L’ex-ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem est en difficulté dans la bataille des législatives. On a passé une journée avec elle en campagne à Villeurbanne, dans la métropole lyonnaise.
“Ça y est, Najat est arrivée ! Elle est au bout de l’allée, je crois.” Sur le marché de la place Wilson à Villeurbanne, un léger frémissement agite les militants PS de la section locale, qui n’ont pas attendu leur candidate pour venir distribuer des tracts sous le cagnard en ce matin de juin.
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La scène pourrait se dérouler sur n’importe quel marché de France de cette période électorale, sauf que, dans ce quartier limitrophe de Lyon, figure parmi les 19 aspirants au siège de député une célébrité politique et un animal médiatique : Najat-Vallaud Belkacem. De loin, elle passerait presque inaperçue dans sa petite robe noire. Mais la nuée de personnes qui gravitent autour d’elle trahissent son statut exceptionnel ; elles sont sans doute l’un des derniers vestiges du quinquennat de pouvoir que la jeune femme vient de vivre, alors qu’elle est en train de retrouver une vie (un peu) plus ordinaire.
Renouer le contact
Le soir même de la passation de pouvoirs au ministère de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem était de retour dans la sixième circonscription du Rhône, celle qu’elle brigue depuis maintenant trois ans, où elle a acheté son appartement, et qu’elle pensait sereinement pouvoir gagner lors des prochaines élections législatives. Mais ça, c’était avant la déferlante Macron et les investitures En marche !, qui, teintées d’intrigues politiques locales, ont désigné pour l’affronter Bruno Bonnell, un challenger tellement sérieux qu’il est désormais le favori du scrutin.
Pourtant, à quelques jours du premier tour, Najat Vallaud-Belkacem veut encore y croire, et pour cela, elle ne ménage pas sa peine. Il est 11 h quand elle arrive au marché, et sa journée a démarré depuis quelques heures par un petit-déjeuner avec des acteurs de l’économie sociale et solidaire.
“Cette campagne, c’est l’occasion de renouer des contacts directs avec les Français, et je trouve cela plaisant, confie-t-elle. Quand on est ministre de l’Éducation nationale, on s’adresse à des millions d’élèves, parents et profs, et on n’a pas d’autre choix que de passer par des représentants, tout le temps. Je suis contente de pouvoir à nouveau discuter avec les gens.”
Armée d’un grand sourire, elle s’avance d’un pas décidé à travers les stands et se présente. “Bonjour, je suis Najat Vallaud-Belkacem, vous savez que les élections, c’est la semaine prochaine?” Son ton assuré tranche avec son allure juvénile et rappelle à ceux qui l’auraient oublié qu’il y a quelques semaines encore, la politique de 39 ans était à la tête du troisième ministère du gouvernement Hollande.
“Faire campagne avec une ancienne ministre, c’est peu reposant mais c’est très intéressant”, admet Didier Vullierme, son suppléant, déjà élu à la mairie et à la région, qui l’accompagne dans toutes ses pérégrinations villeurbannaises, au volant de sa C4.
“Moi, c’est Najat Belkacem !”
Justement, il est l’heure d’aller déjeuner, et le tandem a prévu de retrouver la députée PS sortante Pascale Crozon ainsi que deux élues locales. Pas de grande table lyonnaise au programme mais un repas en terrasse du bar-pub-karaoké Le Sunshine, pour faire une halte rapide.
“Oh, Najat, je vous ai vue à la télé hier”, lance un sexagénaire installé à l’intérieur du troquet. “Belkacem, moi c’est Najat Belkacem”, lui répond la jeune femme sans se départir de son sourire, mais visiblement agacée qu’on la réduise constamment à un prénom, une mauvaise habitude qui colle aux basques des femmes politiques. A table, elle participe à la conversation et répond à toutes nos questions, mais s’échappe régulièrement sur son téléphone pour envoyer des messages et checker l’actu.
Son sourire du marché n’est plus là. Fatigue ? Timidité ? Inquiétude ? Méfiance envers les médias ? Comme toujours, impossible de décrypter la réserve belkacemienne, qui en fait un personnage politique atypique. Il est temps de partir mais l’établissement n’accepte pas la CB: qu’à cela ne tienne, NVB traverse le parking en quête d’un distributeur pour pouvoir régler sa note. Il semble déjà loin le temps du faste où ce genre de détail pratique ne se présentait plus jamais à elle, et pourtant elle assure que c’est ce qui lui manquera le moins de son quotidien de ministre.
“Les dorures ne m’ont jamais attirée, ni au début, ni à la fin. Pas plus que la courtisanerie qui peut régner dans un ministère”, assène-t-elle.
Seul Fred, son garde du corps, l’accompagne encore. Cinq ans qu’il ne la lâche pas d’une semelle, il fait partie de la famille. A Villeurbanne, il n’est pas rare que les passants le saluent, habitués à la carrure imposante de ce grand blond souriant. Pendant qu’elle s’éclipse, Pascale Crozon en profite pour nous raconter son “histoire d’amour” avec sa successeuse.
“C’est une belle personne, qui est à l’écoute et qui comprend vite, qui est bonne sur le terrain et qui travaille, j’espère qu’elle va gagner car elle fera ce qu’elle dit. Étant moi-même féministe, j’ai été impressionnée par la façon dont elle a défendu les droits des femmes à la tête du ministère de ce nom, et je suis très contente qu’elle me succède.”
Si elle y arrive. Personne n’évoque frontalement la candidature de Bruno Bonnell, mais tout le monde sait que le bastion PS de Villeurbanne a été fragilisé par la vague En marche !. La principale intéressée elle-même balaye l’hypothèse d’une défaite d’un revers de la main. “Ce que je ferai si je ne suis pas députée? Mais je vais être députée!”
“La reconstruction du PS repose sur ma génération.”
Quelques minutes plus tôt, elle confiait pourtant son désarroi face à la débandade que connaît le parti socialiste, et les départs qu’elle n’imaginait pas si nombreux. “Je savais bien qu’on allait être en difficulté, un gouvernement sortant l’est toujours, et celui de François Hollande n’a pas eu la moindre seconde d’état de grâce. Pour autant, je n’imaginais pas que la faiblesse humaine pouvait être aussi puissante et qu’on jouerait aussi peu collectif.”
Allusion directe aux dissensions internes frondeurs/anti-frondeurs et à tous les membres du Parti socialiste qui se sont précipités pour rejoindre En marche, un mouvement qu’elle n’estime pas de gauche. “Ce qui fait la gauche, ce sont les idées et non pas les personnes. Un gouvernement de gauche, c’est une certaine idée des services publics et de l’Éducation nationale, je ne pense pas que les arbitrages d’Emmanuel Macron aillent dans ce sens.”
Aujourd’hui, Najat Vallaud-Belkacem regrette qu’il n’y ait plus grand monde pour réfléchir à l’avenir du Parti socialiste. “J’ai conscience que sa reconstruction repose sur ma génération, nous sommes une poignée à ne pas vouloir le quitter. D’ailleurs, la recomposition du paysage politique ne va pas toucher que la gauche, les Républicains et le FN sont aussi concernés.”
Il est désormais temps de se rendre à la sortie des classes et du parc, après avoir fait un stop au QG de campagne pour une réunion avec l’équipe. Pour la première fois de la journée, il n’y a presque plus personne autour de Najat Vallaud-Belkacem, qui tend la main aux parents d’élèves, puis aux promeneurs.
Fake news
S’ils sont nombreux à l’arrêter pour faire un selfie, ils le sont tout autant à la critiquer, parfois directement. Comme cette mère de famille qui lui demande des comptes sur la scolarisation de ses propres enfants dans le privé, ou cette femme portant une abaya, qui lui reproche d’avoir prié une femme voilée de quitter un lieu public. Sans perdre son calme, Najat Vallaud-Belkacem tente de leur expliquer qu’il s’agit de fake news, et qu’elle n’a pas plus agressé de femme voilée qu’inscrit ses enfants dans le privé. Deux scènes ordinaires qui font écho à son récent passage à l’émission On n’est pas couché, où la journaliste Vanessa Burggraf est elle-même tombée dans le piège de l’intox.
“C’est mon quotidien”, soupire Najat Vallaud-Belkacem, un brin découragée par la violence verbale dont elle vient d’être victime. Il faut dire que sa personnalité séduit autant qu’elle rebute dans les rues de Villeurbanne. Entre ceux qui l’estiment parachutée et opportuniste – elle n’est pas du cru, même si sa résidence est établie à Villeurbanne depuis trois ans – et ceux qui admirent sa jeunesse et son sérieux, on ne peut pas dire qu’elle fasse l’unanimité, à l’image des réactions qu’elle suscite au niveau national. Si certains l’accusent de jouer la carte du vote communautaire en briguant une circonscription populaire et métissée, les réactions sur le terrain ne vont pas dans ce sens, et les voix issues de l’immigration sont loin d’être acquises à celle qui n’a jamais fait de ses origines marocaines un argument marketing.
Pourtant, en cette période de Ramadan, il est indiscutable qu’elle manifeste une aisance particulière à participer à des réunions d’appartement tardives pour cause de rupture du jeûne. Quand on la quitte, elle est d’ailleurs en train de prendre date avec un jeune homme croisé dans la rue, qui va l’inviter à rencontrer des habitants en deuxième partie de soirée.
Najat Vallaud-Belkacem ne cache pas que ces longues journées lui évitent “le sentiment de vide” que peut provoquer le départ d’un ministère. Mais elle reconnaît tout de même qu’elle savoure déjà une forme de liberté retrouvée, aussi bien au niveau de sa prise de parole – qui n’est plus contrainte par sa fonction – que de la gestion de son agenda, qu’elle est désormais libre d’organiser. “C’est confortable d’avoir un chauffeur qui vous attend partout, mais ça veut dire qu’il faut être à un endroit différent tous les quarts d’heure”. Enfin, ne plus être ministre, c’est la promesse pour elle de “retrouver une vie de couple et une vie de famille”, auprès de ses enfants comme auprès de ses frères et sœurs, dont elle est très proche. D’autant que cette année, Najat Vallaud-Belkacem passera quoi qu’il arrive un cap important de sa vie: celui des 40 ans. Une bonne raison de faire la fête quelle que soit l’issue du scrutin.
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