Le procès de huit hommes indiens accusés du viol collectif et du meurtre d’une fillette de huit ans s’est ouvert lundi 16 avril. Une nouvelle affaire au « pays du viol » qui fait vaciller le gouvernement en place, et crée des tensions entre les différentes communautés religieuses.
C’est un véritable drame national pour l’Inde. En janvier dernier, une fillette de 8 ans était retrouvée morte à Kathua, dans le sud de l’État indien du Jammu-et-Cachemire, une zone à majorité hindoue. Elle avait également été violée à de multiples reprises. Le procès de huit hommes, accusés des faits, s’est ouvert lundi 16 avril dans un contexte particulièrement houleux.
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Violée à de multiples reprises
Comme le rapporte Jeffrey Gettleman du New York Times, Asifa Bano, une fillette de 8 ans, s’occupait de ses équidés dans une prairie dans le nord de l’Inde. Alors qu’elle cherche des poneys égarés, un homme lui fait signe de venir. Immédiatement, il l’attrape par le cou et la force à ingérer des somnifères. Il l’emmène ensuite dans une cabane, puis dans un temple hindou à proximité.
Là-bas, Asifa y restera cinq jours. Cinq jours durant lesquels elle sera violée à de multiples reprises par au moins trois hommes. Finalement, après un ultime rapport non consenti, ils l’étranglent et lui fracassent le crâne avec une pierre, avant d’abandonner sa dépouille dans la forêt. Parmi les hommes accusés – dont certains ont avoué les faits aux enquêteurs – on retrouve deux policiers qui auraient accepté plusieurs milliers de dollars pour dissimuler le meurtre.
Un crime motivé par des différents religieux
Mais au delà de l’aspect ignoble de ce crime, cette affaire prend une dimension symbolique dans l’Inde entière. La jeune Asifa appartenait à une communauté bien spécifique: les Bakarwals. « C’est une communauté tribale, de confession musulmane, qui vit du pastoralisme dans les régions himalayennes indiennes. Ce sont des populations nomades très marginalisées, voire méprisées, ce qui explique que les auteurs du crime ont cru pouvoir agir en tout impunité », nous explique la spécialiste de l’Inde, Isabelle Saint-Mézard. Tandis que les huit accusés, eux, sont tous hindous.
Si cette affaire pouvait sembler n’être rien de plus qu’un fait divers sordide de plus parmi tant d’autres au pays du viol, elle est devenue une source de division pour toute la nation. « Il s’agissait pour certains membres de la communauté hindoue locale de terroriser les Bakarwals et de les faire partir du village de Rasana où ils s’étaient installés avec leurs troupeaux », développe Isabelle Saint-Mézard.
Une situation politique complexe
Une situation rendue encore plus complexe par la religion des différents intervenants. Certains des policiers qui ont enquêté sur cette affaire s’avèrent être également musulmans. Un motif suffisant pour les militants hindous qui réclament un abandon des poursuites. Pourtant, les officiers affirment avoir des preuves, dont des tests ADN. De plus, ils auraient interrogé plus de 130 témoins, dont les récits concordent parfaitement avec les accusations.
Mais, même si les faits semblent accablants, les contestations sont nombreuses. Notamment au sein du gouvernement en place, sous le feu des critiques depuis janvier dernier. « Cette affaire porte ombrage au BJP (Bharatiya Janata Party, droite nationaliste hindoue, ndlr), le parti actuellement au gouvernement. D’abord au niveau local, car deux ministres BJP du gouvernement de l’État du Jammu-et-Cachemire ont cherché à protéger les coupables. Ils ont dû depuis démissionner. Ensuite au niveau national, car le Premier Ministre Narendra Modi, d’habitude si réactif, a tardé à s’exprimer, et n’a eu que des propos génériques sur la nécessité de rendre la justice », analyse la spécialiste.
Un conflit ouvert entre les communautés hindoues et musulmanes
Depuis la médiatisation de cette affaire, les nationalistes hindous se rassemblent pour défendre les accusés, sans condamner les actes perpétrés contre Asifa. « Cette affaire s’inscrit dans un climat de suspicions, voire de tensions, entre les deux principales régions de l’État du Jammu-Cachemire, en l’occurrence entre le Jammu à majorité hindoue et le Cachemire à majorité musulmane (le Cachemire étant par ailleurs sujet à des troubles séparatistes). Une partie des communautés hindoues du Jammu s’est enfermée dans l’idée que l’élite cachemirie musulmane monopolisait la scène politique de l’État, son gouvernement et sa police. »
« Des organisations de la mouvance nationaliste hindoue ont accru ce sentiment de vulnérabilité en prétendant – à tort bien évidemment – que le présence des communautés nomades Bakarwal finiraient par changer la démographie du Jammu en faveur des musulmans », avance Isabelle Saint-Mézard.
Il y a 6 ans, l’affaire Nirbhaya
Des manifestations ont eu lieu, sans pour autant égaler l’engouement généré en 2012. Suite au viol collectif et au meurtre d’une étudiante en médecine dans un bus, en sortant du cinéma à New Delhi, une immense vague de protestation s’était emparée du pays. Un scandale qui avait choqué la planète entière, et inspiré tristement certains photographes. « Le calvaire de la jeune fille avait fait l’effet d’un électrochoc. Une grande partie de la société civile s’était mobilisée pour dire son horreur et exiger une lutte plus efficace contre les violences faites aux femmes. L’affaire Nirbhaya a probablement contribué à une certaine prise de conscience collective, voire à libérer une certaine parole », affirme Isabelle Saint-Mézard. « Mais la présente affaire se double d’une autre dimension, d’ordre politique. » Au terme de la première audience, lundi 16, le juge a reporté la suite du procès au 28 avril.
La culture du viol
De là à imaginer la fin de la culture du viol en Inde ? La ministre chargée des Droits de la femme et des enfants, Maneka Gandhi, a, elle, assuré sur Twitter qu’elle allait tenter de faire modifier la législation en vigueur pour que soit infligée « la peine de mort pour le viol d’enfants de moins de 12 ans ». Une mesure symbolique mais qui semble être ni assez efficace, ni suffisante pour lutter contre l’ampleur du harcèlement et des agressions sexuels, devenus quasi-systématiques.
Selon les statistiques officielles, près de 40 000 cas de viols sont signalés chaque année, dans ce pays comptant plus de 1,3 milliard d’habitants. Mais quand on connaît la culture locale du silence, ce chiffre pourrait bien n’être qu’une minuscule partie émergée d’un immense iceberg.
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