Tous les mois, Les Inrocks vous proposent de découvrir un·e youtubeur·se que vous ne connaissez (peut-être) pas encore. Pendant que les « vieux » Youtubeurs ronchonnent, Léna zigzague entre les haters sur sa trottinette électrique et bouscule les codes du Youtube-jeu. Rencontre.
Début décembre, alors que certains Youtubeurs s’agaçaient contre cette plateforme qui les “ennuie”, une jeune vlogueuse de 22 ans tenait un discours bien différent à ses abonnés : “Moi j’ai l’impression que la plateforme est tellement loufoque, qu’il y a tellement de types de contenus, et que c’est difficile de s’ennuyer.” La jeune femme en question, Léna Situations, sait de quoi elle parle : avec ses amis influenceurs et ses 960 000 abonnés, cette star montante de Youtube pourrait bien changer le visage du divertissement sur Internet.
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Une “vie à la Hannah Montana”
La vie numérique de Léna a débuté, comme beaucoup de jeunes de son âge, avec un Skyblog (désactivé depuis car jugé “cassos on fire” par son autrice) et une obsession : la mode. Pour cette passionnée d’écriture et de journalisme, le blog lui permet de partager ses achats et de répondre aux premières questions de ses abonnées sur le site Ask.fm. “Après mon bac, explique-t-elle aux Inrocks, je suis entrée dans une école de communication spécialisée dans la mode et le luxe, et si mes parents m’aidaient car elle coûtait 10 000 euros par an, il fallait que je puisse devenir indépendante financièrement.”
Tout en multipliant les jobs, du babysitting au community management pour une marque de vêtements, elle se découvre en cours une passion pour l’image, la vidéo, et le montage. Dès 2015, elle se lance donc sur Youtube : les hauls, les lookbooks et les Get Ready With Me s’enchaînent. Très vite, la vidéaste finit par faire évoluer sa ligne éditoriale, au gré de la curiosité de ses abonnés, mais aussi, par peur de tourner en rond.
“En janvier 2018, je suis partie finir mes études à New York. C’est là que j’ai commencé à vouloir partager ma vie là-bas. Quand je pars en voyage et que j’ai de belles images, je suis frustrée de ne pas pouvoir les partager.”
Tout en racontant son American Dream sous forme de vlogs, des journaux intimes vidéo, elle n’hésite pas à sortir de l’esthétique habituelle et très épurée du lifestyle, pour se filmer en hoodie, dans sa chambre mal rangée, et se tourner en autodérision, montrer sa normalité, ou se confier sur le syndrome de l’imposteur. Aujourd’hui encore, alors qu’elle filme son faux mariage à Las Vegas, ses virées au Printemps ou son People Choice Award à Los Angeles, la jeune femme jure ne pas avoir perdu le contact avec la réalité. “Au début, je pensais qu’avoir de l’argent me rendrait heureuse, je voulais gagner ma vie pour avoir du matériel. Mais au final, j’ai fait ma courbe du bonheur, et ce qui me rend heureuse, ce n’est pas le matériel, c’est bouger.”
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Adepte du développement personnel et toujours imprégnée de la culture américaine du self-made, elle semble même avoir trouvé une stabilité professionnelle. Elle a signé un CDI avec la marque Jennyfer pour s’occuper notamment de leur chaîne Youtube, et continue en parallèle ses vidéos via son entreprise, gérée avec l’aide d’une assistante, sans avoir signé de contrat d’exclusivité avec une agence d’influenceurs.
Cette indépendance lui permet, selon elle, de ne pas se soucier de la pression financière quand elle tourne ses vidéos. “Je crois que j’ai un peu une vie à la Hannah Montana en ce moment, s’amuse la jeune femme. Un coup je suis au bureau, un coup je suis à la Fashion Week, un coup je fais de la compta chez moi, et le lendemain, je vais à un shooting.”
La série de Disney Channel, portée à l’époque par Miley Cyrus, est loin d’être une référence en l’air pour la Youtubeuse. Son imaginaire culturel puise aussi ses inspirations outre-Atlantique, à mi-chemin entre Ariana Grande, Kris Jenner, et Zac Efron. Mais c’est une série née en 1994, trois ans avant elle, que la jeune femme cite le plus souvent, pour notamment définir sa vision de l’amitié : Friends.
Cool kids of YouTube
Quand on accède au rang de célébrité, et d’autant plus quand celle-ci est mesurable comme sur Youtube ou Instagram, le concept d’amitié prend une autre définition. Léna, comme les autres, a dû apprendre à faire le tri : “Comme dans un travail traditionnel, certains restent juste tes collègues, que tu les aimes ou pas, et d’autres peuvent devenir un peu plus que ça.”
C’est essentiellement au cours de soirées d’influenceurs qu’elle rencontre son groupe d’amis actuel : Maya, Bilal Hassani, candidat français à l’Eurovision en 2019, Johann (aussi connu sous le nom de SparkDise), Sulivan Gwed, Ben Herbez, Johann Papz, ou encore Alix Gavoille.
“S’il y a toujours eu cet esprit de groupe dès le départ, c’est parce qu’on est tous animés par une passion : que ce soit l’envie de faire rire, de chanter, de partager notre vie, ajoute Ben Herbez. De mon côté, je chante à la base, mais je ne savais pas vraiment comment me lancer. Et Léna m’a donné beaucoup de conseils, elle m’a vraiment motivé avec les autres et si aujourd’hui, je peux déjà en faire mon métier, c’est aussi grâce à elle.”
Une spontanéité et un discours qui transparaissent dans les vidéos de ces « cool kids of Youtube ». D’une semaine à l’autre, on les suit dans des boutiques branchées, à la supérette pour chercher des pizzas surgelées et du Coca-Cola, en voyage aux quatre coins du monde, ou à “l’hôtel Mahfouf” (chez Léna), pour improviser des défilés de mode ou échanger des morning routine… “Notre groupe n’est pas loufoque parce que la caméra est allumée, estime Léna. C’est moi qui a commencé à filmer parce qu’ils étaient hilarants.” Johann continue : “Je pense qu’on a très bien compris que l’authenticité, c’était ce qui plaisait le plus aujourd’hui”.
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Même la frontière entre vie privée et vie publique ne semble plus les effrayer. Y compris lorsque Léna a dû gérer une rupture difficile l’été dernier : “Il y a eu un peu de drama, étant donné les circonstances, mais mes abonnés ont été extrêmement bienveillants à ce sujet.”
Aujourd’hui, si elle reste encore discrète sur sa nouvelle relation, elle estime faire suffisamment confiance à sa communauté pour s’ouvrir un peu plus encore : elle a récemment présenté sa mère sur Twitter. Hors de question par contre de se montrer ivre en soirée ou en train de fumer. “Même si la majorité de mon audience a entre 18 et 24 ans, je veux rester une bonne influence. On a fêté Noël en août, ça nous faisait rire, et ça fait de mal à personne.”
Trouver sa place
Récemment, Léna a découvert que certaines de ses idoles sur Youtube estimaient qu’elle n’avait pas sa place sur la plateforme.
“Cela m’a blessée au début, mais j’ai compris qu’il y a le même décalage avec eux que nous avec TikTok au début par exemple, reconnaît-elle aujourd’hui. On a tous cette envie, facile, de juger la nouvelle génération, et je refuse de rentrer là-dedans.” “C’est comme si on disait que Picasso était énervé parce que les autres artistes ne faisaient pas les mêmes toiles que lui, renchérit Johann. Sur Youtube, la toile est blanche, tu fais ce que tu veux dessus. Il y a de la place pour tout le monde.”
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Ce discours d’acceptation est d’autant plus important pour ce groupe d’amis que certains membres ont longtemps été moqués par une partie des internautes, notamment pour leur vision de la masculinité. “On n’a pas de mal aujourd’hui à se montrer tel qu’on est, et on voit que ça aide certains de nos abonnés, raconte Johann. On reçoit des messages de garçons qui nous racontent qu’ils ont enfin osé mettre de l’eyeliner, d’autres abonnées qui nous expliquent que nos vidéos les ont aidés à faire leur transition. On veut juste montrer que tout ça, c’est normal.”
“Beaucoup estiment que nos vidéos n’apprennent rien aux gens, qu’il n’y a rien derrière, ajoute Ben. Mais s’il y a bien un message, et c’est le plus important, c’est qu’on peut être nous-même, qu’on n’a pas peur de le montrer devant plein de monde. Et ces personnes peuvent s’inspirer de cela, et se dire qu’elles aussi peuvent vivre leur vie.”
Lors d’un vlog d’août tourné à Disneyland, après une rencontre difficile avec de jeunes adolescents, Léna a pris la parole pour défendre son ami Bilal, régulièrement visé par des insultes homophobes depuis sa participation à l’Eurovision. “On m’a toujours éduqué avec des valeurs d’acceptation de l’autre, explique Léna. Cette façon d’être s’est encore développée quand j’ai rencontré Bilal, Ben, Sulivan et les autres. Cette nouvelle génération m’a appris qu’il n’y avait pas de case pour les gens, tout simplement. Qu’on peut être efféminé et hétéro quand on est un garçon. C’est extrêmement libérateur d’être avec eux. Et je suis ravie que ce message puisse exister simplement grâce à notre façon de vivre ensemble.”
Ce groupe d’amis, sans forcément s’en rendre compte, change le regard de milliers d’internautes sur eux-mêmes, et sur les autres. Et prouvent, loin des clichés qu’on aimerait leur coller, et contrairement à ce qu’un psychologue a récemment affirmé dans un reportage sur France Inter, que l’influence des influenceurs peut aussi s’avérer positive.
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