Virgil Abloh est le premier créateur afro-américain à reprendre la direction artistique d’une marque de luxe. Son premier défilé pour la division homme de la marque Louis Vuitton, qui a eu lieu à Paris cet après-midi, est le signe d’un profond changement au sein d’un monde de la mode sclérosé par les inégalités. Un moment d’anthologie, profondément émouvant.
Pour un journaliste de mode, chaque fashion week se ressemble. Quasiment les mêmes marques, la même cohue, les mêmes placements, les mêmes têtes familières. De temps en temps, un élément sort du lot : un défilé audacieux, une création qui fait parler d’elle, un invité inattendu, un lieu exceptionnel. Mais la plupart du temps – mis à part les quelques moments où on se rend compte de la chance qu’on a de faire partie des happy few – la fashion week, c’est juste une facette de plus de notre travail quotidien.
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De temps en temps, on assiste à des moments d’histoire. On ne parle pas de top models des années 90 remontées sur le podium, ou d’une silhouette si impeccablement structurée qu’elle redessine la forme du vêtement à tout jamais. On parle de mannequins défiant les stéréotypes, de la juste représentation de la diversité des consommateurs, de la fin d’une certaine idée du luxe cloisonné. De Virgil Abloh, accueilli comme une rock star, avançant avec peine le long du podium, ralenti à la fois par la foule qui se lève de son siège (dont son ancien collaborateur et proche ami Kanye West, qu’il prend longuement dans ses bras) pour le happer dans une embrassade géante, et par les régulières secousses qui viennent ponctuer sa crise de larmes.
Finalement, dans ce cas-ci, les vêtements importent peu. On le sent bien : les invités semblent plus impatients d’apercevoir le créateur star que de découvrir les silhouettes qu’il a imaginé pour sa première collection Louis Vuitton Homme. Dans le public, on croise Rihanna, Kim et Kylie Kardashian, A$ap Rocky, Bella Hadid, Naomi Campbell. Sur le podium, on découvre une collection en plusieurs temps : une ouverture complètement blanche, tantôt des maillots de sport transparents tantôt des vestes en fourrure XXL façon rappeur des années 90, puis des touches de couleur – un passage rouge, un passage bleu et jaune – pour finir en explosion de teintes de de motifs, fermée par un coupe-vent argenté sur lequel vient s’inscrire le logo “LV”.
Une carte du monde indiquant les origines de ses mannequins
En amont de son défilé, Virgil Abloh avait diffusé une photo du communiqué de la collection, déposé sur les sièges des invités : il imagine une carte du monde où sont indiqués les pays d’origine des mannequins castés. On croise des visages familiers – Dev Hynes et Kid Cudi ont rejoint le casting profondément métissé du défilé, on s’amusait presque à compter les très rares mannequins blancs – et d’autres anonymes, comme la foule d’étudiants et employés de la maison Louis Vuitton venus grossir les rangs des invités, reconnaissables à leur t-shirt coloré à logo.
En une après-midi, la conception du luxe est entièrement renversée. Sur le podium, les matières nobles s’accordent aux chaines en plastique qui pendent aux pièces de maroquinerie, pas de bling, pas de statement autre que l’énorme avancée que ce défilé représente dans un milieu de la mode franchement en retard : Virgil Abloh est le premier créateur afro-américain à reprendre les rênes d’une maison de luxe. Accueilli comme un sauveur, touché, applaudi, immortalisé sous tous ses angles sur les réseaux sociaux, le créateur de mode tire sa révérence sur le podium et poste, sur son compte personnel, ce message lourd de sens : “toi aussi tu peux le faire…” Un grand moment pour la mode.
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