Quand un tweet ne plaît pas à la communauté des twittos, c’est toute une vie qui peut basculer. Les réseaux sociaux « permettent » de véritables lynchages, qui ont des conséquences IRL.
Comment un simple tweet peut-il vous ruiner la vie ? Jon Ronson, du New York Times, s’est penché sur cette question que se posent des dizaines de twittos qui ont un jour « dérapé » sur le réseau social. Le journaliste a rencontré en a rencontré plusieurs d’entre eux, qui lui ont raconté comment 140 caractères (voire moins) avaient pu ruiner leur vie. Multiples messages d’insultes, menaces envers eux et leurs proches : bienvenue dans l’ère du « shaming », le lynchage 2.0.
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En tête : Justine Sacco et sa blague sur le Sida
La plus connue d’entre eux est peut-être Justine Sacco, avec laquelle s’est entretenue plusieurs fois Ronson. En décembre 2013, la jeune femme de 24 ans, chargée de communication pour le groupe de médias InterActivCorp (IAC), devient en quelques heures la personne la plus haïe de Twitter. Alors qu’elle s’apprête à embarquer pour Le Cap, en Afrique du Sud, elle poste :
« Je vais en Afrique. J’espère que je n’attraperai pas le Sida. Je plaisante. Je suis blanche ! »
Un humour noir qui ne sera pas compris de tous. Durant ses onze heures de vol, durant lesquelles elle n’a plus accès à Internet, sa timeline fait le tour du réseau. Avec ses 170 followers, on aurait pu croire que ce tweet allait vite se faire oublier. Mais il est retweeté par Sam Biddle, écrivain et alors rédacteur pour le blog Valleywag, qui l’introduit ainsi :
« Et maintenant, une bonne blague de Noël qui est signée de la responsable com’ de IAC. »
La mauvaise blague de Justine Sacco apparaît alors aux yeux des 15 000 followers de Biddle. Avant même qu’elle n’atterrisse, un hashtag a déjà été créée, #HasJustineLandedYet (Justine a-t-elle déjà atterri?), les messages haineux se succèdent. Un twittos va jusqu’à la prendre en photo lorsqu’elle sort de l’avion, photo qu’il poste immédiatement sur Twitter. Justine comprend ce est en train de se passer lorsqu’elle rallume son téléphone. Sa meilleure amie a tenté de la joindre, et a eu le réflexe d’effacer le tweet ainsi que son compte. Trop tard.
Dans les heures qui suivent, Justine est licenciée, et se sent obligée de présenter des excuses publiques. Plus d’un an plus tard, elle rappelle à Jon Ronson :
« Malheureusement, je ne suis ni un personnage de ‘South Park’ ni une comédienne, donc je n’avais pas à parler de cette épidémie de manière politiquement incorrecte, et sur une plate-forme publique. Pour faire simple, je n’essayais pas de faire prendre conscience de quoi que ce soit sur le Sida, ni d’emmerder le monde, ni de ruiner ma vie. Quand tu vis aux Etats-Unis, tu es un peu comme dans une bulle quand on te parle de ce qu’il se passe dans le tiers-monde. Je me moquais de cette bulle. »
Un déguisement de mauvais goût, une blague graveleuse
Le même genre de mésaventure est arrivé à Lindsey Stone, ou encore Alicia Ann Lynch. La première avait posté une photo d’elle sur les réseaux, où on la voyait faire semblant de crier à côté d’un panneau « Silence et respect ». Un panneau situé à côté de la tombe des soldats inconnus du Cimetière national d’Arlington… La blague ne prend pas. Les médias débarquent chez Lindsey, une page Facebook appelant à la brûler voit le jour. La jeune femme perd son emploi et tombe en dépression.
La seconde a elle aussi eu trop confiance en l’humour des twittos. Pour Halloween, elle décide de se déguiser en victime du marathon de Boston. Elle poste une photo d’elle sur Twitter, ce qui lui vaudra des messages d’insultes, la perte de son emploi, et des menaces contre elle et ses parents. Ronson évoque également la blague graveleuse d’un développeur informatique, postée à son insu sur le réseau, et qui coûtera à ce père de famille son emploi. Ou encore l’arroseur arrosé, Sam Biddle, pris à son propre jeu lors du Gamer Gate en fin d’année dernière. Il avait alors tweeté « Bring Back Bullying » (« retour au harcèlement »). Lui-même lynché, il décide alors de présenter ses excuses à Justine Sacco, et déclare sur Gawker.com :
« Twitter est une machine rapide qui se délecterait presque des mauvaises interprétations, ou des mauvaises tournures de phrase […]Les blagues y sont compliquées, le contexte difficile. La rage est facile. »
Un nouveau lynchage public
Pour Ronson, ces mèmes de Twitter ressemblent beaucoup aux lynchages publics infligés aux criminels jusqu’au XIXe siècle, aux Etats-Unis mais aussi en Europe. Aujourd’hui, l’acharnement des internautes et des médias semble avoir remplacé le pilori et les coups de fouet. Certes, la sentence n’est pas la même ; aucun dommage physique n’est causé (quoique…). Mais on expose au monde entier (et non plus aux seuls habitants du village) les « crimes » de personnes inconnues. On les oblige alors à faire face à l’humiliation publique, et à leur propre honte. « Shaming » signifie humiliation en anglais, et il pourrait bien désigner ce nouveau lynchage sur le web. Les tweetos se prennent pour des justiciers. Au moment de l’affaire Sacco, le sociologue des réseaux Antonio Casilli décryptait leur comportement sur Slate :
« Nous sommes incités à participer en ligne parce « quelqu’un a tort sur Internet », pour citer le célèbre dessin de xkcd, et par le désir de prouver que nous avons raison. »
Selon Ronson, les réactions des autres appellent aussi à pousser le lynchage toujours plus loin :
« Les persécuteurs [de Justine Sacco] ont immédiatement été soutenus quand ils ont peu à peu descendu Sacco, donc ils ont continué. Leur motivation était à peu près la même que celle de Sacco elle-même, quand elle s’est égarée à écrire ce fameux tweet : un peu d’attention de la part d’inconnus. Elle espérait amuser des personnes qu’elle ne pouvait pas voir. »
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