Tendance pour certains, manifeste pour d’autres, le « yoga nu » questionne notre perception du corps. Plus qu’un buzz : une philosophie de vie ?
Dans les chambres, les champs, les plages, les jardins ou les montagnes, les yogis néophytes se mettent à nu. Loin de scruter leur portable du regard, ils ferment les yeux et méditent. A la trop rigide posture du selfie, eux privilégient les asanas, des positions parfois acrobatiques. Un hashtag les unit : #nakedyoga ou #nudeyoga. Sur la toile, une multitude de comptes Instagram aux centaines – ou milliers – de followers, tels @NudeFineArt, @_nudeartyoga, @nakedyogagoddess, @amber.yogini ou @dannon.yoga donnent forme(s) à cette curieuse tendance 2.0. : le yoga nu. Grand écart entre l’ancestral et l’air du temps, ce yoga-là apaise autant qu’il perturbe.
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« Ce que l’on ressent, pas ce à quoi l’on ressemble »
A l’origine de cette mouvance se trouve un corps élancé, capté en noir et blanc au sein de décors irréels : celui de la Nude Yoga Girl, ex-mannequin d’une vingtaine d’années, adressant régulièrement à ses plus de sept-cent mille fans une série de clichés classieux ornés de messages optimistes. Depuis 2015, l’esthète revendique un slogan body positive : « Vous êtes beaux exactement comme vous êtes« . Le yoga, elle l’envisage en challenge intime d’où éclôt une inspiration collective. « Depuis mes 15 ans, je n’ai cessé de travailler dans une industrie basée sur l’apparence, détaille-t-elle à The Cut. Le yoga m’a appris que la chose la plus importante est ce que l’on ressent, pas ce à quoi l’on ressemble. Par le passé, j’étais obnubilée par les imperfections de mon corps, et il m’était impossible de m’aimer entièrement. Le yoga m’a aidée à l’accepter tel qu’il est. »
Le yoga nu lui « donne un sentiment de liberté » et chacun de ces gestes, bloqué dans le temps au détour d’un cliché au minimalisme léché, serait une ode au lâcher-prise. Seins ombragés pour échapper à la censure Instagram, ce corps-là, hors de toute contrainte, se dévoile sans jamais sombrer dans l’obscène. Le yoga nu devient une « prise de position(s) » : une arme d’émancipation massive.
Provoquer la pudeur pour questionner les apparences
« Dès ses racines hindouistes, le corps dans le yoga est visible et n’a rien de tabou : c’est une énergie qu’il faut comprendre et ressentir afin d’atteindre l’acceptation de soi » nous explique Caroline Nagel, organisatrice d’événements autour du yoga et tête de proue des Amazones Parisiennes. De la spiritualité shivaïte millénaire à la communauté gay états-unienne (le mouvement alternatif Hot Nude Yoga du yogi Aaron Star), le yoga nu décline d’un siècle à l’autre les mêmes principes : « se détacher du matériel, du jugement des autres et, plutôt que de se contempler dans le miroir, retrouver la vérité du regard que l’on porte sur soi« , résume Céline Dupuy, rédactrice en chef de Yoga Magazine.
Ce mood libératoire nous promène de l’Inde à New York, où Vanessa Kennedy, créatrice du cours Bold & Naked, valorise le sens social du yoga nu. Ce zen thérapeutique, raconte Kennedy, unit là où des choses « comme la marque des vêtements que l’on porte ou la façon dont on les porte » divisent. Réponse à l’aliénation moderne, il provoque la pudeur pour questionner la valeur que nous vouons aux apparences. D’où l’impact de ce simili-naturisme sur cette vitrine de soi qu’est Instagram. Là-bas, la Nude Yoga Girl fait de son corps une oeuvre d’art épurée. Mystérieuse, elle cache systématiquement son visage afin d’interroger le regard que nous portons sur ses courbes.
« C’est un microphénomène ! »
Des contorsions entre quatre murs de @bronntron aux horizons lointains de @lizcrosbyyoga, ce yoga nu détourne les excès narcissiques d’Instagram pour promouvoir une assurance de soi plus saine, une sérénité qui se niche sous la surface policée de l’image. « Abouti, le yoga nu permettrait de dépasser la frontière de l’ego en se recentrant sur un état intérieur » admet Hélène Duval, yogini (féminin de yogi) et fondatrice de la marque de vêtements « 100% yoga » Yuj.
Partisane du « positive mind » et auteur du premier livre d’art dédié au yoga nu (l’opus photographique Yogasm, actuellement en librairies), cette working girl a déserté la presse féminine (les pages glacées de Vogue) pour s’investir à plein temps dans sa passion spirituelle. Mais si elle entend le désir de « ne pas se laisser happer par une vision normée ou retouchée des corps« , le yoga dénudé n’a selon elle rien de subversif. Pire : il est contre-productif. « La nudité implique de l’exclusion, là où le yoga prône des valeurs fédératrices. Ce n’est pas avec le sexe pendant ou la poitrine à l’air que l’on partage au mieux nos énergies communes ! » commente celle pour qui cette mise en poses est « un microphénomène sexy qui nous fait oublier qu’au travers du yoga, le corps n’est jamais immobile : il évolue, réagit au stress, à l’émotion, à ce que l’on a pu manger avant la séance ». A cette tendance, où l’épure régale l’oeil autant qu’elle invite au bien-être, la yogini lifestyle privilégie au sein du Yuj Yoga Studio son exact opposé : des séances de yoga dans l’obscurité, éclairées à la bougie, permettant un relâchement plus clair des émotions et des corps.
https://www.instagram.com/p/Bbv1t1Ijmqw/?tagged=nudeyoga
Une galerie monochromatique de silhouettes blanches et fines
Des corps, justement, qu’il faut mettre en lumière. Car lorsqu’on les étudie, ces chorégraphies de luxe désarçonnent : sous couvert de développement personnel, c’est une galerie monochromatique de silhouettes blanches et fines qui s’étend. « Avec un corps comme celui de la Nude Yoga Girl, on est en plein dans les normes mainstream de beauté : le corps blanc mince, idéal de pureté et d’innocence » décoche Kiyémis, auteure afroféministe à qui l’on doit une lucide tribune sur le mouvement du body positive.
Du côté masculin, ce n’est pas mieux : le yogi en tenue d’Adam n’étant que musculatures fières et jambes galbées, de @justinyogastanley à @YogaStripped. Selon la blogueuse, « il y a tout un rapport à la nudité qu’il faut déconstruire. L’image d’un corps nu subversif serait celle d’un corps nu ordinaire : avec des formes, des vergetures, de la cellulite, des bourrelets« . A force de magnifier le naturel, on en oublie l’essentiel : l’authentique. Soit « un yoga nu qui embrasserait les nudités de tous les corps, et les dévoilerait dans toute leur beauté, devenant ainsi réellement subversif » achève Kiyémis. Cette union – signification du terme « yoga » en sanskrit – pourrait sans aucun doute soulever les tapis de ces gymnastiques un peu trop chics.
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