1. On raconte que Stéphane Hessel pouvait s’agacer quand quelqu’un s’exclamait : “Ah, mais alors, la petite fille de Jules et Jim, c’est vous !” C’était bien lui, en effet, le fils cadet de Franz Hessel et Helen Grund, les Jules et Kathe du roman d’Henri-Pierre Roché, puis du film de François Truffaut. Mais ce […]
1. On raconte que Stéphane Hessel pouvait s’agacer quand quelqu’un s’exclamait : “Ah, mais alors, la petite fille de Jules et Jim, c’est vous !” C’était bien lui, en effet, le fils cadet de Franz Hessel et Helen Grund, les Jules et Kathe du roman d’Henri-Pierre Roché, puis du film de François Truffaut. Mais ce dernier préféra filmer une fillette, et ce fut Sabine Haudepin. Kathe, elle, n’est pas morte avec Jim en précipitant leur voiture du haut d’un pont, première version du fameux “ni avec toi ni sans toi” de La Femme d’à côté, vingt ans plus tard, avec Fanny Ardant et Gérard Depardieu. Dans la vraie vie, on se tue moins souvent par amour ; et la belle Helen est morte à 96 ans, à Berlin, sa ville natale.
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Il n’empêche que je n’ai jamais pu séparer Stéphane Hessel de cette histoire-là, et que j’entendais la musique de Georges Delerue et Le Tourbillon chanté par Jeanne Moreau à chaque fois que je le voyais apparaître à la télévision. Surnommé Kadi dans le roman, transformé en Sabine dans le film, Stéphane Hessel était aussi un personnage de fiction, un fragment romanesque qui allait contribuer, le grand âge venu, à soulever le monde, de Madrid à Wall Street, accomplissant un destin à nul autre pareil, tant il est peu fréquent qu’une icône altermondialiste ait son avatar enfantin et féminin dans un joyau Nouvelle Vague…
2. Les jaloux et les furieux auront beaucoup glosé sur le nombre de pages et les supposées limites conceptuelles d’Indignez-vous !, mis en vente le 20 octobre 2010. N’ayant jamais prétendu avoir écrit ni la Critique de la raison pure, ni le Manifeste du Parti communiste, Hessel reconnaissait volontiers ne pas revenir du triomphe international de son petit livre. Qui s’explique autant par la biographie de son auteur que par le contexte de sa publication.
Fils d’un Juif allemand persécuté par les nazis, résistant, torturé par la Gestapo, déporté politique, travailleur-esclave au camp de Dora, rescapé, diplomate, ambassadeur de France : son CV était un cauchemar pour ses nombreux ennemis. Comment disqualifier d’un revers de main l’indignation d’un tel homme-siècle ? En appelant à la rescousse les valeurs du Conseil national de la Résistance qui avait jeté les bases de l’État-providence à la française, Hessel – réformiste de toujours, nullement un boutefeu – faisait le constat que la vieille promesse de redistribution des richesses et du maintien des inégalités à un niveau “supportable” était définitivement trahie par Sarkozy et son gang, au profit d’une oligarchie financière toujours plus vorace.
Exactement au même moment, l’économiste Jacques Généreux publie La Grande Régression (Seuil), un autre livre qui tombe à pic : “En une génération, la quasi-certitude d’un progrès s’est peu à peu effacée devant l’évidence d’une régression sociale, écologique, morale et politique.”
3. Quand on lui demandait les raisons de son soutien aux Palestiniens, Stéphane Hessel répliquait “respect du droit international”, “résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU” et “solution pacifique à un conflit territorial”. Il était ferme, précis et résolu. Et répondait avec une souveraine indifférence aux intimidations habituelles de ceux qui l’insultaient encore sur son lit de mort : “Il paraît que je suis antisémite. C’est nouveau, ça…” Là encore, Hessel était allé au-devant des coups et des ennuis. Avec l’espoir têtu de voir de son vivant une solution à un conflit de nouveau vitrifié après tant d’espoirs déçus. Hessel n’est plus ; son exigence de justice demeure.
Frédéric Bonnaud
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