Les socialistes ont approuvé à la quasi-unanimité un premier texte de Pierre Moscovici, ébauche du projet économique et social pour la présidentielle de 2012. Entre recyclage des bonnes vieilles recettes de 1981 et com tendance, les nouvelles propositions se font discrètes.
Comme un air de 1981 ? Martine Aubry appelle aujourd’hui à “changer la société” comme François Mitterrand appelait à “changer la vie”. La convention pour le nouveau modèle économique, social et écologique, remise par Pierre Moscovici, serait plus proche “des préoccupations populaires” et incarnerait un “virage à gauche” pour le Parti socialiste.
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Retour aux fondamentaux après la “droitisation” de Ségolène Royal et du “social libéral” Bertrand Delanoë ? Ou réajustement en période de crise du libéralisme financier ? L’époque actuelle ressemble-t-elle au début des années 1980 bouleversé par les crises pétrolières ? La politique fiscale du président Nicolas Sarkozy a creusé les inégalités et marqué une régression. Où sommes-nous, en 2010 ou en 1981 ?
Avec la division de la droite et le score des régionales, Martine Aubry s’y voit. Sous l’effet du quasi-décès du Modem – une épine en moins – et de la crise économique, le curseur du PS s’est déplacé à gauche. La direction du parti se réclame d’une gauche “qui n’a pas honte d’être de gauche”, slogan piqué à Besancenot. L’offensive sur la gauche de la gauche, où les réserves de voix sont importantes, est lancée.
Si le texte de la convention a la couleur des recettes d’hier, en a-t-il le goût ? Didier Motchane, qui a collaboré à l’élaboration du programme de 1981 aux côtés de Jean-Pierre Chevènement, réplique, impitoyable : “Ces socialistes sont portés par l’air du temps autant qu’ils le portent. Pas mal d’idées de début 80 reviennent à la mode, sans qu’il soit d’ailleurs fait clairement référence à ces années. Ça reste du marketing et de la com.”
En 2010, il n’est plus fait mention des “ouvriers”, “travailleurs”, “classes”, “masses”, plus question d’“appropriation du capital”, “d’exploitation de l’homme par l’homme”… Le Parti socialiste ne remet plus en cause l’“économie de marché”. Il a modernisé le logiciel, comme on dit à l’ère numérique. En 2010, les socialistes parlent “société du bien-être”, “crise de civilisation”, “tyrannie du court terme”, “société créative”, “croissance saine”. Très feng shui.
Martine Aubry, qui n’a que le mot douceur à la bouche, fait l’apologie du care (“soin mutuel”). Interrogé sur ce nouveau concept, Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche) déclarait, moqueur, le 29 avril dernier sur Europe 1 : “Tout cela est bien sympathique (…) sauf que tout ce discours religieux et mystique ne me va pas très bien.” Pour le spécialiste du PS Rémi Lefebvre, cette “gadgétisation intellectuelle donne l’impression de neuf” et comporte deux avantages non négligeables : “Ce nouveau marqueur intellectuel colle bien au côté catho de gauche d’Aubry et permet d’éviter la critique de l’assistanat.”
Le care, c’est la responsabilisation individuelle dans la solidarité collective, le signe qu’on ne peut pas tout attendre de l’Etat. Pas très 81. Pourtant, la convention pour un “nouveau modèle de société” marque une volonté du retour de l’Etat. Depuis qu’elle a repris du rose aux joues, la première secrétaire répète que les Français plébiscitent la puissance publique pour les protéger. Une responsabilité historique incarnée par le Parti socialiste, représentant de l’interventionnisme étatique et de l’Etat providence.
Malgré son affichage volontariste pour moraliser ou refonder le capitalisme, Sarkozy n’a pas fait d’OPA sur ces domaines. En 1981, l’énorme vague de nationalisation des industries et des banques, notamment, constituait le cœur du projet socialiste. Aujourd’hui, l’idée de créer un secteur bancaire public revient mais ne se retrouve pas dans le texte de la convention. La réhabilitation du “rôle de la puissance publique” passe par la création d’un “pôle public d’investissement (…) qui investira dans une part significative de l’industrie française”.
“Les nationalisations étaient le cœur du programme de 1981. Aujourd’hui, c’est la réforme fiscale”, précise l’historien du PS Alain Bergounioux. L’ébauche de projet pour 2012 reprend tout de même le terme employé en 1981 : “révolution fiscale”. Le PS veut en faire le moteur de la réduction des inégalités et de la dette publique.
La dimension écologie constitue la grande différence entre 2012 et 1981, où il était à peine question d’environnement et on parlait encore de “droit à la nature”. Après avoir mis presque trente ans à abandonner le productivisme, le PS parle aujourd’hui “d’éco-production”. Sa mue écolo est indissociable de la genèse de son nouveau modèle de développement. Innovation du nouveau texte : la volonté de créer une “sécurité sociale professionnelle”, soit un compte formation pour tous les Français.
Tous les commentateurs ont souligné le caractère rassembleur du texte, approuvé par les socialistes à la quasi-unanimité. François Rebsamen, Manuel Valls et Gérard Collomb ont fait savoir leur scepticisme sur le retour du “plus d’Etat”. Discrètement, parce que le vent porte le courant gauche du PS. Mais ils savent qu’il peut tourner. Notamment, au gré de la personnalité du candidat désigné pour mener la bataille de 2012. Imaginez un Dominique Strauss-Kahn confronté à un semblable programme.
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