Désopilant, le Professeur Rollin égaie les auditeurs de France Inter comme les foules de Brie-Comte-Robert. En parlant de tout et surtout de n’importe quoi.
Chaque mardi, vers 8 h 55 dans la matinale de France Inter, l’anchorman Patrick Cohen interpelle, un peu désemparé, l’acharné Professeur Rollin. Malgré l’ardeur opiniâtre que le billettiste met dans sa réponse évasive, il faudra s’en tenir à ce constat, qui a la valeur d’un principe fondateur : le Professeur Rollin ne sait jamais de quoi il parle. Ou plutôt, il le sait trop bien : il parle de l’air du temps qui souffle dans les vies de chacun, sans qu’aucun motif apparent ne puisse relier les parties de ce tout, son vrai sujet. Il s’égare là où on ne l’attend pas et où lui-même ne sait pas de quoi il retourne, mais où l’on sera parfois retourné.
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Dans son dernier spectacle, Le Professeur Rollin se rebiffe, il cite “l’éminent professeur Benoît Delépine qui à la question ‘Peut-on rire de tout ?’ a répondu : ‘On ne peut rire QUE de tout !” On peut rire de tout “puisqu’on ne rit pas tous ni de la même chose, ni de la même façon”, complète-t-il. En ajoutant : “Par exemple, j’ai des amis qui ont eu un bébé il y a trois semaines, ils l’ont prénommé Didier ; évidemment, c’est très fâcheux pour l’avenir du gosse, mais question rigolade, il faut reconnaître que ça envoie le bois.”
Grosse déconne
Circulant entre l’infiniment petit du quotidien tragique et l’infiniment grand du cosmos comique, le Professeur Rollin a quelque chose de Tournesol en lui (autant que de Pierre Dac, de Pierre Desproges ou de Jean Rolin), la redingote verte en moins. Si les pitchs sont sa hantise, la grosse déconne nourrit aussi son embarras. Dans l’avant-propos de son livre, qui regroupe les textes (écrits avec Joël Dragutin) de ses deux spectacles, Colères et Le Professeur Rollin se rebiffe, il explique que son personnage un peu lunaire (“professeur de quoi diable ?”) lui permet de “sortir l’humoriste du carcan si consensuel de la franche poilade ou de la langue de bois démagogique des chansonniers qui tirent sur tout ce qui bouge, et plus encore sur ce qui ne bouge pas”. Lui se rebiffe contre ceux qui voudraient le cantonner à ses problèmes de téléphonie ou à la petite taille de Sarkozy “pour gagner le droit de parler un peu de la société et de son temps”.
Dépolitisation apparente
Plus encore que le goût de l’absurde, de la joute verbale ou le refus de la bien-pensance, souvent associés à sa grammaire humoristique, c’est la vitalité d’une langue et l’imaginaire débordant qu’elle convoque qui se dégagent de ses interventions, radiophoniques ou scéniques. Sa dépolitisation apparente, déconnectée du commentaire de la société du spectacle politique, cache une discrète et stimulante interrogation sur ce qui inquiète et agite les individus, bref la politique pure.
Aux questions désopilantes des habitants de Brie-Comte-Robert, il répond sincèrement, au risque de se faire renvoyer dans les cordes : “Je ne vois pas où est le problème”, lui oppose un type circonspect devant sa théorie sur la chasse aux perdrix. Adossée ou pas à un problème, la prose du Professeur Rollin se suffit à elle-même, comme l’indice d’une curieuse curiosité devant l’opacité du monde, le nôtre presque autant que le sien.
chronique dans la matinale de France Inter, tous les mardis, 8 h 55
livre Colères (Stock), 160 pages, 14 €
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