Devenu incontournable pour analyser les rapports de domination qui traversent nos sociétés, le genre a désormais son encyclopédie. Une synthèse qui croise biologie, sociologie, histoire, art, psychanalyse et permet de repenser corps, sexualités et rapports sociaux. Rencontre avec Juliette Rennes qui a dirigé cet ouvrage appelé à faire date.
Juliette Rennes est enseignante-chercheuse en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales. Elle a coordonné un travail collectif d’envergure pour un résultat marquant, autant pour les universitaires que pour toute personne s’intéressant aux questions sociales et politiques : une encyclopédie critique du genre où se croisent linguistes, juristes, historien-ne-s ou encore biologistes et spécialistes de la danse.
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Dans cet épais volume, on trouvera par exemple des entrées sur le « queer« , le « corps au travail » ou sur le « langage » mais également des notices plus surprenantes comme celles sur l' »animal« , la « danse » ou les « fluides corporels« . C’est une somme de plus de soixante notices entre lesquelles il est possible de circuler et qui dessinent ainsi ce que peut bien être cet étrange objet, à la fois concept et champ de recherche qu’est le « genre ».
Juliette Rennes nous guide à travers son encyclopédie et revient avec nous sur cet outil permettant de croiser les problématiques sociales au-delà des frontières disciplinaires.
Pourquoi et comment une telle encyclopédie aujourd’hui ? Est-ce qu’il y avait une nécessité particulière ?
Juliette Rennes – Les recherches sur le genre et la sexualité existent depuis quarante ans en sciences sociales, mais il me semblait manquer, en langue française, un « état de l’art » qui fasse le point sur les transformations les plus récentes de ces recherches dans l’ensemble des sciences sociales et non dans une seule discipline, ce qu’ont déjà fait, plusieurs ouvrages de référence, par exemple en science politique, en sociologie, en histoire… Ce projet de partir des renouvellements les plus contemporains de ce champ de recherche tout en prenant au sérieux le genre comme catégorie d’analyse qui traverse les frontières disciplinaires s’est précisé au fil d’échanges collectifs avec l’équipe scientifique de l’encyclopédie. Cette équipe est justement composée de collègues de diverses disciplines : Catherine Achin et Alexandre Jaunait sont politistes, Gianfranco Rebucini est anthropologue, Armelle Andro est démographe, Laure Béreni et Rose-Marie Lagrave sont sociologues, et Luca Greco est linguiste. Nous avons opté pour des entrées thématiques, correspondant à des domaines et des objets d’enquêtes que les approches au prisme du genre ont particulièrement renouvelés. A la lecture, l’un des intérêts de la forme « encyclopédie » est de pouvoir suivre différents fils thématiques et conceptuels en utilisant le système de renvois d’une notice à l’autre ; le format de chaque article, une dizaine de pages, permet de proposer des états de la recherche approfondis sur chaque domaine traité, ce qui différencie le projet d’un simple dictionnaire terminologique sur les études de genre, par exemple.
Qu’est-ce qui a changé selon vous ?
Il y a évidemment des changements de tous ordres, mais on a choisi de les rendre visibles à travers trois axes qui traversent l’ensemble des notices. Le premier axe, c’est celui du corps : les notices montrent comment les travaux sur le genre ont transformé non seulement la perception qu’on avait des usages sociaux du corps dans la vie quotidienne (qu’il s’agisse de se déplacer, exprimer des émotions, accomplir des gestes professionnels, séduire…), mais aussi des différences corporelles entre les sexes (les organes génitaux, la taille, la voix, la corpulence…). Le deuxième axe est celui de la sexualité : on s’est intéressé à la place centrale prise, dans l’analyse des rapports de genre, par les enquêtes sur le désir et les normes sociales qui l’encadrent, sur les pratiques érotiques et procréatives, sur les économies du sexe et les violences sexuelles . Enfin, le troisième axe, “les rapports sociaux” renvoie au développement des approches s’intéressant à la façon dont des inégalités liées au statut social, à la couleur de peau, à l’âge, à l’état de santé, à la nationalité, à l’apparence physique, à la religion ou à l’orientation sexuelle peuvent renforcer ou contrebalancer des inégalités liées au genre. L’ensemble des notices de l’encyclopédie montre de quelles manières ces approches multidimensionnelles des rapports sociaux ont transformé les représentations de la domination au sein des études de genre.
Quand on parle de genre aujourd’hui, de quoi parle-t-on ?
Je dirais que le genre est d’abord une question de recherche. N’importe quel domaine du monde social peut être interrogé sous l’angle de ce qu’il nous apprend sur les relations concrètes entre les sexes, sur les normes qui les régissent, sur les éventuelles transformations ou subversions de ces normes selon les situations et les périodes historiques ; cela peut signifier aussi d’interroger le système symbolique de différenciation et de hiérarchisation du masculin et du féminin, la façon dont ce système régit les usages de l’espace, d’un produit culturel, d’une technologie, d’un objet quelconque… Le genre désigne donc moins un objet empirique de recherche qu’un certain regard sur tout objet empirique. C’est ce dont témoignent de nombreuses métaphores comme le fait d’étudier un phénomène « au prisme du genre », en « chaussant les lunettes du genre » ou encore le fait qu’on emploie souvent la dénomination « études de genre » plutôt que « sur le genre ».
Comment évaluez-vous la place des études de genre en France ? Est-ce que c’est un champ développé à l’université ?
Si on compare aux 284 licences et 54 masters en genre et sexualité qui existent dans les universités aux Etats-Unis, l’offre de programmes d’enseignement en France apparaît minuscule ! Mais cela tient aussi à l’organisation des départements universitaires en France qui demeure plutôt par disciplines que par objets d’étude, et en quinze ans, l’offre d’enseignement spécialisé sur le genre et la sexualité en France a quand même progressé. La plupart du temps, ce sont des cours optionnels, il est donc tout à fait possible, sinon probable, d’être diplômé en sciences humaines et sociales en France sans avoir suivi un seul cours sur le genre… Mais si on cherche un cursus spécialisé, en licence, en master, ou dans le cadre de la formation continue, l’offre existe dans plusieurs universités à Paris, Rennes, Bordeaux, Lyon, Toulouse… Côté étudiant, il y a une vraie demande. A l’EHESS, le master de recherche en genre et sexualité est passé de 5 étudiants en 2005 à plus de 100 aujourd’hui. Ensuite, au sein des disciplines instituées, les approches en termes de genre sont très inégalement développées. Il serait par exemple difficile de faire aujourd’hui un cours de sociologie du travail en ignorant totalement la ségrégation des métiers par sexe, le plafond de verre, les écarts de salaires entre les sexes. En droit, en sciences du langage, en philosophie ou en sciences économiques, la présence du genre comme question de recherche est bien plus marginale, ce qui est aussi en train de changer depuis quelques années, grâce aux activités de collègues et d’étudiants qui organisent des colloques, créent des réseaux de recherches ou des revues dans ce domaine.
Parmi les entrées, certaines sont attendues comme « Postcolonialisme » ou « Placard » et d’autres sont plus étonnantes comme « Animal » ou « Objet ». Comment avez-vous constitué cette liste de notices ?
Cette liste est le résultat d’une veille académique relative aux travaux de sciences sociales que réalisent des étudiants et des chercheurs, ainsi qu’une veille plus politique sur les transformations des enjeux des luttes féministes, LGBT et queer : il y a bien sûr une circulation entre des connaissances sur le genre et la sexualité produites en sciences sociales et des savoirs élaborés dans les mobilisations collectives. Même si leur temporalité et leurs enjeux sont très différents. Par exemple, dans l’entrée « Animal », l’auteur, Flo Morin, rend compte des débats théoriques et politiques sur les relations entre féminisme, antispécisme, véganisme et critique du capitalisme, mais aussi des échanges qui se sont développés entre les études de genre et les « critical animal studies » pour penser la conjonction historique, à la fin du XIXe siècle, entre hiérarchisation des races, hiérarchisation humains/animaux et hiérarchisation des sexes.
Comment circule-t-on dans l’encyclopédie, par exemple si l’on ouvre l’Encyclopédie à l’entrée « Poids/Corpulence » ?
Cette entrée est liée à une série d’autres notices qui portent sur différentes dimensions des normes corporelles (Beauté, Séduction, Taille, Handicap, Corps légitime, Santé…), envisagées en relation avec les inégalités et les hiérarchies sociales : dans l’entrée « Poids », la sociologue Solenn Carof montre comment s’articulent les normes de corpulence et la stigmatisation de femmes de classes populaires. Mais cet article peut être lu également en relation avec l’entrée « Placard » car la honte sociale, liée au surpoids, a été pensée par des activistes et des chercheurs en relation avec la honte sociale liée à des désirs sexuels illégitimes. Certaines luttes de femmes et d’hommes en « surpoids » ont pris modèle sur la Gay Pride ou le coming out pour assumer un corps s’écartant des normes. Dans la notice « Age », je m’intéresse à la honte du vieillissement corporel, une honte elle aussi très genrée au sens où le stigmate du vieillissement de l’apparence pèse davantage sur les femmes. Or des mouvements « anti-âgistes », comme les Babayagas à Montreuil, enjoignent aussi les vieilles femmes à « sortir du placard » et font explicitement référence aux luttes gaies et lesbiennes. La forme encyclopédie permet notamment de suivre cette circulation des problématisations, des concepts entre différents domaines de recherche et de luttes.
Comment avez-vous organisé la pluridisciplinarité de l’ouvrage étant donné que chaque auteur appartient à sa propre discipline ?
C’est une question qui s’est posée tout au long de la réalisation de l’ouvrage ! Par exemple, l’entrée « Nudité », si on l’avait confiée à une personne spécialisée en histoire de l’art, elle aurait sans doute insisté davantage sur le nu dans la peinture et la culture visuelle en général ; si on l’avait confiée à une personne spécialisée en histoire coloniale, elle aurait donné plus de place au rôle que joue le dénudement dans les rapports de domination sexuelle et raciale ; tandis qu’une personne spécialisée en science politique se serait peut-être davantage intéressée aux mobilisations individuelles et collectives utilisant la nudité comme arme politique ; Juliette Gaté, qui a réalisé cette notice, est partie d’une autre perspective : elle s’est interrogée sur le statut de la nudité dans le droit, au prisme du genre : quelles parties du corps dénudées sont considérées comme un exhibitionnisme selon le sexe et selon les contextes ? Quel est le statut juridique de la poitrine nue ? En quoi le voyeurisme est-il un délit genré ? En tant que juriste, elle a pris notamment l’angle de la pénalisation pour analyser les normes de genre, même si elle a également abordé la question du nu dans l’art ou de la nudité dans les luttes ! La consigne était de ne se limiter à une approche disciplinaire. C’est aussi ce qui explique qu’un certain nombre de notices sont co-écrites par deux ou trois personnes de différentes disciplines ; c’est le cas de Corps maternel, Drag/Performance, Fluides corporels, Nation, Race ou encore Vêtement…
Plusieurs auteurs assument d’occuper une position dans des débats sur le genre et la sexualité. N’est-ce pas étrange pour une encyclopédie ?
On pointe souvent le côté politique des études de genre ; mais, ce qui gêne n’est-ce pas que ce champ a justement contribué à faire ressortir les implications politiques de toute pratique scientifique ? Etudier tout un système social sans jamais voir les rapports de domination entre les sexes ou bien décrire le fonctionnement d’une société en ne parlant qu’au masculin, c’est, d’une certaine manière, contribuer à la conservation de l’ordre social tel qu’il est ; c’est donc aussi occuper une position politique. Par exemple, quand Claude Lévi-Strauss écrit « Le village entier partit le lendemain dans une trentaine de pirogues, nous laissant seuls avec les femmes et les enfants » ou quand Bourdieu explique, dans un article sur « la jeunesse », que « les adolescents des classes populaires » ont « le désir d’accéder le plus vite possible au statut d’adulte » pour « s’affirmer vis-à-vis des copains et avec les filles », on comprend que « le village entier » ou « les adolescents » sont limités aux êtres humains de sexe masculin sans que cela soit problématisé ni même perçu. Avec le concept d’androcentrisme, les premières chercheuses féministes ont fait ressortir ce biais qui consiste à voir le monde à partir d’une expérience et d’un point de vue uniquement masculins. L’articulation des études de genre et de la sociologie des sciences a été très importante pour montrer que l’opposition entre certains travaux scientifiques qui seraient « neutres » et certains qui seraient militants est naïve ; il faut plutôt reconnaître la dimension située de toute position de production des savoirs sur le monde social.
Est-ce à cette position que fait référence le terme « critique », dans l’encyclopédie critique du genre ? N’est-ce pas paradoxal pour une encyclopédie d’être « critique » ?
Le projet de cet ouvrage est porté par une volonté collective de couvrir largement un ensemble de recherches réalisées, tout en assumant une position située au sein de ce champ, où les savoirs ont aussi des enjeux politiques. Assumer une position critique en sciences sociales implique de penser que les résultats de nos travaux peuvent rendre visible comment se reproduit l’ordre social avec ses injustices, ses inégalités, ses interdits et comment peuvent s’élaborer d’autres horizons possibles : par exemple, lorsque des historiens ou des anthropologues montrent, à travers l’étude d’une diversité de sociétés, que la famille hétérosexuelle occidentale contemporaine formée de deux parents et de leurs enfants biologiques n’est en rien un modèle universel de filiation et de parenté, c’est une connaissance qui peut être mobilisée dans les débats sur les différentes formes possibles d’union et de filiation des couples de même sexe.
Adopter une position critique implique aussi d’exercer une vigilance au sein même des études de genre, par exemple vis-à-vis de travaux qui se focalisent uniquement sur le critère des inégalités entre les sexes au détriment des inégalités sociales. Dans l’encyclopédie, les entrées « Mondialisation », « Care » et « Travail domestique / Domesticité » s’intéressent aux inégalités sociales entre femmes, notamment à travers les femmes socialement privilégiées qui délèguent les activités domestiques ou de soin à leurs enfants à des femmes migrantes, qui à leur tour sont amenées à déléguer à d’autres femmes le soin de leur propre famille, restée dans leur pays d’origine. Dans toutes ces situations, ces activités de travail domestique et de soin aux proches tendent à être gérées ou exercées par des femmes, la question du genre est donc pertinente pour les analyser, mais le genre pris isolément n’éclaire pas les chaînes d’inégalités liées à la classe sociale, à la couleur de peau, à la nationalité qui traversent ces relations entre femmes. Dans certains magazines féminins, la superwoman, mère de plusieurs enfants qui réussit une brillante carrière comme cadre d’entreprise, est présentée comme un modèle féministe pour les femmes, mais quel est le périmètre social de ce féminisme ? Adopter une perspective critique implique de se méfier non seulement des énoncés androcentriques qui croient décrire l’ensemble de la société en ne parlant que des hommes, mais aussi de certains énoncés féministes qui parlent « des femmes » en général, en ne faisant référence qu’aux femmes les plus privilégiées.
Est-ce que c’est devenu plus difficile aujourd’hui de définir ce qu’est l’identité masculine et l’identité féminine ?
Il existe au sein des études de genre un certain scepticisme envers ces idées d’identités féminine et d’identité masculine. Avec le recul historique, ce qu’on a considéré comme une espèce de socle transhistorique, éternel, de la différence des sexes est de plus en plus fragilisé par les découvertes des sciences biologiques, des sciences sociales, mais aussi par les expérimentations concrètes d’activistes, par exemple dans le mouvement queer, qui revendique qu’on puisse dissocier l’identité de genre et l’orientation sexuelle et de ne pas avoir à se définir dans le système binaire femme-homme : ce n’est pas parce qu’on est plus confortable avec le fait de s’identifier comme femme, au sens des conventions de la féminité, qu’on est forcément attiré par des hommes, pas plus qu’un homme perçu comme “féminin” devrait forcément être attiré par des hommes. Ce ne sont pas les études de genre qui décrètent ce fait : ce sont simplement des individus ou des groupes qui assument des identifications plus fluides par rapport aux normes de genre et à la façon dont elles s’articulent à leur désir.
Vous trouvez que ce champ a été très idéologisé ? Il y a eu beaucoup de mauvaises informations et une confusion entre “la théorie du genre” et le genre.
L’expression “la théorie du genre” diffusée par le Vatican, et qui a beaucoup circulé sous la plume des adversaires de ce champ de recherche, visait à rabattre le genre à une invention spéculative hors-sol. Or ce livre collectif montre bien que les théorisations des rapports de genre sont ancrées dans des données empiriques. Même la philosophe Judith Butler, adversaire n° 1 des “anti-genre”, a fondé ses travaux théoriques sur l’observation d’une activité sociale très précise : celles des femmes qui apprennent à accomplir des postures, des rôles, des gestes masculins et inversement : ces ateliers Drag king et Drag Queen ont fait l’objet de maintes enquêtes en sciences sociales et permettent vraiment de décrire la féminité et la masculinité comme un ensemble de performances qui peuvent être apprises, ce qui n’implique nullement, comme on l’a cru parfois, que Butler décrète qu’il est facile de s’émanciper des rôles de genre appris depuis l’enfance !
Les mobilisations contre « la théorie du genre” et contre les politiques publiques liées aux questions d’égalité des sexes et des sexualités ont eu des effets ambivalents. Les slogans et les revendications de mouvements comme la manif pour tous ont été vécus comme violents et stigmatisants par toutes celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans la famille traditionnelle. En même temps, cette panique anti-genre a rendu plus visibles les recherches liées au genre et à la sexualité : ces cinq dernières années, il y a une demande sociale, éditoriale et journalistique pour comprendre ce que c’était au juste, cette histoire de théorie du genre. Le mot lui-même de genre s’est banalisé et a perdu ses guillemets.
Les changements sociaux sont lents. Vous avez la sensation qu’on est dans une société qui bouge qui évolue ? En même temps, on entend des discours extrêmement réactionnaires. Vous pensez qu’on se situe où ? Que nous sommes dans quelle époque ?
Le fait même qu’il y ait eu une organisation des mouvements antigenre tient justement à certaines conquêtes. J’ai travaillé pour ma part sur le début du XXe siècle : les antiféministes n’avaient pas besoin de s’organiser dans une ligue et des associations pour rejeter le féminisme : leur position était partout représentée dans les grands journaux, dans la culture visuelle, la littérature, dans la loi. Le fait que des groupes s’autoproclament aujourd’hui “masculinistes” ou anti-genre révèle que leur position ne va plus de soi. De façon générale, la position selon laquelle les différences sociales entre les sexes seraient le reflet d’un ordre naturel est de plus en plus difficile à défendre. Dans les manifestations anti-genre, on trouvait des pancartes disant “Touche pas à mes stéréotypes de genre !”. Il y a dans ce slogan une dérision de la terminologie adverse, mais si on la lit littéralement, on peut aussi entendre une façon de reconnaître que les rôles traditionnels de sexe auxquels tiennent les anti-genre n’ont rien de spécialement naturel, qu’ils y tiennent simplement comme à des valeurs morales. Et pour discuter de ce que l’on souhaite comme société et confronter des arguments, c’est déjà un meilleur point de départ que d’invoquer à tout bout de champ la nature.
Ceci dit, les politiques réactionnaires sur les droits des femmes et des minorités sexuelles promues depuis 2016 en Pologne, en Turquie, en Russie, et depuis 2017, aux Etats-Unis nous rappellent qu’il ne faut rien considérer comme acquis. En France, à la différence des Etats-Unis, un gouvernement conservateur aurait peu d’intérêt à remettre directement en question le droit à l’avortement auquel la majorité de la population est attachée. Mais il pourrait réduire encore les subventions du planning familial, celles des associations féministes et plus largement des dépenses publiques liées aux aides sociales, qui ont favorisé le travail des femmes. En matière de droit des minorités sexuelles et de protection juridique des nouvelles formes familiales, la vigilance s’impose d’autant plus dans les années à venir que les conquêtes sont récentes, clivantes et encore largement inachevées.
Encyclopédie critique du genre de
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