Une semaine après les tueries, reportage à Toulouse sur les traces de Mohamed Merah.
Incarcéré de décembre 2007 à juin 2008 à la maison d’arrêt de Seysses, près de Toulouse, puis transféré à la prison Saint-Sulpice dans le Tarn, Merah n’a pas marqué ses gardiens. A peine se rappelle-ton qu’il est descendu une fois en promenade avec un Coran à la main. « La prison est l’école de la voyoucratie mais pas du terrorisme, il y a du prosélytisme, des appels à la prière, mais de là à tomber dans le terrorisme, il y a un gouffre », assure Philippe Campagne de FO-pénitentiaire. Ce n’est pas l’avis du directeur départemental de la sécurité publique de Haute-Garonne de 1999 à 2003, Jean-Pierre Havrin. « Les fondamentalistes ont une vraie emprise sur nos prisons. L’endoctrinement y est particulièrement fort. Le salafisme permet à certains de se construire une identité en rupture », estime-t-il.
Dans Le Journal du dimanche du 25 mars, un ancien compagnon de cellule de Merah, qui l’a côtoyé en 2009 à la prison de Seysses (où il a été à nouveau incarcéré de décembre 2008 à septembre 2009), raconte que le jeune homme aurait basculé dans l’islamisme radical sous l’influence de son frère ainé Abdelkader.
« Il venait le voir régulièrement avec sa mère. Il lui a fait passer un tapis de prière et une djellaba et puis lui a donné un CD avec des chants islamiques. Il écoutait ça à fond du matin au soir. »
L’islamisation en prison est un classique depuis Malcom X. « Quand vous êtes en prison, vous êtes au plus bas. Des prédicateurs viennent vous dire que la France ne vous a pas donné votre chance, vous incitent à renier toute culpabilité. Au lieu d’expier sa faute, on la supprime en revendiquant une nouvelle identité. Cela vous pousse à rompre avec les moeurs et les coutumes de la société qui vous a rendu responsable de votre déchéance », explique Gilles Kepel, politologue spécialiste de l’islam.
A son retour de prison, pour son entourage, Mohamed Merah n’a pas changé. « La première fois qu’il est sorti, il a fait un frein à main avec une Audi et il s’est payé un poteau », se marre Saïd (1), un ancien gamin des Izards. A deux reprises, en 2008 puis en 2010, Merah tente même de s’engager dans l’armée. En vain, son casier judiciaire incite l’armée à rejeter sa candidature. Son échec à intégrer la Légion en 2010 l’aurait beaucoup affecté, selon un ancien ami. « Il s’est posé des questions sur le sens à donner à sa vie. Il était agité, instable, il coupait court à ses relations avec les jeunes. Sa vie a été faite de beaucoup d’échecs et il a certainement voulu embrasser la radicalité pour tout changer ».
A la suite de cela, il réalise plusieurs voyages au Liban, en Syrie, en Afghanistan mais surtout au Waziristan, une région du Pakistan frontalière de l’Afghanistan, une période durant laquelle il aurait suivi une formation personnalisée au salafisme djihadiste, selon les confessions qu’il a faites aux policiers du Raid lors du siège de son appartement. Joyeux, fêtard, Mohamed Merah ne laisse rien paraître de son engagement religieux.
« Dans la logique du djihad, la dissimulation fait partie des armes pour tromper les ennemis. Les membres du commando du11 Septembre se rasaient la barbe. Il y en avait même un qui allait en boîte de nuit. La fin justifie les moyens », décrypte Gilles Kepel.
Une duplicité qui sème le trouble dans l’esprit d’une partie des jeunes du quartier de son enfance. Sur YouTube ou Dailymotion, des vidéos complotistes remettent en cause la version officielle. Elles insistent sur les incohérences des premiers témoignages après le drame de Montauban. Le tueur était alors décrit comme un « homme de taille moyenne, assez corpulent, portant un tatouage au niveau de la joue gauche ».Certains gamins l’érigent en héros. Sur Facebook, ils ont substitué leur avatar par une photo de Mohamed Merah.
Le même phénomène d’identification était perceptible dans les quartiers lyonnais après la mort de Khaled Kelkal, responsable de la vague d’attentats qui a frappé la France à l’été 1995. « Une minorité de la population d’origine nord-africaine éprouvait une forme d’admiration pour lui et un dégoût pour la façon dont il avait été abattu par la police, se souvient Gilles Kepel. Il se passe la même chose pour Merah sur le web. On assiste à une mise en réseau virtuel de soutiens à l’action qu’il a menée ».
Les pages Facebook en hommage à son action se multiplient. Dans les commentaires, beaucoup de musulmans condamnent ses meurtres, une minorité l’excuse par antisémitisme ou par défiance envers les médias. Sur la page « Hommage à Mohamed Merah », désactivée depuis, l’administrateur écrit ainsi : « Ces actes ne sont pas excusables, mais ça reste un frère. Il a voulu faire quelque chose de bien mais il ne l’a pas fait de la bonne manière (…) Il y a des générations dans les quartiers laissées à l’abandon, et après ils se plaignent des conséquences. Ils nous parlent d’endoctrinement, alors qu’ils endoctrinent la population mondiale pour les détourner d’Allah. On vit dans un pays de Juifs, c’est comme ça mais c’est la vérité. »
En prétendant assassiner des Juifs pour » venger les enfants palestiniens », Mohamed Merah a cherché à politiser sa folie criminelle. « Cela offre des possibilités d’identification pour sa communauté qui finit par oublier qu’il a aussi tué des musulmans, explique Gilles Kepel. C’est une manière pour Merah d’essayer de rassembler des soutiens en se présentant comme défenseur de l’islam, attaqué en Palestine. » Selon Kepel, sa stratégie s’inspirerait d’Abou Moussab al-Souri, l’un des leaders d’Al-Qaeda récemment libéré par Bachar al-Assad. Il préconisait de purger la communauté de ses mauvais éléments avant de gagner des adeptes en tuant des ennemis symboliques de l’islam.
Samedi 24 mars, une trentaine de jeunes des Izards, surtout des filles, s’est rassemblée en mémoire de Mohamed Merah. Laurent (1), un ancien ami : « C’était un hommage au premier Mohamed, celui que tout le monde voulait serrer dans ses bras lorsqu’il était jeune. Le second Mohamed, qui a tué des enfants à bout portant, personne ne le reconnaît ».
David Doucet et Anne Laffeter
1. Les prénoms ont été modifiés
à lire Quatre-Vingt-Treize de Gilles Kepel (Gallimard)