Frédéric Beigbeder tombe le masque du cynique tête-à-claques pour aborder de front son enfance et son adolescence dans Un roman Français. Un livre qui sort entouré d’une polémique sur la censure de trois pages.
Le Beigbeder nouveau arrive en librairie cette semaine déjà auréolé de scandale, autant dire de publicité : trois pages en auraient été censurées, pourtant présentes dans le livre reçu par les journalistes avant l’été. Grasset, craignant les foudres de Jean-Claude Marin, procureur de la République, aurait demandé à l’auteur de supprimer les pages le concernant… Autocensure ?
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Tentative d’intimidation venue de l’Elysée ? Au coeur d’Un roman français, la garde à vue de Frédéric Beigbeder en janvier 2008, alors qu’il vient de se faire arrêter tandis qu’il se repoudrait le nez sur le capot d’une voiture : Jean- Claude Marin prolonge alors sa détention de vingt-quatre heures, arbitrairement, pour
faire de lui un “exemple”, s’agissant d’un “pipole”. “Personne ne parle jamais de Jean- Claude Marin. Normal : c’est chiant d’être Jean- Claude Marin. Physiquement, Jean-Claude Marin ressemble à Alban Ceray (l’acteur porno) mais sa vie est moins rigolote. Jean-Claude Marin demande des compléments d’information ou des enquêtes préliminaires, fait appel des jugements, oublie de saisir les juges d’instruction, prononce des non-lieux (affaire des frégates de Taiwan), ou classe les dossiers sans suite. Jean- Claude Marin fait preuve d’une incroyable docilité et, comme tous les gens qui s’écrasent devant les plus forts, il se rattrape sur les plus petits. Il faut savoir que Jean-Claude Marin peut détruire la vie de n’importe quel habitant de la capitale de la France. Cette page est de loin la plus dangereuse que j’aie jamais écrite de ma vie. S’il est agacé, Jean-Claude Marin peut envoyer une escouade de flics chez moi ou chez Grasset quand il veut.”
Si ce sont ces phrases qui ont été supprimées (n’ayant pas reçu la version
qui aurait été remaniée, nous nous permettrons de citer celle que nous avons entre les mains pour travailler), cela pose deux problèmes. D’abord, les meilleures pages du livre n’y seraient plus, ensuite, cette autocensure créerait un précédent : la littérature doit-elle ainsi, ou devra-t-elle désormais, s’écraser devant un magistrat ou un homme politique, alors que nous vivons pourtant en démocratie ?
En d’autres temps, bien plus dangereux, les grands-parents aristos et de droite de l’auteur eurent pourtant autrement plus de courage, et de panache, en sauvant des familles juives et en les cachant chez eux durant la guerre, apprend-on dans Un roman français. C’est peut-être ce courage qui manque à Frédéric Beigbeder pour devenir un véritable écrivain, et c’est d’autant plus regrettable qu’il s’en approche dans ce texte plus sobre, plus tenu et maîtrisé que les précédents, où il tombe le masque du petit con frimeur pour aborder sa
généalogie à particule de front, en passant par le divorce de ses parents (les passages les plus justes, les plus touchants) et l’interrogation de sa différence avec son frère qui baigne dans la réussite et la stabilité, alors que lui se retrouve en garde à vue à 40 ans passés.
Un roman français parvient à être émouvant, mais comme si l’auteur ne pouvait s’en empêcher, irritant aussi – sa joute “littéraire” avec un policier, d’un grotesque inouï, des formules puériles, sa façon de poser en Cosette, un brin complaisante, comme autant de résidus du Beigbeder ancienne manière. Car finalement, tout ne va pas si mal, non ?
Sa façon aussi, tirée par les cheveux, de faire de son parcours un pur produit de la société française et de ses bouleversements sociétaux post-68, comme pour mieux se donner de l’importance – mais ne peut-on pas tous en dire autant ? Et puis si Beigbeder a laissé tomber les déguisements des “rebelles” new-yorkais à la Jay McInerney et Bret Easton Ellis, il n’en reste pas moins sous influence : disons que si celle d’Annie Ernaux (qu’il cite) lui va mieux, elle est toutefois trop
visible pour ne pas en devenir gênante (longue liste des gimmicks de chaque décennie, comme dans Les Années).
C’est au fond davantage à la généalogie d’une schizophrénie qu’on assiste : venir de la haute mais vouloir se montrer rebelle, se la jouer trash puis s’étonner d’être arrêté, se dire français mais avoir passé son temps à singer les Américains, être blessé et sensible, mais n’avoir jusque-là écrit que des romans cyniques, détester l’exhibitionnisme autobiographique, mais écrire un texte sur soi… Etre fier de venir d’une famille qui a risqué sa vie pour sauver des
Juifs, mais craindre aujourd’hui la petite éventualité d’un procès. Un symptôme
français ?
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