Au terme des législatives israéliennes de ce 17 mars, Benyamin Netanyahou a réussi à faire mentir les sondages qui le donnaient perdant. Son parti, le Likoud, sort largement vainqueur avec 29 sièges, contre 24 pour l’Union sioniste. La liste des partis arabes crée la surprise en se hissant en troisième place avec 14 sièges. Décryptage avec Pierre Puchot, journaliste à Mediapart et auteur de “La paix n’aura pas lieu” (éd. Don Quichotte).
Benyamin Netanyahou a fait le pari de convoquer des élections législatives anticipées ce 17 mars en espérant obtenir une majorité plus stable. A-t-il réussi ce pari au regard des résultats ?
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Pierre Puchot – Ce qui est sûr c’est que la défaite qui lui était promise il y a encore quelques jours n’a pas eu lieu. Il reste le chef de la droite israélienne puisqu’il prend même des voix au nationaliste religieux Naftali Bennett, qu’il avait pourtant convié à son meeting de rassemblement dimanche 15 mars à Tel-Aviv. Naftali Bennett rassemble 8 sièges, contre 29 sièges pour le Likoud. Netanyahou a donc vampirisé l’électorat des autres partis de droite. Cela ne représente pas un gain très important pour Benyamin Netanyahou par rapport à la précédente coalition, mais du point de vue politique, compte tenu des derniers sondages qui lui étaient défavorables, c’est une réussite.
La liste commune des partis arabes israéliens est devenue la troisième force du Parlement avec 13 sièges. Est-ce un événement inédit, et pourront-ils peser politiquement ?
Il y a trois événements importants dans ces résultats. Le premier c’est la capacité du Likoud à faire le plein à droite en dépit de l’éparpillement des candidatures : le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, issu du Likoud, a fondé le parti Yisrael Beitenu ; Naftali Bennett, qui a été chef de cabinet du Likoud dans les années 2000, était le candidat du Foyer juif, un parti nationaliste ; et Moshé Kahlon, qui a été ministre de Netanyahou jusqu’en 2012, est aujourd’hui un dissident du Likoud, à la tête de la formation centriste Koulanou. Malgré cela Netanyahou arrive à capitaliser autour de lui 27 députés : il est toujours le chef de la droite. C’est assez impressionnant pour quelqu’un qui brigue un quatrième mandat.
Le deuxième enseignement de ces élections, c’est que la liste de centre-gauche de l’Union sioniste, emmenée par le travailliste Isaac Herzog, progresse légèrement par rapport à la somme des quinze députés travaillistes et des six députés du parti Hatnuah précédemment élus. Ils étaient 21 à siéger dans la précédente législature, ils sont désormais à 24. C’est un pari à moitié réussi pour cette coalition politique créée pour ces élections législatives.
Le troisième enseignement est effectivement le succès de la Liste arabe unifiée, issue de l’alliance du parti communiste Hadash et de trois formations arabes, qui obtient 14 sièges d’après les premières estimations. Soulignons au passage que cette liste contient des militants et des candidats juifs, comme le huitième candidat qui est un militant communiste juif. Cela représente un gain de deux députés par rapport à l’ancienne Knesset, mais s’imposer comme la troisième force du pays, et comme le principal parti d’opposition, est une avancée importante. Ce n’est pas un statut honorifique. Le parti d’opposition dispose d’un statut spécial dans le système politique israélien, qui donne droit à des privilèges : le Premier ministre a ainsi l’obligation de l’informer des sujets relevant de la sécurité nationale tous les mois. Ce n’est donc pas symbolique.
Enfin, ces élections montrent que les Palestiniens d’Israël se sont mobilisés, et qu’ils sont du côté de la gauche radicale, et non pas du côté du Meretz, qui n’obtient que 4 sièges. Ce parti de gauche se dit toujours sioniste, et même si son programme est très marqué à gauche d’un point de vue économique, il n’a pas réussi à faire le plein dans cette élection. Il stagne à ce niveau-là depuis plusieurs années maintenant.
Quelles sont les revendications politiques de la liste commune des partis arabes israéliens, dite « Joint list » ?
Elle se situe résolument à gauche, pour l’établissement d’un Etat palestinien. Il y a quelques contradictions internes car une partie de cette liste appartient plutôt au camp musulman conservateur, à l’inverse du parti communiste Hadash par exemple. Ils ne remettent pas en cause le statut d’Israël, et sont pour une solution à deux Etats, avec un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Ils militent aussi pour une vraie reconnaissance des droits des minorités en Israël, et donc de la minorité arabe en particulier. Cette minorité n’est pas bien traitée aujourd’hui : le ministère de l’Intérieur, qui alloue l’argent aux municipalités, a tendance à discriminer les grandes villes où il y a une forte population arabe comme Haïfa, Saint-Jean-d’Acre ou Nazareth par exemple. Il y a de nombreux problèmes de ce type qui font dire à des personnalités très sérieuses comme le professeur de littérature anglaise Derek Cohen, qui a publié en 2008 Apartheid et Israël (éd. Actes Sud), que la société israélienne est un système d’apartheid, avec une partie de la société mise de côté par l’Etat-nation. C’est plutôt l’Etat d’Israël qui rejette la communauté arabe plutôt que le contraire évidemment.
A quel type d’alliances peut-on s’attendre pour la formation du gouvernement ?
Les négociations ont commencé. Il y a trois possibilités. Le choix du président de la République, qui va nommer la personne en charge de faire un gouvernement, va dépendre de celui qui sera le plus à même de former une coalition avec les différents groupes au Parlement. Netanyahou doit donc désormais réussir à former un gouvernement de coalition.
La première coalition possible et celle d’union nationale, réunissant l’Union sioniste et le Likoud. Mais Netanyahou a déjà dit qu’il n’en voulait pas. La deuxième coalition possible résiderait dans l’union des partis de droite derrière Netanyahou. Il faudrait qu’il ramène Bennett, Liberman et Moshé Kahlon – auquel il a déjà promis dans son meeting dimanche 15 mars le poste de ministère des finances – dans son giron. Si je compte bien il disposerait ainsi de 53 députés en tout, sur les 120 dont dispose la Knesset.
L’autre coalition possible serait que l’Union sioniste s’adresse à la fois à Shas – un parti religieux sépharade orthodoxe, intéressé par des mesure sociales –, aux partis centristes qui ne choisiraient pas le Likoud, et à Moshé Kahlon qui pourrait rejoindre cette coalition. Celui-ci va jouer un rôle pivot dans les prochains jours, car son parti Kulanu a remporté 10 sièges. Pour l’instant il se réserve le droit d’attendre jusqu’à la publication des résultats officiels, qui ne sont pas attendus avant jeudi.
Quelles leçons tirer de ce scrutin ?
Le message de cette élection c’est que Netanyahou a gagné des voix en disant qu’il n’y aura pas d’Etat palestinien tant qu’il serait Premier ministre. Aujourd’hui une grande partie des Israéliens déclarent ainsi ne pas vouloir d’Etat palestinien en votant pour lui, et expriment leur satisfaction de la politique sécuritaire et de guerre permanente qu’il mène, avec ses corollaires : la guerre à Gaza qui se répète tous les dix-huit mois, et l’isolement complet du Hamas.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
La paix n’aura pas lieu, disent-ils… de Pierre Puchot, éd. Don Quichotte, 464 p., 22€
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