroupe le Tchad, le Cameroun ou encore le Niger, et qui met Boko Haram en grande difficulté, avec des pertes humaines et matérielles conséquentes.
C’est donc une sorte d’appel à l’aide ?
Boko Haram espère obtenir le soutien de Daech qui est déjà présent en Afrique, en Libye notamment. Il faut aussi voir cette allégeance à travers un appui et une perspective financière. Les moyens dont bénéficie aujourd’hui Boko Haram sont insuffisants. Ils provenaient à l’origine du grand banditisme transfrontalier. Mais ces canaux sont aujourd’hui beaucoup plus obstrués qu’auparavant, par l’action conjuguée des pays entrés en coalition contre le groupe
Il s’agit donc d’un rapprochement plus stratégique qu’idéologique ?
Oui, tout à fait. Pour Boko Haram, il s’agit d’une ouverture, d’une réelle possibilité de se rapprocher d’un acteur de poids, qui pourra lui fournir une nouvelle expertise dont il a grandement besoin. Mais je vois aussi un second aspect à travers cette allégeance. Il y a une véritable volonté de professionnaliser ce mouvement. Notamment dans la formation des hommes. Cela leur est nécessaire pour gérer les territoires acquis en combattant les forces militaires nigérianes.
Dans les toutes dernières vidéos postés par Boko Haram, on peut aussi se rendre compte qu’elles sont plus « abouties » ?
Oui, non seulement au niveau de la qualité technique mais aussi du message, qui est plus construit. Aboubakar Shekau – le chef officiel de Boko Haram – a parfois délivré des messages où il menaçait des personnes qui n’étaient plus de ce monde, comme l’ancien Pape Jean-Paul II ou l’ex-Premier ministre britannique Margaret Thatcher. C’est aujourd’hui fini. Le groupe a besoin d’avoir un discours plus construit, c’est aussi l’une des démarches qui peut être comprise avec ce rapprochement.
Jeudi, via son parte-parole Abu Mohammed al-Adnani, Daech a accepté cette allégeance ? Quel est leur intérêt ?
Il convient d’abord de souligner que Daech est probablement devenu, ces dernières années, la plus importante des multinationales du crime. Daech a depuis toujours été dans une sorte de concurrence avec al-Qaïda, qui a énormément perdu pied aujourd’hui. Il ne leur reste qu’une certaine obédience à travers Aqmi (al-Qaïda au Maghreb islamique, ndlr).
Dans certaines régions al-Qaïda et Daech étaient en concurrence ?
Oui mais Daech a totalement supplanté l’action d’al-Qaïda sur la scène internationale. Ils ne sont de toute façon pas sur le même registre. Daech s’inscrit dans l’orchestration même de la violence, à travers une certain matérialisation, aux moyens de scènes filmées et de la mise à disposition aux médias internationaux.
Après la Libye, l’Egypte ou encore l’Algérie, s’agit-il cette fois d’une porte d’entrée vers l’Afrique noire pour Daech ?
Oui, d’autant plus que l’influence de Boko Haram est considérable dans la région. Cela leur offrira une certaine visibilité par rapport à Aqmi qui est, je vous le rappelle, en perte de vitesse et confiné au sud de la Libye. Quand on voit les espaces occupés par Boko Haram aujourd’hui sur le continent africain, c’est tout bonnement considérable.
Cela permettra aussi d’identifier clairement la zone d’influence de Boko Haram, avec la création de nouvelles provinces, venant s’ajouter au califat revendiqué par Daech ?
Voilà pourquoi j’ai souligne qu’à travers ce rapprochement, il faut aussi voir pour Boko Haram, un besoin de côtoyer un acteur qui a déjà une certaine expertise de la gestion des territoires conquis. Boko Haram contrôle de nombreux Etats au Nigéria aujourd’hui, sa zone d’influence s’étend jusqu’aux frontières du Cameroun et du Niger, malgré l’action militaire de l’armée tchadienne ou le déploiement de mercenaires mis en place par le gouvernement nigerian.
La coalition occidentale s’attendait-elle à cette alliance ?
Je pense que c’est une dimension qui n’avait pas vraiment été pensée par les différents état-majors. Les politiques, à l’échelle septentrionale, se sont d’ailleurs illustrés par un certain cynisme et n’ont pas joué franc jeu dans cette histoire. Mais véritablement, on n’a pas vu de véritable soutien international arriver. C’est la plus grande peur aujourd’hui, aussi bien pour la coalition au niveau local, que pour l’Occident : que se multiplient des jonctions entre les différents mouvements, comme entre Daech et Boko Haram. Car cela signifierait alors l’implantation d’une véritable base arrière du terrorisme, dont les action seraient dès lors ciblées vers les intérêts occidentaux.
Quels politiques n’ont pas joué « franc jeu » ?
Les politiques locaux. Beaucoup estiment que Boko Haram n’est encore qu’une secte. Alors que c’est un véritable projet de société, partagé par une marge significative de la population nigériane. Il faut rappeler que le Nigeria, c’est aujourd’hui 36 fédérations dont une douzaine appliquent la charia, qui est pourtant interdite par la Constitution fédérale. En sous-main des politiciens soutiennent en quelque sorte l’action de Boko Haram et la financent. Il y a donc un certain réalisme et un cynisme politique dans toute cette affaire.
Peut-on désormais craindre un effet boule-de-neige avec de nouvelles allégeances ?
Oui c’est tout à fait probable, il faut le prendre en compte. La difficulté pour les Etats africains, c’est qu’ils n’ont pas encore compris que la menace Boko Haram/Daech ne tenait pas compte des frontières. La lutte, pour qu’elle soit efficace, doit outrepasser cette dimension. Bien évidemment, pour certains Etats, tant que le mal n’est pas véritablement implanté sur leur territoire, ils restent dans la posture du spectateur. Pour le Cameroun, il y a encore quelques mois, Boko Haram n’était qu’un problème nigérian, sans aucune implication pour eux. Mais à partir du moment où le mouvement a clairement affirmé ses intentions, c’est à dire s’implanter au Cameroun, ils se sont mobilisés pour les combattre. Ce fut pareil pour le Tchad. Je pense qu’aujourd’hui les Etats africains doivent avoir une politique stratégique d’anticipation, pour leur permettre de mutualiser leurs moyens et contenir cette menace.
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