C’est un petit livre beige, qui ne nous révèle rien qui n’ait déjà été démontré, chiffres à l’appui, par de nombreux penseurs et économistes plus attachés à l’humain qu’aux ratios, mais qui a le mérite, en ces temps où les idées reçues sur le travailleur français font (encore) florès, de dépolluer le cerveau du lecteur […]
C’est un petit livre beige, qui ne nous révèle rien qui n’ait déjà été démontré, chiffres à l’appui, par de nombreux penseurs et économistes plus attachés à l’humain qu’aux ratios, mais qui a le mérite, en ces temps où les idées reçues sur le travailleur français font (encore) florès, de dépolluer le cerveau du lecteur averti.
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Le travail, quelles valeurs ?, préfacé par l’infatigable Dominique Méda et publié par le mouvement Utopia, pose ainsi le fait que dans des sociétés où le travail se raréfie inéluctablement – en partie grâce aux gains de productivité –, songer à le partager, à poursuivre la réduction du temps qui lui est consacré ne relève pas forcément de l’hérésie. On entend d’ici les cris d’orfraie des éternels contempteurs du travailleur français. Vous savez, ce tire-au-flanc irresponsable, consommateur d’un système de solidarité dispendieux, qui travaille moins et moins longtemps que tous ses contemporains. Quand il ne se complaît pas dans l’inactivité, encouragé par un assistanat délétère.
Or, nous rappellent les auteurs, le travailleur français ayant un emploi à temps plein abat 41 heures effectives de labeur par semaine – source Eurostat –, soit plus que dans neuf pays européens. Un temps de travail effectif toujours plus élevé en moyenne – source Insee – en France (36,5 heures en 2011) qu’en Allemagne (34,6 heures en 2011 et même 30 heures en 2010), au Danemark, en Suède, en Norvège ou… aux États- Unis (33,9 heures) pourtant si souvent cités en exemple, quand on intègre au calcul le temps partiel. Notamment parce que ces pays pratiquent plus le travail précarisé.
Depuis dix ans, des voix s’élèvent pour mettre en relief la distance entre les chiffres réels et le discours dominant. Comment comprendre que ces chiffres, objectifs, consultables par tous, ne se fraient pas un chemin plus large jusque dans les politiques menées par des gouvernements de gauche ?
Certes, la gauche a mis en place les 35 heures, mais elle n’est pas allée au bout de cette réforme et n’a pas su empêcher que ces 35 heures, officiellement tellement combattues par le Medef, ne profitent d’abord aux entreprises, à la fois par l’ampleur des allègements de cotisations sociales qui leur sont associés – un désastre pour les finances publiques – et par la possibilité qu’elles ont donnée aux employeurs d’annualiser le temps de travail, donc d’introduire plus de flexibilité. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si les 35 h ont été sanctuarisées par celui-là même qui les vomissait : en défiscalisant les heures supplémentaires, Nicolas Sarkozy non seulement torpillait leur éventuel effet positif sur l’emploi, mais il en faisait surtout le temps hebdomadaire de travail de référence, leur conférant ainsi la légitimité qu’il leur contestait.
Avec la même facilité, on peut déconstruire le discours dominant sur l’âge de départ à la retraite – les faits montrent que ce n’est pas parce que nous vivons plus longtemps que nous devons travailler plus longtemps mais parce que l’on travaille moins longtemps que l’on vit plus vieux ! – ou sur le prétendu coût élevé du travail en France.
En quarante ans, les allègements de cotisations sociales patronales, alpha et oméga de la relance de la compétitivité, n’ont jamais démontré leur effet bénéfique pour l’emploi. En revanche, ils ont contribué à freiner l’évolution à la hausse des salaires. Dans le même temps, la productivité ayant augmenté plus vite que les salaires, les prix n’ayant pas baissé, les investissements pas augmenté, le surcroît de richesses créé a nourri les profits financiers. Curieusement, cet aspect n’est pas évoqué par la gauche au pouvoir.
Étonnamment, le Medef réclame toujours plus d’allègements et de flexibilité. Sans surprise, le travailleur – et contribuable direct ou indirect – n’a pas voix au chapitre. Au contraire, il est celui dont les impôts sponsorisent son emploi puisque les cotisations non versées par l’entreprise sont tout de même compensées par l’État donc… le contribuable. Lequel s’entend promettre une baisse de 10 milliards de dépenses publiques dont on ne sait encore exactement sur quel pan de la solidarité nationale elle portera. Qui est le pigeon ? Moi, dit le dindon !
Audrey Pulvar
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