Prada, Dolce & Gabbana ou Guy Laroche… les dernières Fashion Weeks ont sacré le retour du serre-tête. Torsadé, en cuir ou couvert d’un foulard, il est partout, dérivé à outrance et porté fièrement chez la femme comme chez l’homme. Que signifie le retour heureux de cet accessoire longtemps réservé au style « bourgeois » et teinté d’une touche de conservatisme ?
Il ne faut pas attendre bien longtemps pour que les dernières tendances des podiums se retrouvent alignées en rayons des grandes enseignes de fast-fashion, toujours prêtes à vous vendre un style tout-en-main. Et cet automne, le dernier accessoire à la mode à nous attendre sagement sur les étagères des Zara, Mango et autres Monki n’est autre que le serre-tête.
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Jusqu’ici, il était resté bloqué dans nos souvenirs d’adolescence, quand Blair Waldorf vola la vedette à Serena Van Der Woodsen dans la série Gossip Girl en redonnant au serre-tête un côté bon chic bon genre, preppy et finalement, looké. Si le retour de cette coiffe paraît peut-être anodin, il ne l’est en réalité pas tant que ça.
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L’accessoire phare d’une esthétique de l’ordre
Accessoire phare de la garde-robe du style « vieille bourgeoisie », non sans rappeler le personnage mythique de Marielle Le Quesnoy du film culte La vie est un long fleuve tranquille, le serre-tête nous renvoie à des symboliques fortes et relativement conservatrices. Cerise sur le gâteau de l’uniforme de grandes écoles, il est l’outil au service de la discipline du cheveu.
Porté sur une coupe lisse (excluant par là même tout autre type de cheveux), généralement avec une raie droite, il fut longtemps synonyme de cheveux soigneux et bien rangés. C’est en tout cas l’analyse qu’en fait l’anthropologue Christian Bromberger, interrogé sur ce sujet dans un article de Libération. Le serre-tête, ce demi-cercle souvent en plastique – pour les plus basiques – ou en écaille, en satin de soie ou en plume – pour les plus nobles -, a en effet du mal à se débarrasser de cette image de « femme au foyer, qui vote à droite », que Bromberger nomme “l’esthétique de l’ordre”.
Ovide déjà – il y a de ça des lustres – soulignait que seule l’élite sociale pouvait prétendre à ce si bel accessoire, les femmes mariées de classe supérieure en avaient le luxe et l’autorisation sociale, à l’inverse des femmes pauvrement mariées ou des prostituées. Ainsi, le serre-tête semble être resté dans les imaginaires, un outil de distinction fort, le signe d’une bienséance toute catholique et particulièrement excluante, qui ferait de son retour à la fois une reculade et un paradoxe.
Au service d’une masculinité nouvelle
Le serre-tête apparaît alors comme l’accessoire symbole du retour à une tendance, celle de la mode bourgeoise. Critiquable elle aussi, la tendance bourgeoise aura au moins eu l’avantage de ramener le savoir-faire au centre de la pratique de la couture.
La sortie de la mouvance street wear, ou du moins, la fin de sa tyrannie, apparaît pour certaines et certains comme une bouffée d’air frais. La basket et le hoodie, peu flatteurs pour certaines morphologies, peuvent être rangés sans honte au placard, pour faire place à de nouvelles coupes et biais, plus fins et travaillés. Réapparaissent sur les podiums des matières nobles, aux tombés lustrés comme la soie ou l’organza. Talons, féminité, boucles d’oreilles reprennent une place centrale, chez la femme, mais surtout, chez l’homme.
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Car c’est ici en effet, que cette tendance dévoile sa perspective intéressante : dans les possibilités masculines qu’elle offre. Alors que la construction forte de genre avait relégué certaines coupes et matières à un vestiaire féminin uniquement, ces dernières retrouvent enfin le chemin de la mode masculine. Cette féminité bourgeoise apparaît ainsi intéressante quand elle se place au service d’une androgynie nouvelle. Le dernier défilé du label anglais Stefan Cook en est l’exemple même – on remercie encore une fois la semaine de la mode londonienne - : son show uniquement masculin est couronné de serre-têtes, floutant les codes dans une ambiance baroque saluée par le tout-puissant Vogue.
Symbole du monde actuel
Ainsi le retour du serre-tête est peut-être plus positif qu’il n’y paraît au premier abord. Outre des modèles particulièrement réussis et modernes chez la femme, sa transposition chez l’homme lui offre un intérêt novateur.
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Mais au-delà d’un jugement moral sur cet accessoire caractéristique, cette tendance incarne aussi les paradoxes de la mode contemporaine. On imite, à coups d’accessoires en polyester, signature des enseignes de fast-fashion, le bourgeois cherchant à retrouver ses codes.
L’analyse de cette tendance peut donc être considérée dans une plus vaste perspective. On a pu observer une polarisation particulièrement marquée lors cette dernière Fashion Week. D’un côté, des shows très engagés à la Marine Serre, mettant l’accent sur l’urgence écologique et les problématiques sociétales. De l’autre, le retour à la tendance bourgeoise, qui, malgré des avantages certains, semble être le symbole d’une classe supérieure et politique qui a encore les moyens de se voiler la face.
Comme le souligne Alice Litscher, responsable du parcours image du Master of Arts in Fashion Design à l’Institut Français de la Mode, les dernières collections “s’inspirent de cette bourgeoisie riche, seule vraie gagnante de la mondialisation”, marquant d’autant plus la frontière avec la mode militante. La mode se joue souvent des codes, à vous de voir quel message elle a – pas si naïvement – voulu faire passer !
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