Peut-on aimer l’artiste et abhorrer l’homme ? On se posait encore la question en fin de semaine dernière, tandis que Gérard Depardieu continuait d’enfiler les perles comme on déballe des poupées russes, dévoilant à chaque saillie une petitesse qu’on ne lui soupçonnait pas – last (but not least) en date, son analyse de l’action des […]
Peut-on aimer l’artiste et abhorrer l’homme ? On se posait encore la question en fin de semaine dernière, tandis que Gérard Depardieu continuait d’enfiler les perles comme on déballe des poupées russes, dévoilant à chaque saillie une petitesse qu’on ne lui soupçonnait pas – last (but not least) en date, son analyse de l’action des Pussy Riot : “les Français sont très bien pour critiquer… quand ils parlent des Pussy Riot, bof… imaginez si des Pussy Riot allaient dans une mosquée ? Mais… on les r’voit jamais, elles seraient brûlées vives !” et son mauvais point décerné à Garry Kasparov : “L’opposition (russe) n’a pas de programme, n’a rien. Y a des gens intelligents comme Kasparov… c’est bien pour les échecs mais la politique c’est beauuuucoup plus compliqué, oh oui !” Comment vous dire, monsieur Depardieu ? On attend les lumières de ce grand géopolitologue (on parle de Gérard, là) sur la situation de Mikhaïl Khodorkovski.
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On se posa la question avec encore plus d’acuité pour des faits beaucoup plus graves, révélés par Pola Kinski, 65 ans, fille aînée de Klaus, demi-soeur de Nastassja, qui raconte, dans un livre à paraître en Allemagne, les atrocités pédophiles infligées par son génial acteur de père quand elle était âgée de 5 à 19 ans. Écrasée par la popularité et la personnalité colérique de l’acteur que tant de nous avons loué dans Aguirre, la colère de Dieu ou Fitzcarraldo, Pola n’avait semble-t-il jamais réussi à parler de ce calvaire. Pas publiquement. Elle le fait aujourd’hui, pour que cesse “l’idolâtrie toujours grandissante depuis sa mort” dont Klaus Kinski fait l’objet. Elle-même “terrorisée” par “ce tyran”, Nastassja Kinski avait déjà levé un coin du voile à la mort de l’acteur, en 1991, estimant qu’il “est bon que certaines personnes ne soient plus en vie”. Aujourd’hui, l’inoubliable interprète de Tess précise que si elle n’a pas été abusée sexuellement par son père, celui-ci aurait bien tenté de le faire alors qu’elle n’était encore qu’une toute petite fille. S’il était vivant, précise-t- elle encore, “je ferais tout pour qu’il aille en prison”…
Profonde compassion pour ces femmes, tristesse de cinéphile tout aussi grande. Les exemples de ces (mauvais) génies, sont légion (Michael Jackson accusé d’attouchements sur mineur, Roman Polanski du viol d’une enfant de 13 ans – pour ne citer qu’eux), et chaque fois revient le commentaire selon lequel on ne peut être génial sans être un peu fou ou, tout aussi pernicieux, on peut être un homme détestable et un artiste génial. Soit. Mais l’artiste peut-il être dissocié de l’homme ? Serait-il devenu cet artiste s’il n’était cet homme-là ? Serait-il devenu cet homme-là s’il n’était cet artiste-ci ? Aux Inrocks, nous aimons Depardieu, l’acteur. Le génie. We love Gégé ! Nous avons décidé de le lui dire aujourd’hui, malgré notre désarroi devant ses dérives et parce qu’il est toujours mieux de se souvenir des belles choses… Ça aide, à faire son deuil. Ce sera plus difficile pour Kinski. Regarderons-nous à nouveau Fitzcarraldo ? Pas sûr. Pas sûr du tout.
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