Loïc Canitrot (CGT-Spectacle) a été relaxé alors qu’il était accusé d’avoir agressé le chef de la sécurité du Medef lors d’une occupation. Récit d’un procès très politique, avec Arlette Laguiller et Frédéric Lordon en guest-stars.
Il y a des lapsus qui ne trompent pas. Ce 25 janvier, à deux reprises la langue de Dominique Blanc, le juge chargé de l’instruction du procès de Loïc Canitrot, fourche. Il l’appelle “Monsieur Salmon”, du nom de son accusateur – le chef de la sécurité du Medef –, au grand dam de l’accusé, co-fondateur de Nuit debout, militant à la CGT-Spectacle et à la Coordination des intermittents et précaires. Deux hommes que tout oppose. “C’est parce que, sans doute, j’aurais tellement aimé qu’il soit là !”, s’excuse le magistrat au deuxième coup, sous les rires de la XVIIe chambre du tribunal correctionnel de Paris, pleine à craquer de soutiens au syndicaliste. Côté Medef, le banc est en effet vide. M. Salmon a retiré sa plainte au dernier moment, après un an et demi de poursuite et quatre reports de jugement.
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Il n’était plus aussi formel sur l’identité de la personne qui lui aurait asséné “deux coups de poing sur la tempe gauche”, lors de l’occupation du siège de l’organisation patronale par des intermittents, le 7 juin 2016. Et pour cause : les images des caméras de vidéosurveillance montrent plutôt Loïc Canitrot dans un rôle de pacificateur, alors que M. Salmon traitait les intermittents de “connards”. Quant aux coups de poing, la photo du visage de l’intéressé, prise par les policiers au moment des faits, montre qu’il est “très légèrement égratigné sur le nez”, selon Dominique Blanc…
Un procès “ficelé” pour “discréditer les luttes”
Au terme de plus de deux heures d’instruction, le syndicaliste membre de la compagnie Jolie Môme obtient donc la relaxe. “Comme aurait dit Shakespeare, ‘C’est beaucoup de bruit pour rien !’”, lâche le juge, déçu de ne pas avoir pu “poser quelques questions” à l’accusation, qui s’est dérobée in extremis. Et il y a de quoi. Pour Irène Terrel, l’avocate de M. Canitrot, cette affaire a été “ficelée” par le Medef dans le seul objectif de “discréditer les luttes”, et elle dénote “une prise de parti outrancière [du parquet] pour le puissant”.
Le discours de Loïc Canitrot après sa relaxe : “Les accusations du MEDEF étaient fausses” pic.twitter.com/UCO6RiplkS
— Mathieu Dejean (@Mathieu2jean) January 25, 2018
Difficile en effet de ne pas faire de l’aventure judiciaire de Loïc Canitrot un parfait exemple de répression politique. Du haut de ses quasi-deux mètres, vêtu de son invariable ensemble pantalon noir – chemise rouge bordeaux, c’est ce que ce militant de 46 ans soutient devant le tribunal : “J’ai fait 48h de garde-à-vue, j’ai passé 14h au dépôt. D’un bout à l’autre j’ai été considéré comme présumé coupable. M. Salmon a tenté de faire de cette action un fait divers”, affirme-t-il. Le jour des faits, lui aussi souhaitait d’ailleurs déposer plainte contre M. Salmon, pour le coup de pied aux testicules qu’il lui aurait asséné. En vain : celle-ci a été classée sans suite par le parquet, sans autre forme de procès…
Son avocate, Me Terrel, insiste aussi sur le fait qu’elle a dû demander un “supplément d’information, contre l’avis du parquet”, alors que des témoins n’avaient pas été entendus, et que des vidéos n’avaient pas été exploitées. “Ça n’allait pas de soi, mais sans cela, l’erreur judiciaire était certaine”, dénonce-t-elle dans son réquisitoire. Est-ce à dire que la parole d’un représentant du Medef pèserait plus que celle d’un assistant de production, militant qui plus est, face à la justice ?
Echanges caustiques avec Arlette Laguiller, “très révoltée”
Appelée à la barre en tant que témoin de moralité, Arlette Laguiller, six fois candidate à la présidentielle pour Lutte Ouvrière (LO) et ami de longue date de l’accusé, n’a pas de doutes à ce sujet. Malgré la volonté du tribunal de ne pas se transformer en tribune, elle profite ainsi de son intervention pour faire un réquisitoire en règle : “On assiste à une dérive du patronat qui ne se contente plus de sanctionner les travailleurs, de les mettre à pied, mais qui veut en plus les faire condamner. Il se venge de tous les travailleurs qui relèvent la tête. Je suis très révoltée que Loïc soit ici aujourd’hui !” “Le tribunal constate que votre révolte est toujours la même !”, réagit le juge d’instruction, déclenchant encore l’hilarité de la salle.
Pour Arlette Laguiller, la relaxe de Loïc Canitrot est "un encouragement à faire relaxer" tous les accusés militants pol et syndicaux pic.twitter.com/ouRaNVgLV1
— Mathieu Dejean (@Mathieu2jean) January 25, 2018
Loïc Canitrot est décidément bien entouré. Appelé à la barre lui aussi comme témoin de moralité, l’économiste Frédéric Lordon, connu pour son investissement dans la lutte contre la loi travail, termine sa parabole du “bon géant” par une salve critique dont il a le secret : “Il est de bonne logique d’aller porter la parole contestataire contre les maîtres d’œuvre, en l’occurrence le Medef. Il est logique d’aller là, car […] les politiques économiques et sociales naissent depuis quinze ans de paternité gouvernementale et patronale. Or le patronat voudrait la paternité sous X !”. Commentaire caustique de Dominique Blanc : “Le tribunal vous a entendu, il vous a lu, il ne dira pas ce qu’il pense de vos ouvrages”.
Une autre plainte à instruire
Même si la procureure a bien précisé, avant la délibération, que “relaxer n’est pas donner quitus à une action politique”, c’est bien une victoire de cette nature que fêtent en sortant les soutiens de Loïc Canitrot. Celui-ci espère bien qu’elle sera un encouragement pour “faire éclater l’absurdité des accusations” qui pèsent sur d’autres militants politiques et syndicaux depuis le printemps 2016. Par ailleurs, lui et son conseil comptent faire comparaître M. Salmon pour “dénonciation calomnieuse et violence”, afin que “la justice soit égale pour tous”. Il reste donc une plainte à instruire.
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