Canal+ s’est associée à la télé suédoise pour produire “Jour polaire”, écrite et réalisée par les auteurs de la série “Bron”. Un thriller dans le Grand Nord où brille Leïla Bekhti isolée dans le désert de Laponie pour quatre mois. Ambiance de tournage.
Sur une route déserte, bordant un lac silencieux où rien ne semble vibrer à part les reflets du soleil qui ne se couche jamais en été dans le Grand Nord suédois, nous roulons vers Björkliden, un petit village du parc national d’Abisko, au nord de Kiruna, capitale minière de la région, pas très loin des norvégiennes îles Lofoten. En pleine Laponie suédoise, le jour sans fin abolit toute sensation du temps qui passe : ici, on trépasse ou on s’adapte à la luminosité intacte du soleil de minuit.
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En pleine nuit, c’est-à-dire en plein jour, l’actrice Leïla Bekhti s’agite, un fusil à la main, poursuivant un chaman inquiétant le long d’une rivière déchaînée. On nous avait prévenus : il faut se méfier de la beauté imposante des grands paysages du Nord, elle cache nombre de bizarreries et une violence prête à jaillir des eaux gelées où s’abreuvent les rennes.
Premier rôle dans une série télé
Installée dans ce désert sauvage depuis le début de l’été, l’actrice française tourne en anglais jusqu’à fin octobre une série franco-suédoise, Jour polaire, produite par Olivier Bibas (Atlantique Productions, déjà producteur de Borgia), Canal+ et la télé publique suédoise SVT. Pour son premier rôle dans une série télé, Leïla brille en policière, capitaine de l’Office central pour la répression des violences aux personnes, venue enquêter en Suède sur le meurtre d’un citoyen français. Le récit se concentre sur sa collaboration avec le procureur local, interprété par Gustaf Hammarsten, une star de la télé suédoise.
Le cadre d’un thriller classique semble pourtant ici légèrement réducteur, sinon trompeur. Sous le vernis ritualisé d’une série policière scandinave – grosse tendance sur le marché mondialisé de la série –, Jour polaire promet un récit qui excède les règles autorisées du genre pour s’aventurer vers les récifs rugueux du politique. La série entend explorer notamment la question identitaire de la minorité locale lapone mal-aimée, les Samis, l’un des plus grands groupes indigènes d’Europe, vivant dans une zone couvrant le nord de la Suède, de la Norvège et de la Finlande.
Auteurs de séries télé plébiscitées
“La xénophobie est un problème qui ne cesse de se répandre en Europe”, nous confient d’une voix commune les deux auteurs et réalisateurs de la série, Måns Mårlind et Björn Stein. “Les relations entre les Suédois et les Samis sont fondées sur un type de rejet proche de celui qu’ont subi les Indiens d’Amérique, les Juifs d’Europe, ou qu’éprouvent encore les Roms ou les réfugiés africains”, ajoutent-ils. Comme une manière de signifier que leur série interrogera en creux le climat politique nauséabond qui flotte aujourd’hui en Europe.
Complices depuis leurs années d’étudiants en cinéma, Måns et Björn se sont imposés dans le paysage de la fiction scandinave depuis le succès de leur série Bron, qui, en 2011 déjà, jouait avec les codes du thriller sur un fond social (une enquête sur des crimes autour d’un pont reliant la Suède et le Danemark). Aujourd’hui, ils font partie de cette grande famille scandinave des auteurs de séries télé plébiscitées (Borgen, The Killing, Lillyhammer, Real Humans…).
De plus en plus soucieuse de développer des coproductions internationales et attentive au recentrage de la fiction télé du côté du cercle polaire, Canal+ a été “séduite”, nous confirme Dominique Jubin, directrice adjointe de la fiction, par l’idée de ce thriller ancré dans un paysage lumineux et porté par un récit trouble.
Souffrances collectives et le besoin de reconnaissance
L’entrelacement de la lumière et de l’étrangeté constitue un motif central de la série, qui résonne dans le corps même des acteurs. Leïla Bekhti nous confie qu’elle a “du mal à trouver le sommeil” à cause du soleil de minuit, qui fait vite perdre ses repères. Comme un écho à son personnage qui, décentré dans cet inquiétant espace spatiotemporel, va traverser une épreuve existentielle haletante, à la manière d’une insomnie.
“Mon personnage, Kahina, est quelqu’un de très secret, qui se cache des choses”, explique-t-elle, entre deux prises, alors que le vent polaire se lève et glace les os. “Elle est à la recherche de sa propre identité.” Une quête personnelle qui, devine-t-on, se déploie en miroir à travers celle des Samis, dont elle découvre les souffrances collectives et le besoin de reconnaissance. “C’est l’instinct du personnage que je cherche, pas mon instinct à moi”, souligne néanmoins Leïla, pour rappeler qu’elle arrive toujours à distinguer le jeu et la vie, en dépit de sa volonté d’habiter son personnage au plus près de ses vérités.
Une série ouverte aux grands espaces
Sa vie présente reste, en tout cas, suspendue au-dessus du cercle polaire, comme au-dessus des cercles mondains et amicaux, loin de ses proches, loin de Paris, où l’attendent prochainement d’autres aventures (les prochains films de Jean-Marc Moutout, Géraldine Nakache, un scénario à finir avec Brigitte Sy, la réalisatrice de son dernier très beau film L’Astragale…). Dans ce froid polaire et cette lumière solaire, elle dit avoir trouvé sa place, aidée par l’attention chaleureuse que lui portent les réalisateurs suédois – chaque geste et chaque plan sont discutés et orchestrés comme par un seul homme.
Irradiée par sa chair et son regard, qui se fondent dans la beauté grave des paysages lapons, Jour polaire porte les promesses d’une série ouverte aux grands espaces, dans laquelle le paysage façonne la psyché des personnages. En observant Leïla avancer sur les rochers glissants et l’herbe tiède des bords du lac suédois, nous apparaissaient des plans de Top of the Lake auxquels on aurait greffé des bribes de scènes de True Detective. Comme si Jour polaire procédait aussi d’un imaginaire de plus en plus fort dans les séries contemporaines, où la splendeur des paysages accueille l’inquiétude de ceux qui les traversent. Autant dire que, fort de cette promesse, les jours seront longs à supporter avant de découvrir les secrets intimes de la série, diffusée courant 2016 sur Canal+.
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