Alors que la première journée nationale contre le harcèlement scolaire a été initiée par la ministre de l’éducation Najat Vallaud Belkacem ce jeudi 5 novembre, nous avons interrogé Nicole Catheline, pédopsychiatre et auteur du livre « Le Harcèlement scolaire » qui analyse les conditions d’installations de ce phénomène.
Contrairement à d’autres pays comme la Norvège où le School Bullying (harcèlement scolaire) a fait l’objet d’une batterie d’expérience à l’orée des années 80, la médiatisation de ce fléau reste très tardive en France. Elle remonte à 2011. Dans son livre, Nicole Catheline, pédopsychiatre au centre Henri-Laborit de Poitiers, cite l’exemple de Léo, un élève pris pour cible par ses camarades – victime de violences et de moqueries. Le triangle harcelé/harceleur/spectateur y est exposé comme un moteur à la dynamique du groupe. Selon elle, le harcèlement scolaire résulte d’un profil de situation et non de profils types chez les enfants.
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Pensez-vous que les professeurs sont suffisamment formés pour identifier les signes de harcèlement scolaire ? Est-ce imputable à une certaine tradition française qui estime que la scolarité comprend son lot d’étapes qui vont forger et endurcir l’enfant ?
Nicole Catheline – J’aime beaucoup l’aphorisme d’Albert Einstein, qui dit qu’il est plus facile de casser un atome qu’un préjugé. En France, on a beaucoup de préjugés sur le fait que les enfants s’aguerrissent et apprennent à vivre. Les enquêtes longitudinales, des suivis d’enfant de 8 ans jusqu’à l’âge de 45 ans, ont démontré que les répercussions du harcèlement dans la vie d’adulte n’étaient pas des « affaires de gosses ». C’est grâce à ces études que la communauté des psychiatres a pu signaler l’importance du harcèlement, car jusqu’ ici personne ne nous croyait ou ne prenait au sérieux le phénomène. On n’aborde sans doute pas encore le sujet de manière apaisée. C’est très partisan, les enseignants se sentent blessés à juste titre.
Le clip réalisé par Xavier Dolan sur le College Boy d’Indochine a eu un rôle de lanceur d’alerte. Il filmait un enfant martyrisé puis crucifié dans une cour d’école devant l’ensemble de ses camarades. La scène renvoie à un harcèlement actif très violent. On ne gagnera rien à accuser les uns et les autres, ce n’est pas plus la faute des parents que des enseignants.
Le harcèlement est un risque encouru dans tous groupes, enfants comme adultes. L’être humain est un être social qui a besoin de lien et de se mesurer à l’autre. Le groupe nous empêche d’être nous-même, car il y a une exigence de conformité. A l’âge enfant, il est difficile de faire la part des choses entre sa vie publique et privée. Lorsque l’enfant quitte ses parents pour devenir quelqu’un, il se repose sur le groupe qui est un réconfort mais en même temps un piège… Le harcèlement est perçu comme honteux par les enfants qui redoutent une réaction parentale infantilisante.
Peut-on considérer le harcèlement comme une prédisposition à la délinquance à l’âge adulte ?
Non. En 2005 est parue une étude de Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui a corrigé le diagnostic. En effet une cohorte d’articles anglo-saxons rapportait qu’on pouvait prédire des faits de délinquance dès l’âge de 3 à 5 ans. Toute la communauté scientifique s’est insurgée et a montré que c’était faux. En revanche, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas s’occuper des comportements violents chez les enfants car certains présentent des risques psycho-sociaux, mais ils restent des cas isolés.Le profil de harceleur ou de victime n’existe pas chez l’enfant. Seules des situations existent. Les enfants peuvent basculer de harceleur à victime et de victimes à harceleur car ont été fragilisés à un moment donné de leur existence. Ils s’en prennent aux autres pour soulager leur douleur. Il n’y a pas de profil, ni de victimes, ni d’harceleur, il n’y a que des profils de situations.
Les enfants se concertent, inventent des stratagèmes, redoublent d’inventivité pour exclure l’autre du groupe. Sur qui faut-il agir en premier pour enrayer le phénomène ?
Il est difficile d’agir sur des enfants qui sont pris dans le tumulte de leurs émotions. Le harceleur et le harcelé sont déjà engagés d’un point de vue émotionnel. On peut agir sans problème sur les spectateurs, seuls à pouvoir valider ou arrêter le harcèlement. Il faut apprendre aux enfants qu’au sein d’un groupe, certaines choses se font et d’autres pas. Par exemple qu’une confidence n’est pas destinée à être répétée. Sauf si elle a un caractère violent. On dit souvent aux enfants « Ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas » mais c’est une bêtise. Les enfants sont tout à fait à même de comprendre et d’intervenir. On n’est pas une “balance” si on va soutenir un camarade qu’on sait battu chez lui ou par ses camarades. Les enfants, très réceptifs aux jeux de rôles, comprennent bien mieux les situations en les interprétant que toutes les explications d’adultes. En matière de prévention, il faut habituer les enfants à se mettre à la place de l’autre.
Quelle traces le harcèlement laisse-t-il sur le développement de la personnalité de l’enfant ?
Le harcèlement est un évènement traumatique qui laisse des traces tant pour le harceleur que pour le harcelé. Les anciens harcelés qui ont sombré dans la dépression ou des harceleurs devenus violents avec leurs conjoints sont des enfants qui n’ont pas été accompagnés. Si l’enfant harceleur ou harcelé est pris en charge, il n’y a aucun risque. Le harcèlement à l’âge adulte – une fois les bases de la personnalité posées – sort de la dynamique du groupe et s’inscrit dans des personnalités un peu perverses. Le personnage masculin de pervers narcissique interprété par Vincent Cassel dans le dernier film de Maïwenn Mon roi pourrait très bien illustré un ancien harcelé ou harceleur.
Nicole Catheline « Le Harcèlement scolaire » (PUF) 128 pages
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