Le poète sonore et performeur Anne-James Chaton à la Fondation Louis-Vuitton

Son nom tellement curieux, bestial et indolent, nous tend un piège. Alors qu’on s’attend à l’entendre miauler, Anne-James Chaton fredonne lorsqu’il déploie sa voix : ses basses intonations dégagent une très haute intensité. Peu de voix imposent autant que la sienne l’évidence d’une texture radiophonique, au sens où les sons qui s’échappent de sa gorge profonde comblent l’auditeur suspendu à ses calmes oscillations.

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Chaton n’est pourtant pas un animateur radio : il joue simplement à en être un, comme si l’imaginaire d’un studio invitait à jongler avec ses codes et ses cordes, à la manière de ces enfants farceurs qui envahissent une barque échouée en se prenant pour des pirates. “Poète sonore” suffit à définir son statut public.

Sonorités du rock ou de l’electro

Un statut qu’il a choisi d’assumer depuis plus de dix ans, alors qu’il aurait pu embrasser une carrière universitaire après sa thèse de philosophie. Mais il a choisi son camp : à la raideur de l’écriture métaphysique, il a préféré la nervosité de l’écriture poétique, surtout lorsqu’elle se mêle aux sonorités du rock ou de l’electro.

Jouer, c’est son dada, surtout lorsqu’il se déploie à travers un collectif, comme l’illustre le singulier projet Radio, une station dédiée à la poésie qu’il a conçue pour l’auditorium de la Fondation Louis Vuitton, à la demande de sa directrice artistique Suzanne Pagé qui voulait faire une place à la poésie.

Bande d’artistes et de musiciens

Organisée en décembre autour des affinités entre la poésie et l’electro, la première édition de ce projet – vingt-quatre heures d’émissions et de performances – impressionna par l’audace des plateaux et des performances. La seconde édition, les 1er et 2 avril, s’annonce tout aussi excitante puisqu’elle portera sur les liens entre la poésie et le rock ; une vieille histoire remise au goût du jour – et de la nuit.

Les émissions seront relayées par quelques “vraies” radios (Radio Grenouille à Marseille, Radio Campus à Paris, Jet FM à Nantes, Radio Papesse à Rome). Invité d’honneur, l’écrivain Olivier Cadiot, auteur d’Histoire de la littérature récente (P.O.L), sera entouré d’une bande d’artistes et de musiciens électriques : Thurston Moore, membre de Sonic Youth de plus en plus attiré par la poésie, Rodolphe Burger, Arnaud et Jean-Marie Larrieu, Christophe Fiat, Rodrigo García…

Grille de radio quasi idéale

Avec son comité de rédaction, composé de spécialistes de la radio et de l’avant-garde artistique (Thomas Baumgartner, Jean-Michel Espitallier, Bastien Gallet, Hubert Colas, Thomas Corlin, Françoise Lebeau, Emmanuelle de Montgazon…), Anne-James Chaton a ainsi construit une grille de radio quasi idéale, dont l’esprit et la pratique restent guidés par le principe de l’envol poétique, fût-il dissonant, bruitiste ou cacophonique.

Une radio qui se regarde autant qu’elle s’écoute, de 18 h le vendredi 1er avril à 18 h le samedi 2, entre concerts, DJ-sets, séances de poésie sur écran, “autodescription” du film Peindre ou faire l’amour par les frères Larrieu, échange entre Rodrigo García et Hubert Colas sur le rapport du théâtre à l’écriture poétique, table ronde avec Olivier Cadiot, etc.

Pour Anne-James Chaton, le son est comme un don dans l’acte d’écrire

Pour Anne-James Chaton, le son est comme un don dans l’acte d’écrire. Son travail s’inscrit pleinement dans cette double exploration littéraire et musicale. Romancier (Elle regarde passer les gens), metteur en scène (il prépare une adaptation théâtrale de son roman), essayiste (L’Effacé, paru en 2005), directeur successif de revues poétiques (Dérivation, The Incredible New Justine’s Adventures…), directeur pendant dix ans d’un festival d’arts sonores, Sonorités, à Montpellier, il navigue entre de nombreux objets qui portent tous la même obsession : le goût de la sonorité dans l’écriture.

S’il confesse qu’il a “des difficultés avec les narrations trop tenues”, quelques rares écrivains dits classiques ne le lâchent jamais : Faulkner, “que je peux lire sans fin”, Beckett et tous les auteurs de l’Antiquité latine – Plutarque, Ovide, Virgile…

Compagnonnage d’une nouvelle famille stylistique

Marqué à vif par sa découverte de Malevitch, des poètes russes futuristes, de dada et du lettrisme, il a prolongé à la fin des années 1990 ce goût de l’avant-garde poétique dans le compagnonnage d’une nouvelle famille stylistique. Proche de poètes comme Charles Pennequin, Nathalie Quintane, Christophe Tarkos (mort en 2004), il a participé à l’émergence de revues comme Action poétique, Nioques, Doc(k)s, Java ou encore la Revue de littérature générale…

Avec ce projet collectif Radio, il prolonge l’œuvre de cette discrète confrérie, tout en se faisant l’écho d’une tendance nouvelle dans le paysage culturel : sortir la radio de ses murs et la mettre à l’épreuve de la scène, comme s’y essaient joliment Aurélie Charon, Caroline Gillet et Amélie Bonnin depuis quelques mois avec Radio Live, qui invite les participants à une série d’émissions diffusée sur France Inter à remonter sur scène.

Puissance de la radio

Du Radio de Chaton au Radio Live de Charon, un geste assez proche tend à saluer la puissance de la radio à travers l’exercice de sa réinvention sur un plateau vivant. Le 1er avril, Chaton regardera passer les poètes ; ce ne sera pas un poisson d’avril mais une invitation à s’extraire du langage dominant et des sons communs.

La station éphémère revivra cet été et cet automne avec deux nouvelles expériences : une traversée dans l’univers du “spoken word” avec Iggy Pop en invité d’honneur le 1er juillet, et une dernière traversée autour de la performance le 30 septembre.

Radio, une station dédiée à la poésie conçue par Anne-James Chaton les 1er et 2 avril à la Fondation Louis-Vuitton, Paris XVIe. Entrée libre à l’Auditorium sur réservation via le site de la Fondation. Toutes les émissions et pièces originales commandées aux artistes sont en ligne sur radio.fondationlouisvuitton.fr