Ce sport de contact en patins à roulettes est connu pour ses coups de fesses et ses shorts à paillettes. Mais le ROLLER DERBY, issu du milieu féministe, est surtout un modèle d’inclusion. Comme en témoignent certain.e.s rollergirls que nous avons rencontré.e.s.
Le front maquillé façon Imperator Furiosa (Mad Max), Agathe Delebarre, alias Furiosagathe, s’élance sur la piste. Pour cette dernière étape du championnat de France, à Montreuil, son maquillage est accordé à la couleur de son maillot de match, rose bonbon.
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Joueuse pour les Sirènes Hurlantes de Dunkerque, elle complète pour l’occasion le crew de bloqueuses des féroces Black Tagada de Calais. Agathe évolue en défense. Sa raison de vivre, c’est d’empêcher l’attaquante adverse (la jammeuse) de marquer des points en la dépassant elle et ses coéquipières.
“C’est la première fois que je fais partie d’une équipe féminine”
Sur la piste, tous les coups ne sont pas permis, seules les hanches, les épaules ou encore les fesses sont autorisées à entrer en contact avec l’ennemie pour la faire chuter. “C’est la première fois que je fais partie d’une équipe féminine. Plus jeune, j’avais joué dans des équipes masculines de rugby mais ce n’était vraiment pas ça.” Si Agathe est l’unique joueuse transgenre de son équipe, elle est loin d’être la seule dans le monde du roller derby. Avant elle, Josie Simonis ou encore Vanessa Sites ont intégré des équipes féminines aux Etats-Unis.
En France, où le roller derby est depuis quatre ans sous la coupe de la Fédération française de roller sports (FFRS), l’autodétermination prévaut. Seul hic, le prénom et le genre du certificat médical doivent correspondre à ceux de la licence sportive.
“Aujourd’hui, les services de la fédération sont au courant que le genre ne correspond pas toujours. Si c’est le cas, ils contactent la commission et c’est elle qui vérifie avec la joueuse s’il y a un problème”, explique Amandine Crambes, responsable de la commission roller derby et élue au conseil d’administration de la FFRS. Quoi qu’il en soit, sur le track, seul le “derbyname” compte. Lorsqu’elle évolue en arbitre, Agathe se transforme ainsi en “Cis-tite” : “un petit microbe qui irrite les personnages transphobes”, s’amuse-t-elle.
Une charte sur la politique du genre
Aujourd’hui, le roller derby est la seule pratique sportive de la FFRS à avoir ouvert ses portes à des joueur.se.s trans ou non-binaires. Mais ce n’est que depuis septembre 2017 que le règlement sportif fédéral intègre officiellement un article spécifique et une charte sur la politique du genre.
Première conséquence de cet ajout, la possibilité pour les personnes trans et intersexes de concourir au championnat de France dans des équipes masculines ou féminines, en fonction du genre dont elles se sentent le plus proche.
Selon Dinah l’Asperguerrière, joueuse à Pibrac Roller Skating, la charte a eu un rôle substantiel pour de nombreuses joueuses. “Cela m’a permis d’envisager mon traitement hormonal de substitution (THS) plus sereinement. Quand je stressais d’annoncer ma transition à mes coéquipières, je savais que même si ça se passait mal, j’avais la FFRS de mon côté.”
“On inclut des personnes avec leurs différences et on forme une équipe avec cette hétérogénéité”
Les joueur.se.s transgenres n’ont pas attendu la charte pour chausser leurs rollers mais ils.elles l’ont vivement espérée, notamment par militance. “Le roller derby pour moi, c’est un outil d’empowerment. Je casse, en étant visible et en étant moi-même, des stéréotypes que l’on pourrait me coller si je ne l’étais pas. De par ma présence dans une équipe féminine, j’affirme aussi que je suis une femme comme les autres, que je ne suis pas mieux, ni moins bien. C’est pour ça que je parle toujours d’inclusion et pas d’intégration. On inclut des personnes avec leurs différences et on forme une équipe avec cette hétérogénéité. On ne va pas essayer de se fondre dans un moule pour entrer dans des critères…”, confie Agathe. Dans le roller derby, tous les gabarits participent à la réussite collective : les petites, les fluettes, les trapues et les rondes.
“Un sport géré par les joueuses pour les joueuses”
Pour Agathe, Amandine ou Dinah, leur sport fait figure d’exception dans le paysage français parce qu’il est profondément attaché aux valeurs féministes et à la culture queer. On parle souvent de l’esprit do it yourself, des hématomes polychromatiques ou encore de Bliss (le film de Drew Barrymore qui a popularisé la discipline en Europe), mais l’une de ses spécificités tient beaucoup à son organisation matriarcale. “Un sport géré par les joueuses pour les joueuses.”
La quasi-totalité des ligues dans le monde est féminine. Et en France, les femmes représentent plus de 80 % des licencié.e.s. “La commission roller derby de la FFRS est composée de personnes actives dans le derby et c’est certainement ce qui fait que les positions féministes sont assez fermement défendues”, analyse Selene Lacaze, joueuse, arbitre et responsable inclusion et diversité.
“Il y a plein d’exemples de sports à majorité féminine dans lesquels les personnes trans galèrent tout autant à être reconnues qu’ailleurs. Je pense que ce qui a rendu le roller derby plus inclusif, c’est le fait qu’il soit féministe”, précise Dinah l’Asperguerrière.
Sur le terrain, c’est surtout la transphobie ordinaire qui l’emporte
Quand la charte a été publiée sur Facebook en début de saison, les levers de bouclier, provenant souvent de TERF (Trans-Exclusionary Radical Feminist, des féministes transphobes) ont été anecdotiques. Sur le terrain, c’est surtout la transphobie ordinaire qui l’emporte. “A la Coupe du monde, en février, j’ai entendu des ‘blagues’ horribles sur la taille supposée du clitoris d’Evada Perón, la joueuse canadienne sur laquelle il y avait des rumeurs de dopage aux stéroïdes”, confie une joueuse.
Le préjugé qui consiste à penser que la testostérone améliore les performances sportives et que les femmes transgenres sont avantagées par rapport aux autres est tenace. “Une coéquipière, pour me faire déstresser avant un match important, m’avait dit : ‘Tu auras commencé la testostérone d’ici là, tu seras trop forte !’ Preuve en est que l’idée reste dans la tête, même de celles qui ne se considèrent pas comme transphobes”, témoigne Dinah l’Asperguerrière.
D’ailleurs, c’est la question des hormones qui semble la plus problématique et paradoxale. L’an dernier, lors de la dernière étape des championnats de la division Elite, les joueuses ont subi des contrôles anti-dopage. “Le déroulé d’un test est très intrusif. Les femmes, par exemple, doivent uriner devant un témoin du même genre. Si tu es une femme trans avec un pénis et que tu joues en catégorie féminine, devant qui dois-tu uriner ?”, questionne Amandine Crambes.
Sans compter qu’une personne transgenre en transition avec un traitement hormonal peut être contrôlée positive et sanctionnée… Les joueuses trans ont donc le droit de participer aux compétitions mais avec la crainte d’être contrôlées. Une sacrée épée de Damoclès.
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