Une fresque onirique, sonore et urbaine où s’entrecroisent hommes et animaux. Par le dessinateur Charles Berberian en solo.
Livre solo de Charles Berberian, sans son acolyte Dupuy, Sacha commence par un drôle d’incident, la mort brutale d’un chat (Sacha) sous les yeux de ses amis, un oiseau et un étrange hybride de félin et de chien. Par la suite se déploie un singulier ballet de personnages dans une ambiance lunaire. On y croise ainsi le fantôme du chat décédé, Irène et Pierre, un couple en rupture, qui se perd pour ne pas se retrouver, mais également des animaux philosophes, un vieux musicologue assez acariâtre ou encore Pierre Schaeffer, l’inventeur de la musique concrète.
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Sacha raconte les destins entremêlés de ces personnages malheureux et solitaires, entraînés dans les turbulences de la vie, évoluant au rythme de la musique improvisée par les bruits de la ville. Comme la sonde Voyager, évoquée ici, qui fut envoyée dans l’espace, porteuse de messages d’amitié et de musiques du monde entier, Sacha renferme aussi un maelström de sonorités. Berberian, que l’on sait grand amoureux de musique (Playlist), y a en effet rendu les sons très présents. Outre les animaux qui citent John Lennon, il est en effet beaucoup question de bruits urbains (les bébés crient, les voitures en panne font crrrak, les mères chantent…) et de musique avant-gardiste (on y voit des spécialistes discuter Stockhausen, Russolo… et même de Hendrix).
Toutes ces sonorités accompagnent la trame de l’histoire et font le lien entre les différents protagonistes. Et quand revient le silence, on ne perçoit que davantage la solitude des personnages, l’anonymat et l’indifférence de la masse. Sacha s’attache aux tracas quotidiens, aux problèmes pour s’en sortir, à la souffrance et aux tourments personnels. Toutefois, bien que dramatiquement ancrée dans la réalité, c’est aussi une oeuvre onirique, dépourvue de noirceur.
Sacha est empreint de fraîcheur, de délicatesse. Y flotte une légèreté transmise autant par le stylo spontané de Berberian que par l’humanité de brefs moments d’amitié et de solidarité. Avec de fréquents allers et retours temporels, Sacha est également un travail poétique sur le rêve et la mémoire, une réflexion sur la difficulté à se débarrasser du passé pour aller de l’avant.
Berberian multiplie les histoires dans l’histoire et tisse avec une grande souplesse les fils du récit, tout en retombant toujours sur ses pieds (ou plutôt ses pattes). Il laisse une fin ouverte, qui ne referme donc pas le sillon de cette histoire douce et amère où l’on survit, où l’on meurt et disparaît sans fracas.
Sacha (Cornélius), 160 pages, 18€
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