Du 6 au 9 juin prochain, entre Paris, Bobigny, Montreuil et Le Bourget, le Weather Festival revient pour une deuxième édition aussi exigeante qu’ambitieuse. Pour évoquer l’explosion de la nouvelle scène techno-house parisienne, rencontre avec Adrien Betra et Brice Coudert, directeurs artistiques du festival et par ailleurs têtes pensantes des incontournables soirées Concrete. Comment est […]
Du 6 au 9 juin prochain, entre Paris, Bobigny, Montreuil et Le Bourget, le Weather Festival revient pour une deuxième édition aussi exigeante qu’ambitieuse. Pour évoquer l’explosion de la nouvelle scène techno-house parisienne, rencontre avec Adrien Betra et Brice Coudert, directeurs artistiques du festival et par ailleurs têtes pensantes des incontournables soirées Concrete.
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Comment est née l’aventure Concrete ?
Brice – Au début, on était deux groupes d’amis : d’un côté Pete Vincent et moi, venant plutôt du réseau clubbing parisien, et de l’autre Adrien, qui avait un peu roulé sa bosse à l’époque du Tryptique, et Aurélien Dubois, qui lui vient plutôt des grosses teufs hardtek. On s’est dit qu’on pourrait mutualiser nos réseaux et nos expériences en créant un premier collectif, qu’on a appelé Twsted. Le premier événement a eu lieu en novembre 2010. Déjà à l’époque, on a fait ça à la mairie de Saint-Ouen, dans un ancien studio de cinéma. C’était assez amateur, plutôt un délire entre amis… Et puis en fait ça a cartonné. On a fait 600 personnes alors qu’à l’époque c’était difficile de faire déplacer le public en banlieue. Personne n’y croyait. Plus tard, on a découvert le bateau où on fait la Concrete aujourd’hui. C’est là qu’on a commencé à s’intéresser au format jour, au principe d’after… A l’époque le bateau n’avait pas d’autorisation de nuit.
Adrien – J’ai toujours fait ça dans ma vie : organiser des teufs. J’ai commencé à 18 ans… J’ai connu plusieurs époques… C’est sans fin, il y a toujours de nouvelles cultures qui apparaissent. J’ai toujours évolué d’un style à l’autre.
Comment est venue cette idée d’after ?
Brice – Ça nous a toujours plu car on a vécu ça nous-même dans plein d’endroits. On voulait également optimiser le bateau, qui est ouvert sur l’extérieur, qui a des baies vitrées… C’est assez plaisant. Et puis on sentait que c’était ce que les gens voulaient : des fêtes longues, qui commencent le matin et qui durent vingt heures. Ça nous a donné l’occasion de laisser la liberté aux artistes de faire des sets de trois ou quatre heures, d’avoir huit artistes sur le plateau – c’est à dire une vraie aventure tout au long de la journée. Et ça a cartonné dès le début. C’était du jamais vu sur des fêtes de jour. Mais l’esprit de Twsted ce n’était pas de rester sur un seul lieu. C’est là qu’est né le projet Concrete, pour nous permettre à la fois de garder le bateau et de continuer à regarder ailleurs. Twsted était un projet un peu farfelu ; pour Concrete, il y a tout de suite eu cette volonté de créer une institution à Paris : un gros club avec une programmation pointue et de vrais moyens techniques.
Êtes-vous partis d’un constant de manque dans l’offre electro parisienne ?
Brice – A un moment on a commencé à s’ennuyer à Paris, et on savait qu’on n’était pas les seuls. Avec Concrete, on a eu l’impression de répondre à notre propre besoin, et donc à celui des autres.
Adrien – Partout à Paris, les vrais patrons tu ne les vois jamais. Ce sont des mecs qui ont plusieurs clubs, qui restent dans leurs bureaux, qui n’en ont rien à foutre. Nous, on est tout le temps là. Pareil pour les artistes, car il n’y a pas de backstage. Tout le monde est accessible. C’est de là aussi que vient le succès du projet : il est fait par des mecs qui aiment vraiment la musique. C’est authentique.
Brice – Avant qu’on arrive, la nuit parisienne était entre les mains de mecs qui n’étaient pas là pour la musique, mais pour vendre de la vodka et du champagne. Nous et des gens comme 75021, on est vraiment là pour faire de l’artistique. C’est en train de changer. C’est pour ça aussi qu’ils ont mis la Machine du Moulin Rouge entre les mains de Sonotown – car ce sont des jeunes qui sont impliqués.
Y a-t-il cette volonté de repenser les formats de la fête ?
Brice – Le format club à Paris, il ne fonctionnait pas. Ouvrir à minuit et fermer à 6h, ça pousse les gens à arriver à 2h… à boire un maximum… pour au final ne rester que quelques heures. Artistiquement, ils mettaient cinq artistes pour attirer un maximum de gens, du coup chaque artiste mixait une heure… Musicalement, ça ne sert à rien… Les gens ne s’amusaient pas vraiment dans ces conditions. C’était davantage des entreprises que des projets artistiques.
Adrien – Les gens n’avaient plus le temps de découvrir les artistes. Il y avait souvent des engueulades sur scène : les mecs ne voulaient pas lâcher les platines ! Au bout d’une heure, ils commencent à peine à être chauds. C’est triste comme situation.
Brice – Les fêtes de jour, ça permet de vraiment laisser les artistes jouer, et ça permet au public de les découvrir. Même maintenant, sur les formats nuit qu’on fait, on commence à 20h : même la nuit, les artistes peuvent jouer pendant trois heures. C’est très important pour nous.
Concrete, c’est une consécration personnelle pour vous ?
Adrien – Ouais, j’ai toujours rêvé qu’un truc comme ça existe. Aujourd’hui ça dépasse toutes mes espérances. Dans ce projet, il y a un respect authentique de ce qu’on fait. On est tous passionnés. On porte vraiment ça comme une philosophie de vie, c’est-à-dire qu’on veut fournir du travail bien fait, et une volonté personnelle d’apporter de la culture aux gens – mais aussi du loisir : la musique c’est du loisir et c’est vraiment important. On ne peut pas balayer ça avec le fric. C’était vital de reconfigurer la nuit parisienne. C’était du parisianisme fini, avec des mecs sans talent propulsés en tête d’affiche…
L’inspiration vous est-elle venue d’ailleurs ?
Adrien – Brice a une grosse culture étrangère à ce niveau, moi pas du tout. On pourrait croire que nos idées viennent d’Allemagne, mais elles ne viennent de nulle part en particulier.
Brice – L’époque des free parties, je l’ai connue à l’étranger. A Berlin, dans les pays de l’Est… Adrien a connu la fête à paris avant moi, à une époque où la fête était encore libre, où ce n’était pas cloisonné…
Adrien – C’est vrai, mais c’était diabolisé, il y avait une répression que tu ne voyais pas venir… Aujourd’hui il y a une liberté rangée – mais elle est peut-être encore plus large parce que le contexte est apaisé : tu sais que tu es dans un endroit sain, que c’est géré par des professionnels, que les flics ne vont pas débarquer… Sans pour autant tomber dans le truc hyper straight des clubs classiques… Tu n’as pas à te dire : « tiens, ça va foirer dans 5 min ».
Que reste-t-il des free parties aujourd’hui ?
Brice – Ce n’est pas la question. Nous, on est là pour apporter de la musique, de la culture. L’esprit rave et révolutionnaire, on a vu que ça n’a pas marché dans les années 90. Ceux qui ont essayé se sont mis les autorités sur le dos. Tout a fermé. Maintenant on veut le faire de façon régulière, pour que l’histoire ne se répète pas.
Adrien – Ce n’est pas un revival de la culture rave. Je pense que les jeunes veulent se réattribuer des classiques. C’est comme en littérature, à un moment tu as envie de savoir ce que c’est Balzac, Baudelaire… Tu es obligé de revenir à la source pour comprendre où tu en es. Les jeunes en ont marre de ne pas réfléchir. Ils on envie de savoir. C’est toute une culture à découvrir.
Brice – Pourquoi ça marche à Berlin ? Parce que c’est super bien organisé. Les mecs sont main dans la main avec les pouvoirs publics. Et même si certains trucs n’ont pas l’air légal, tout est en fait hyper organisé. Ça s’institutionnalise.
Les pouvoirs publics français ont parfois l’air un peu en retard…
Brice – C’est vrai que ça traine encore un peu à ce niveau-là. Mais c’est une question de pédagogie. On fait en sorte que nos évènements soient clean, et ça contribue à changer les mentalités.
Adrien – Aujourd’hui on a un public très varié. Je te promets que quand j’arrive à convaincre la mairie de Paris de me filer des affichages, c’est une vraie médaille. Il y a quelques années, ils ne nous auraient même pas reçus, et maintenant ils s’impliquent ! Quand on arrive à investir jusqu’à des lieux publics, comme sur cette deuxième édition du Weather, ça veut dire quelque chose. Ils réalisent que ça dynamise un secteur, que ça rassemble les jeunes, que ça désenclave les banlieues… Il y a tout un projet social potentiel sur la musique électronique. Et ça, ils commencent à le voir.
Brice – Ils n’ont pas trop le choix, dans le sens où l’année dernière on a fait 25 000 personnes sur le Weather. Cette année on va faire le double facilement, je pense… Ils ne peuvent pas continuer à nous marginaliser. Quand cette année on fait l’ouverture du Weather à l’Institut du Monde Arabe, ça veut dire ce que ça veut dire. Le fait qu’il y ait de plus en plus de festivals en été, ça intéresse les communes. Elles commencent à se dire qu’un festival, ça peut être une bonne idée pour faire du business. C’est une démarche structurelle de la part des institutions, et celle-ci se fait grâce aux acteurs de la scène électronique en général. Les Nuits Sonores, par exemples, ont fait ça à Lyon bien avant nous…
L’année dernière, la mairie d’Asnières vous a refusé l’accès à la Sira juste avant l’ouverture du festival…
Adrien – Il y a parfois des ratés. Sur ce cas particulier, il y a eu un souci d’incompréhension mutuelle. Les pouvoirs publics doivent apprendre à nous recevoir, et nous devons apprendre à leur expliquer ce qu’on fait. Il ne faut pas jeter la pierre à Asnières. On aurait dû davantage rencontrer les gens. C’est le serpent qui se mord la queue : tant qu’on a fait quelques teufs à Asnières, tout s’est toujours bien passé, mais le jour où on a fait le festival et qu’on a commencé à démarcher la mairie pour leur expliquer qu’un festival entrait dans leur ville, c’est là que ça a foiré. C’est-à-dire que dès qu’ils sont obligés de cautionner, les mecs commencent à avoir peur. Mais c’est notre combat et on prend le risque d’avoir de problèmes.
Aller en banlieue, c’est faute de place à Paris ou une réelle volonté de votre part ?
Adrien – Les deux se goupillent bien. On est tous des mecs de banlieue, ici. A la Concrete, tout le monde peut entrer. Pendant trop longtemps, il y a eu de la ségrégation sociale dans les clubs. C’est inadmissible et dégueulasse, ce genre de pratiques.
Brice – Ça va dans le sens du Grand Paris, ça arrange tout le monde. C’est une façon de dire : « ce n’est pas grave s’il n’y a pas de place à Paris, on peut aller ailleurs ». Ça nous tient vraiment à cœur. La fête c’est le mélange, ce n’est pas rester en bas de chez soi.
Vous ne pensez pas que les pouvoirs publics pourraient être tentés de récupérer votre initiative pour créer du discours politique ?
Adrien – Aujourd’hui c’est une volonté politique d’aller dans ce sens. Ils se disent : « tiens c’est bizarre, à Berlin, ils font un milliard et demi d’euros de chiffre d’affaire sur la musique électronique et ça crée de l’emploi, ça fait vivre la ville… alors que nous, on a de moins en moins de touristes ! »
Brice – Pour eux, c’est une bonne occasion de dynamiser la banlieue.
Adrien – Et il faut dire une chose : certains politiques qu’on est amené à côtoyer viennent faire la teuf chez nous !
Comment vous êtes-vous positionné musicalement ?
Brice – Pour moi c’était simple : il y avait beaucoup d’artistes que je voulais voir et qui ne venaient pas à Paris. Et pourquoi ils ne venaient pas ? Parce que les patrons de clubs n’y connaissaient pas grand-chose, qu’ils avaient peur de prendre des risques… Il y a avait une centaine d’artistes qui tournaient à Paris et tu ne voyais pas les autres. Nous, on s’est dit qu’on allait réussir à attirer les gens avec des trucs pointus.
Adrien – On n’a jamais menti au public. On met tout à disposition pour que les gens nous fassent confiance. On a envie de dire : « vous ne savez pas ce que vous allez écouter mais vous allez kiffer ».
Brice – Il y a encore peu de temps, la techno avait encore une sale image. Alors qu’aujourd’hui il y a une hype autour de cette musique.
Adrien – Oui, même les mecs du 8ème viennent chez nous pour se lâcher !
Y a-t-il une volonté de s’adresser à un public particulier ?
Adrien – On a un bateau à payer, on ne peut pas faire ça. On a un staff, on déclare tout le monde…
Brice – Un autre truc qui a tué la nuit à Paris, c’est que les mecs faisaient des teufs pour leurs copains. Quand on a commencé, on ne voulait pas faire de teufs underground. On voulait que la musique soit underground, mais que la fête s’adresse au plus grand nombre.
Adrien – D’un côté c’est aussi ça, l’underground : ne pas faire comme les autres, et développer de nouvelles idées.
Le Weather est-il une prolongation naturelle de Concrete ?
Brice – C’est toujours la même volonté de ne pas s’adresser qu’à nos potes. On veut faire découvrir ce qu’on aime à tout le monde. Le Weather, c’était l’occasion de faire ça à plus grande échelle, de ramener les gens de façon super large. C’est un prolongement logique de la Concrete. Il y a une volonté de partir en croisade, d’éduquer les gens, de dire que la techno est une musique populaire, que Ben Klock est autant une pop star que David Guetta – seulement un fait de la bonne musique et l’autre fait de la merde. On a senti qu’il y avait un engouement à Paris. On a monté ce festival dès qu’on a pu. Aujourd’hui on sait qu’on a le potentiel pour faire un des plus gros festivals en Europe.
Comment a été pensée la programmation de cette deuxième édition ?
Brice – Il y a un découpage. A l’Institut du Monde Arabe, ce n’est que de la musique live, très pointue, pour montrer aux gens que la musique électronique, ce n’est pas que de la dance music sur laquelle tu danses en boite de nuit, et que c’est aussi un truc que tu peux écouter posé. Sur le main event, c’est partagé en plusieurs styles musicaux. Il y a deux grosses scènes techno, mais ce sont des techno différentes l’une de l’autre. Là on place un Ben Klock qui va ramener énormément de monde, et à côté on place un Rodhad pour le côté découverte… C’est aussi important de montrer que tu peux passer de la scène house à la scène techno et qu’il y a un truc commun… que tu peux écouter un mec qui mixe depuis 20 ans et un mec qui vient de commencer, et observer qu’il y a une base commune…
L’année dernière, la première édition a été vécue comme un évènement chez les teufeurs.
Brice – On l’a fait pour. On a voulu frapper un grand coup avec ce festival. On voulait que les gens se disent : « il y a enfin quelque chose qui envoie à Paris, plus besoin de prendre l’avion ». Pour nous aussi c’était un événement !
2013 a aussi été l’année du Peacock Society, du Marvellous Island…
Brice – Quand on a lancé le Weather, on ne savait pas qu’il y aurait ces événements. La première réaction, ça a été de flipper un peu. Mais au bout de quelques semaines, on s’est rendu compte que ça créait de l’engouement, de l’effervescence… Ça a été positif pour nous. Surtout qu’on défend chacun des couleurs différentes, donc on se complète, c’est bien.
Malgré l’institutionnalisation, y a-t-il toujours cette volonté d’explorer de nouveaux lieux ?
Brice – On est toujours en mode tête chercheuse. Mais c’est aussi un problème de temps… Je pense qu’on va bientôt proposer de nouveaux lieux et de nouvelles idées pour les exploiter. C’est aussi notre métier de faire ça. S’il y a des lieux comme le 6B et la Sira, c’est qu’il y en a d’autres à trouver. Il faut juste réussir à convaincre les gens qui les possèdent. C’est tout nouveau, mais ça va se développer. L’année dernière on a eu des problèmes avec le Palais des Congrès de Montreuil, où se déroulait une partie du festival. L’eau était gratuite à la base, et il devait y avoir de la clim… Mais le prorio nous a pris en otage et nous a interdit l’accès à l’eau au dernier moment. Du coup les gens se sont retrouvés à devoir payer pour boire… Pareil pour la clim… Cette année, au Bourget, ça va être différent. C’est un endroit historique pour les rave en France. C’est impossible de faire plus grand. Il y aura de l’espace et de l’air pour tout le monde.
propos recueillis par Maxime de Abreu
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