Etrange comme la presse dite de gauche prend avec des pincettes le mouvement Nuit debout, salué le week-end dernier et dans nos pages par l’ancien ministre des Finances grec, Yánis Varoufákis.
Depuis quelques jours, les médias – ceux de gauche en particulier – jouent tous ou presque la même partition sur Nuit debout. Ils multiplient les bémols, et les questions posées sont souvent d’une naïveté touchante. Les casseurs nuisent-ils au mouvement ? Qui pour incarner Nuit debout dans les urnes ? Fallait-il conspuer Alain Finkielkraut ?
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Lundi matin, dans un édito normatif proche du gâtisme soc-dem, Laurent Joffrin faisait les gros yeux au sujet du rudoiement de l’ancien philosophe : “Les quelques dizaines de béotiens excités qui ont insulté Alain Finkielkraut samedi soir sur la place de la République, ou qui lui ont craché dessus, n’imaginent pas le service qu’ils ont rendu aux adversaires de Nuit debout.” A cette mise en garde à la papa, on préférera nettement la réaction des Jeunes communistes sur Twitter : “Finkielkraut qui vient à #NuitDebout ! On l’a tej #OKLM”. Le souffle est ici, sans aucun doute.
Le problème, dans toutes ces “réflexions”, c’est celui de la perception de Nuit debout comme une entité une et indivisible, qui serait censée incarner dans chacun de ses faits et gestes une révolte pure et parfaite de la gauche de gauche, comme l’appelait jadis Pierre Bourdieu (sans, sûrement, se douter qu’une véritable gauche de droite allait posséder, vingt ans plus tard, une existence réelle). A l’inverse, Nuit debout est un mouvement jeune, fou, hétéroclite, erratique, désorganisé, débordé, et même un peu con parfois. Et c’est pour cela qu’il est passionnant, non ?
Un type grec a expérimenté le problème, c’est Yánis Varoufákis. Lors de son passage place de la République, il a été acclamé, mais pas que. Certains l’ont sifflé, d’autres lui ont filé un bout de papier sur lequel il se faisait traiter de “branleur” et de “traître”. Réaction saine de l’intéressé, à lire dans l’entretien qu’il nous a accordé, p. 16 : “C’est la beauté de la démocratie directe. On peut se faire applaudir comme on peut se faire huer.”
Dans ce qui se passe aujourd’hui, maintenant, place de la République et partout en France, le plus important n’est pas l’atterrissage, mais bel et bien la chute. C’est de ce chaos que doit se nourrir cette aventure politique en train de se produire. Et c’est sans se retourner et sans tenir compte de la littérature (pas toujours passionnante) qui l’entoure que se doit d’avancer Nuit debout, très certainement née pour amener sa part de progrès. Pas le temps pour les regrets.
Les Inrockuptibles, n°1064, « Le petit journal va-t-il sauter? » en kiosques mercredi 20 avril 2016, déjà disponible dans notre boutique et en intégralité sur notre site premium
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