Expressionniste, gothique, et admirable de maîtrise : le jeune metteur en scène allemand David Bösch donne toute son ampleur au Woyzeck de Georg Büchner.
Il est assis au centre de la scène, la tête serrée dans un anneau de fer d’où partent d’étranges appendices qui montent vers le ciel. Woyzeck reçoit sa dose d’électrochocs. Le Docteur, qui lui administre ce traitement avec une jubilation non dissimulée, a tout du savant fou.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En situant la pièce de Büchner dans un univers au fantastique rétrofuturiste, le metteur en scène David Bösch souligne la dimension hallucinée de ce théâtre de la cruauté imaginé par un auteur génial, mort en 1837 à l’âge de 23 ans, tout en évoquant les folies de l’histoire récente. Son savant fou aurait très bien pu travailler pour les nazis, par exemple.
Surtout, en plaçant Woyzeck au centre d’un réseau de fils qui partent de sa tête, c’est comme s’il l’emprisonnait dans une toile d’araignée. Une image assez littérale, Woyzeck n’étant pas loin d’identifier l’univers à un inquiétant complot cosmique : “Avez-vous déjà vu les dessins qu’ils font par terre, en poussant, les champignons ? Celui qui pourrait lire ça !”
Woyzeck est une énigme, pour les autres et pour lui-même. Il a beau tirer les fils de son esprit dans tous les sens, il se heurte à toujours à plus de confusion, pris qu’il est dans un noeud de contradictions inextricable. La scénographie traduit ce sentiment d’enfermement au sein d’une réalité malade éprouvée comme une chape de plomb. On se croirait dans un bunker où seule une ouverture arrondie permet de voir le ciel, l’espace scénique figurant en quelque sorte la vision réfractée de la subjectivité du héros.
Rien n’est à sa place dans Woyzeck. Dans une ambiance macabre au goût d’Halloween déchirée par les riffs stridents d’une fanfare rock montée sur une planche à roulettes, la belle mise en scène de David Bösch installe le personnage au coeur d’un monde crépusculaire qui ne tourne plus très rond.
Objet des expérimentations d’un savant cynique, subissant les railleries du Capitaine à qui il fait la barbe tous les jours, tourmenté par l’infidélité de Marie, sa compagne et la mère de son enfant, qui fricote avec le Tambour-Major, Woyzeck s’efforce désespérément d’ajuster les éléments d’une réalité qui semble se moquer de lui.
Cette atmosphère dérangée, dans une veine gothique résolument outrée, oscille entre magie et cauchemar. Le Capitaine est une gueule cassée dans un fauteuil roulant, un sac d’urine à ses pieds. Le Tambour-Major a une tête de mort et des problèmes d’érection.
Cette dérision dans la noirceur fait écho aux mots de Woyzeck, qui voit dans la lune “un morceau de bois pourri” et dans le soleil “un tournesol fané”. Un spectacle de très haute tenue.
Woyzeck de Georg Büchner, mise en scène David Bösch, avec Sarah Viktoria Frick, Sigfried Gressl, Holger Kunkel, Raiko Küster, Florian Lange, les 20 et 21 avril au Maillon de Strasbourg, tél. 03.88.27.61.81 /// www.le-maillon.com
{"type":"Banniere-Basse"}