On croyait tout savoir, depuis quarante ans que ça dure, entre eux et nous, et on découvre que c’est encore pire que ce qu’on pouvait imaginer.
Le livre de Béatrice Gurrey, Les Chirac – Les secrets du clan (Robert Laffont), se dévore d’une traite. Un grand livre politique par une grande journaliste politique, accréditée à l’Elysée pour Le Monde du temps du “Grand”. On croyait tout savoir, depuis quarante ans que ça dure, entre eux et nous, à notre corps le plus souvent défendant, et on découvre que c’est encore pire que ce qu’on pouvait imaginer.
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Ainsi de la ladrerie de Bernadette, en passe de devenir légendaire, tant madame Chirac est une femme qui a la fortune inquiète, au point d’accepter la proposition de Bernard Arnault d’entrer au conseil d’administration de LVMH, et donc de toucher 50 000 euros par an – à ne rien faire – du meilleur ennemi du meilleur ami de son mari, François Pinault. Celui-ci préférera en hausser les épaules.Bernadette fait une formidable méchante. Aussi teigneuse que rancunière, elle est capable de poursuivre de sa haine l’ancien chauffeur de son mari, Jean-Claude Laumond, trop bavard à son goût, forcément complice d’une bonne part des humiliations subies et qu’elle soupçonne de vouloir se faire élire en Corrèze, à sa place à elle, en se mariant avec la fille d’un notable local.
Eh bien, une fois que Bernadette aura tout tenté pour empêcher ce mariage, le malheureux Laumond recevra une couronne mortuaire le jour de ses noces, avec une carte de l’Elysée, avant d’être placardisé en Nouvelle-Calédonie, soit aux confins du Royaume. Selon Gurrey, il lui faudra menacer Villepin – alors secrétaire général de la Présidence – de “dégainer” tout ce qu’il sait pour être rapatrié… au Père-Lachaise, dans un bureau souterrain, chargé du bon fonctionnement des vespasiennes des cimetières parisiens.
Cela ne s’invente pas : elle est comme ça, Bernadette, faut pas lui manquer. Juppé est prévenu. Pour faire bonne mesure, et comme si une “méchante” de ce calibre ne suffisait pas pour pourrir l’existence d’un vieil homme malade – et transformer une chronique politique de la Ve République, ce régime si absurde et si désuet, en tragédie de Shakespeare (“Disons la triste histoire de la mort des rois”) –, Gurrey fait aussi sa fête à “monsieur gendre”, l’époux de Claude Chirac, Frédéric Salat-Baroux, “FSB” pour les intimes, surnommé “Amadeus” par Bernadette.
Un clan drogué à la politique
Lui s’empare du pouvoir à la faveur de l’AVC présidentiel de 2005, l’annus horribilis du règne de Chirac, celle du rejet du TCE et des émeutes de banlieue. Il ne le lâchera plus, mariage compris, tout en rêvant de devenir ministre, un jour, si Juppé… Encore un beau personnage que ce FSB, fielleux à souhait, serviteur trop zélé pour être tout à fait dénué d’arrière-pensées. On objectera à raison que Gurrey est en faveur de Jacques Chirac. Contre sa femme, sa fille, son gendre, et naturellement Sarkozy. Mais son livre n’est pas une biographie, pleine de cadavres et d’argent liquide, de bruit et d’odeur, d’emplois fictifs et de prébendes. C’est le récit, incroyablement informé, d’un clan drogué à la politique, accro au pouvoir, qui se déchire sans jamais se briser.
Et puis, tout compte fait, Chirac aura refusé la pax americana de la seconde guerre du Golfe, cette monstruosité politique dont nous payons tous les jours le prix exorbitant, et mis fin à la fiction gaullo-mitterrandienne de la France non comptable des crimes de la Collaboration. Ce n’est pas si mal, surtout comparé au bilan de son successeur immédiat. C’est finalement la seule chose qu’on lui reproche, à ce brave Chirac, de ne pas être parvenu à “flinguer” Sarkozy, alors qu’il l’avait si bien fait avec l’insupportable Balladur.
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