Au Front de gauche comme chez EE-LV, la victoire de la coalition de la gauche radicale en Grèce en fait rêver plus d’un. Jusqu’à certains socialistes frondeurs… Mais le scénario d’un Syriza à la française est-il plausible ?
Elle a des airs de Liberté guidant le peuple et de “Marianne de Mai 68”, cette jeune femme au drapeau grec surplombant la foule réunie à Athènes le 25 janvier. En quelques jours, elle a fait la une de la presse française et internationale, devenant l’icône de la victoire de Syriza aux législatives (un Tumblr rassemble toutes ses apparitions). Elle n’est pourtant pas grecque : Rosalie Salaün est une Française de 27 ans, élue porte-parole des Jeunes écologistes l’été dernier. En 2009, elle avait passé six mois à Athènes pour un service volontaire européen. Depuis, elle s’est engagée à Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) puis aux Jeunes écolos, en gardant un oeil sur la situation hellénique : “Plus je me politisais, plus je trouvais la troïka scandaleuse”, raconte-t-elle.
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Quand elle a su que Julien Bayou, porte-parole d’EE-LV, prévoyait d’envoyer une délégation pour la capitale grecque le 25 janvier, son sang n’a fait qu’un tour : “Ma décision d’aller sur place était à la fois très personnelle et très politique, car j’y allais en tant que Jeune écolo”, explique-t-elle, rappelant au passage que le parti des Verts grec s’est allié à Syriza. Le sourire aux lèvres, elle se souvient de l’ambiance qui régnait à Athènes ce soir-là : “Des Allemands chantaient L’Internationale dans un coin, des Italiens entonnaient Bella ciao dans l’autre. La foule était grecque, mais il y avait au moins un tiers d’Européens venus d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne ou du Portugal !”
Renouvellement, internationalisme et union de la gauche
Finalement, la symbolique fonctionne. Jeune, française et écolo, Rosalie Salaün restitue trois dimensions de la victoire de Syriza : le renouvellement, l’internationalisme et l’union à la gauche de la social-démocratie, des écolos aux trotskystes. Autant d’obstacles que la gauche française est encore loin d’avoir franchis, rendant le scénario d’un Syriza hexagonal pour le moins improbable dans l’immédiat.
La victoire de Syriza et la montée en puissance de Podemos en Espagne – parti issu des Indignés, donné gagnant aux législatives prévues en fin d’année – sont cependant de mauvais augure pour le Parti socialiste. Elles s’accompagnent en effet d’un déclin des partis sociaux-démocrates traditionnels. En Grèce, le Pasok a quasiment disparu du paysage politique en n’obtenant que 4,68 % des voix le 25 janvier. “A 18 h, il n’y avait plus personne pour tenir son stand, qui était situé à 300 mètres de celui de Syriza, resté lui ouvert et bondé jusqu’à 2 h du matin”, se rappelle Pierre Larrouturou, coprésident de Nouvelle Donne, présent à Athènes ce soir-là. Des socialistes français avaient discrètement fait le déplacement. Certains ont été pris en photo à leur insu en train d’applaudir la victoire de Syriza aux côtés de Rosalie Salaün. “Ce n’est pas forcément ce qu’ils voulaient, se souvient la jeune écologiste. Ils m’ont dit en rigolant à moitié : ‘Merci Rosalie, grâce à toi on ne trouvera plus jamais de boulot !’” Ambiance.
« Hollandréou »
L’arrivée au pouvoir de Syriza jette une lumière crue sur la situation de la gauche française et sur les contradictions du PS. François Hollande a cessé d’incarner une alternative quand il a renoncé à renégocier le pacte budgétaire européen. Depuis, les électeurs de gauche boudent les urnes, et alors que les écologistes ont quitté le gouvernement, la gauche est rarement apparue aussi divisée. “Comme le Pasok et le PSOE (équivalents du PS en Grèce et en Espagne – ndlr), le PS est confronté à une question de crédibilité : contre quoi et pour quoi se bat-il ?”, convient le député socialiste frondeur Pouria Amirshahi. La victoire de Syriza annonce-t-elle pour autant l’effondrement du PS en France et son remplacement par une gauche de transformation sociale ?
C’est la menace implicite de la vanne adressée par Aléxis Tsípras à François Hollande peu après son élection, l’exhortant à tenir ses promesses de campagne sous peine de se transformer en “Hollandréou”, en référence à Geórgios Papandréou, ex-Premier ministre et fossoyeur du socialisme grec. Mais pour l’instant, rien ne semble confirmer cette hypothèse. Les résultats électoraux du Front de gauche en témoignent : aux élections européennes de 2014, il a retrouvé son modeste score de 2009, date de sa création. “Le Front de gauche n’a pas été capable de poursuivre sa dynamique issue de la présidentielle ni de peser suffisamment sur la ligne de François Hollande, par conséquent l’électorat de la gauche de la gauche cesse de voter par dépit”, explique Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise à l’Ifop.
“La droitisation du PS affaiblit toute la gauche »
L’hypothèse du professeur de sciences politiques Rémi Lefebvre, auteur du livre Les Primaires socialistes – La fin du parti militant (Raisons d’agir, 2011), est autrement plus inquiétante : “Le PS est en train de tuer la gauche dans son ensemble. Il installe l’idée d’une impuissance généralisée, ce que j’appelle le social-défaitisme. Comme une partie des électeurs modérés ne se retrouve pas dans la radicalité de Jean-Luc Mélenchon, la droitisation du PS affaiblit toute la gauche.” Le système électoral français ne joue pas non plus en faveur des challengers du PS, contrairement au système proportionnel grec, qui rend toute idée de “vote utile” caduque.
Malgré toutes ces entraves, auxquelles il faudrait ajouter la situation économique et sociale relativement épargnée de la France par rapport à la Grèce et le manque de mobilisations sociales, le PS ne cache pas ses craintes. Au lendemain de l’élection partielle du Doubs, son premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, affirmait dans un communiqué : “Entretenir le fantasme d’un ‘Syriza français’, en voulant affaiblir le Parti socialiste, ne provoquerait rien d’autre que la bérézina de la gauche française.”
EE-LV privilégie le Front de gauche au PS aux départementales
Le patron du PS a raison de s’inquiéter : aux élections départementales qui auront lieu fin mars, 40 % des listes présentées par EE-LV sont des alliances conclues avec au moins une composante du Front de gauche, 33 % sont des listes écologistes autonomes, et 20 % des alliances avec le PS. “Cet indice fait complètement paniquer les dirigeants socialistes en ce moment, rapporte Rémi Lefebvre. Ils ont peur que le scénario de Grenoble se généralise.”
L’exemple de la capitale des Alpes, ravie aux socialistes lors des dernières municipales par une liste mêlant écologistes, Parti de gauche et diverses associations citoyennes, fait rêver les adeptes d’une recomposition de la gauche. “L’unité ne règle pas le problème de la gauche, nuance cependant Raquel Garrido, secrétaire nationale du Parti de gauche. Nous faisons face à une grève civique : les nôtres ne votent plus !” Sans doute sera-t-il trop tôt au soir des départementales pour juger d’un éventuel “effet Syriza”. Mais les régionales pourraient servir de premier étalon, alors que certains réclament déjà une primaire unitaire à la gauche du PS pour 2017. Julien Bayou, l’artisan de cette idée, a demandé conseil aux “vieux de la vieille de Syriza” le 25 janvier à Athènes : “Ils m’ont dit : ‘Patience, confiance, persévérance’. En gros, c’est pas gagné”, conclut-il.
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