Dans son livre “Planète Porn – Enquête sur la banalisation du X”, la journaliste Marie Maurisse délaisse diabolisation et alarmisme au profit d’une vision fouillée de la culture pornographique. Une exploration juste et décomplexée de ce X qui pénètre notre intimité.
C’est l’histoire d’une journaliste qui décide de s’aventurer sur la Planète Porn. Obscénité antique, cul subversif, porno misogyne et post-#MeToo, rien ne lui échappe dans son “enquête sur la banalisation du X”. Fruit d’une longue réflexion sur la perversion à l’heure de YouPorn, le livre de Marie Maurisse met en relief d’abondantes thématiques classées X sans sombrer dans l’apologie ou le moralisme. Cette planète qui fascine et inquiète, comme n’importe quel astre encore trop inconnu, la correspondante du Monde l’a foulée du pied en sociologue du sexe, partagée entre investigation et excitation.
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A l’instar de Céline Tran et Laureen Ortiz, Marie Maurisse délivre une synthèse sensible de ce que le sexe explicite donne à voir, s’attardant autant sur le vertige de nos désirs que sur les horizons de la pornographie féministe et du « camgirl power ». Au fil de ses rencontres, elle tease l’avenir d’un imaginaire à l’aune de sa révolution, définitivement placée sous le signe du chromosome XX. Prenant à bras le corps la parano anti-porno, l’auteur nous rappelle qu' »au lieu de dénigrer cet art, nous devrions le prendre en main afin d’en faire quelque chose qui nous plaît, à nous humains, qui nous ressemble et qui nous fait grandir« . Car comment répondre aux soucis du X si ce n’est par le X lui-même ? Conversation à voix nue avec la sexonaute.
Tu as découvert le porno de la génération YouPorn sur le tard. Dès ce « dépucelage », tu t’exclames : « Je n’avais jamais rien vu de tel« . Pourtant, tu ne cherches jamais à condamner, et contredit Ovidie lorsqu’elle affirme que « l’on a atteint un stade de violence inouie dans le porno« . Comment expliques-tu ton recul face à cela ?
Marie Maurisse – J’ai effectivement découvert le porno à l’âge de vingt-quatre ans. J’y ai eu très peu accès dans ma jeunesse mais je n’ai jamais trouvé cela sale. Je me souviens m’être initiée à YouPorn avec beaucoup de surprise et de jubilation. Pour une jeune femme, cette espèce de supermarché des corps est une source d’exploration immense.
Le discours d’Ovidie est problématique. Il faut dénoncer les abus, en avoir conscience, mais c’est absurde de nous faire croire que la nouvelle pornographie, c’est le Diable. Regardons en arrière : il suffit de lire des livres sur l’âge d’or du porno, que l’on date de 1969 à 1984 environ, pour comprendre que le milieu était loin d’être reluisant (niveau port de la capote, respect des actrices, pratiques très limites, trafic des jeunes femmes) et que beaucoup de choses se sont améliorées depuis.
Pour autant, tu n’es pas dans l’exaltation aveugle. Qu’est-ce qui te dérange dans la pornographie ? Qu’est-ce qu’un mauvais porno selon toi ?
Cela me déplaît de savoir que la production mainstream américaine est en majorité pensée pour les hommes blancs hétéros qui ont entre trente-cinq et soixante ans. Quand il s’agit de mettre en scène les séquences de domination par exemple, ce porno-là manque de “pouvoir partagé” égalitaire. Il est essentiellement basé sur le plaisir masculin, fait perdurer une vision erronée du corps de la femme, obsédée par le plaisir vaginal. La masturbation féminine y est une jouissance avant tout destinée aux hommes, c’est une mise en scène qui dépossède la femme de ses propres désirs. Meme si à mes yeux, le X de YouPorn, par son offre Amateur par exemple, obéit à des images bien moins normatives que le magazine Playboy…
Justement, tu nous expliques que ces normes-là sont en vérité déboulonnées par le X, pour la bonne raison qu’une féministe pourra très bien prendre son pied sur du hardcore BDSM, ou un hétéro sur du porno gay. Crois-tu que lorsqu’on observe le X, l’on s’intéresse trop au produit, pas assez à son consommateur ?
Oui. Avec Planète Porn, j’ai décidé d’étudier le porno comme j’aurais étudié n’importe quel sujet ! Mais dans les médias, on peine à en parler sans ton moralisateur ou partisan. Comme si on n’acceptait pas encore que le X fait partie de nos vies. La pornographie reste un objet marginal. On l’envisage soit comme un truc qui fait marrer entre potes, soit comme le ridicule quiproquo de la sainte nitouche qui découvre ces images à grands coups de “Oh mon Dieu c’est terrible ! je ne veux pas voir ça !” (elle rit). Ce que je souhaitais évoquer, c’est la banalisation de la pornographie. C’est pour cela que j’interroge un consommateur de X, qui en regarde régulièrement, un type totalement banal. Car c’est ce qu’est le X : banalisé.
On ne dit pas assez, alors que des études le prouvent, que ceux et celles qui consomment du porno le font parfois dans le cadre du couple, que les hommes consomment énormément de pornographie gay, ou que les femmes consomment du hardcore, du BDSM, des fantasmes assez violents, des sodomies avec des queues XXL, des scènes de fellations forcées. Ou, carrément, effectuent des recherches comprenant le mot « viol » ! Je m’étais rendue à la convention commerciale XBiz de Berlin afin de questionner sur place des producteurs. Ils m’avaient dit que les femmes consommaient surtout des films trop “érotiques” (elle sourit). C’est faux ! Pour une femme, il arrive tout simplement qu’un X féministe soit moins excitant qu’un gang bang, qu’un glory hole ou qu’une scène de “petite salope” qui se fait gifler.
“Le spectacle pornographique est un moment de déconnexion avec le monde et avec soi”
A ce titre, cette exploration de l’explicite est aussi celle de ton intimité et de ses paradoxes. « J’ai tenté d’expliquer ce que je ressentais en tant que journaliste, en tant que femme et probablement en tant que mère« , écris-tu. Lorsque tu consommes du porno, parviens-tu à dissocier masturbation et convictions ?
Le spectacle pornographique est un moment de déconnexion avec le monde et avec soi, au sein d’une société accélérée où l’on est en constante mobilité, toujours « en ligne« , à gérer plusieurs choses à la fois – être mère, femme, entrepreneuse. C’est un instant égoïste de masturbation facile, de détente et de repli sur soi. On se laisse emporter par les choses, on se découvre, on ne se pose plus autant de questions.
Tu émets un parallèle entre l’obscénité du X et les nus des musées. A l’instar des beaux arts, la pornographie serait-elle une expérience contemplative ?
Totalement. Je pense d’ailleurs que beaucoup de gens consultent du X sans se masturber – comme un instant d’observation sans jouissance. Larry Flynt dit d’ailleurs de façon un peu provoc’ : “la pornographie est l’expérience la plus pure de l’art”. Par là, il entend peut être qu’avec la représentation crue et sans censure de la baise qu’est la pornographie, on en revient en quelque sorte à l’origine du monde, ce matériau un peu biblique qu’a pu peindre Courbet.
Ton livre met l’accent sur la puissance d’identification du porno, qui, plus que les schémas classiques auxquels on l’associe, offrirait « une corne d’abondance de possibilités, comme un lèche-vitrines érotique« . Le X est-il un outil d’émancipation ?
C’est en tout cas ce que me glisse l’actrice Amarna Miller, qui a grandit en Espagne dans un milieu populaire catholique. YouPorn fut une libération pour elle : enfin, elle pouvait comparer son corps à d’autres, et concevoir en tous ces corps autant d’objets de désir. Les « pornotubes » nous amènent à questionner notre relation au corps, comment on l’observe, ce que l’on en fait. Ce n’est pas une fin en soi, mais un outil.
Je l’explique dans Planète Porn : ceux qui matent des films pornos « composent une foule hétéroclite de gens qui utilisent ces images comme des déclencheurs ou des supports de leurs fantasmes, qui les regardent pour s’instruire, pour voir d’autres corps, d’autres organes, qui assouvissent des pulsions qu’ils n’ont pas la possibilité d’assouvir avec leur partenaire, ou qui préfèrent les assouvir seuls« . La pornographie n’est pas une régression. Aujourd’hui, elle vit une révolution.
Tu racontes qu’il est plus facile d’explorer la Porn Valley (le cœur de l’industrie porno californienne) lorsque l’on est une femme. Pourquoi ?
Car être une femme m’a aidé à obtenir plus facilement la confiance des actrices pornographiques, à leur poser des questions plus intimes, sur leur rapport au sexe, leur ressenti durant le tournage, leur relation à leurs partenaires. J’ai vécu beaucoup de refus de demandes d’interviews car c’est un milieu qui se protège énormément, et ce sont en majorité des femmes qui m’ont répondu. Peut être parce qu’elles sont en permanence obligées de justifier leurs choix professionnels. Une femme qui choisit le porno passe forcément pour une nymphomane ou une personne brisée par la vie.
C’est ce jugement massif qui les ont amenées à réfléchir à leur raison d’être : pourquoi font elles ce qu’elles font ? Les actrices X sont des femmes pudiques, souvent agressées sur les réseaux sociaux. J’ai une profonde tendresse pour elles. Elles font jouir toute la planète mais sont mises au banc de la société. Les actrices et réalisatrices que j’ai pu rencontrer à la Porn Valley, comme Jacky St. James et Kayden Kross, ont un grand courage et se battent pour leurs convictions.
Dans ton livre, tu évoques également l’acteur Manuel Ferrara, grand performer de l’industrie. Quel regard portes-tu sur les hommes qui font le X ?
Ce qui me choque toujours dans le porno, c’est qu’on ne voit jamais le visage des hommes, ou alors très peu, mais surtout leur “membre”. Ce n’est pas très excitant pour une femme ! (elle sourit) Alors que lorsqu’une femme jouit avec une autre femme, l’on voit son visage, le porno semble moins mécanique. Comment se masturber sur un sexe sans visage ? Dans le mainstream, l’homme est l’accessoire masturbatoire de la femme, qui, elle, est au centre de la mise en scène. Les producteurs que j’ai rencontré m’ont expliqué que les hommes qui achetaient du porno n’avaient pas envie de voir les visages des acteurs durant l’acte, qu’ils préféraient se mettre à la place de la caméra et ne plus considérer le performer en tant que personne. Comme si ça les dégoûtait !
C’est justement à ce gros supposé que s’attaque la pornographie féministe, comme celle d’Erika Lust que j’intègre à mon livre : il ne s’agit pas simplement de filmer la femme en pleine possession de ses désirs mais de filmer l’homme, enfin. Dans une scène de dialogue, il y a trois caméras : une qui te filme, une qui me filme, une qui filme l’ensemble. Mais dans la pornographie il n’y en a trop souvent qu’une. Les pornographes féministes ajoutent justement la seconde et la troisième caméra pour capter le désir. On voit alors celui qui regarde et celui est regardé. La pornographie féministe n’est pas une question de pratiques mais de regard ! Le truc c’est qu’aujourd’hui, consommer du porno, c’est comme pour tout produit : il faut payer pour encourager les bons producteurs, ceux qui diffusent du contenu “éthique”. Or, tout le monde n’a pas les moyens d’aller à la BioCop’ du porn !
“La pornographie féministe n’est pas une question de pratiques mais de regard”
Aux antipodes de la pornographie éthique on trouve celle, très controversée, de Pierre Woodman (un producteur et performeur de « castings » pornographiques, plusieurs fois accusé de viol au cours de sa carrière). Lire ses propos, c’est affronter une représentation intensément misogyne du X. Il te raconte : « [Les mecs veulent] voir une fille se faire taper, humilier, crier fort, se faire prendre dans le cul, ou pire, du scato« . Quel regard portes-tu sur cette rencontre ?
Pierre Woodman est représentatif à lui seul du porno à papa, du X qui s’est tiré une balle dans le pied. Woodman est l’incarnation de cet ancien monde qui meurt. Ses vidéos ne sont pas toutes dégoûtantes, et même si j’ai entendu des choses absolument terribles sur lui, au sujet d’actrices tombées entre ses mains et qui auraient souffert par exemple, je suis partie le rencontrer avec un esprit de grande ouverture. Je le pensais fin, et il était ravi de voir une journaliste, très sympathique. Mais finalement, Pierre Woodman est conforme à ce qu’il fait en vidéos. A moins qu’il ne soit dans la peau d’un personnage ? Qu’il en rajoute ? Moi, je pense que c’est vraiment lui. C’est à dire : l’incarnation d’une vision réac’ du X, façon “toutes des salopes”, qui a fait son heure dans ce milieu. Derrière la mise en scène d’une domination ou d’un rapport forcé, le gros problème est ce militantisme personnel, sa mythologie viriliste qui m’évoque la violence de la communauté Incels.
Quand une gamine de dix huit ans se fait sodomiser par Pierre Woodman, il la dit consentante sur le papier, mais dans la réalité c’est loin d’être si clair. On ne peut pas parler de consentement quand on observe la manière dont ce dépucelage est filmé. Son idée est : dès qu’une actrice signe, elle doit faire son boulot jusqu’au bout, et sinon c’est pareil, tant pis. La fille qui au cours du tournage ne se sent pas bien, il ne supporte pas du tout. Pour lui, elle doit continuer à baiser, et prendre son pied. Il est bloqué dans une vision frénétique, caricaturale et malade, du porno, qui ne prend pas en compte la santé physique et mentale des femmes.
A l’inverse de cette féminité meurtrie, tu consacres un chapitre entier aux camgirls, des figures émancipatoires du X. L’une d’entre elles, la très populaire Charlie, t’affirme : « Quel que soit ton travail, tu vends ton corps« . Penses-tu que le X soit en cela une sorte d’excroissance de notre société ?
Effectivement. On se vend tous à quelqu’un ou à quelque chose dans notre vie si l’on y réfléchit bien. On a beaucoup à apprendre des professionnels de la pornographie…et surtout des femmes ! Au fond, nous partageons notre vie avec les pornstars, puisqu’elles sont au coeur de notre intimité.
A propos de la plateforme hégémonique de camgirls, Chaturbate, tu dis qu’elle représente aujourd’hui « l’expression d’une libération sexuelle qui passe aussi par une libération de l’expression sexuelle, c’est à dire le porno« . Peux-tu m’en dire plus ?
Chaturbate concentre tout un mouvement amateur et citoyen. Ce sont les nouveaux libertins virtuels qui font de ce medium d’expression un espace de confiance. C’est une pornographie live, libérée des contraintes du montage, plus directe et respectueuse. Si un consommateur ne respecte pas une camgirl, on l’exclue. Il faut savoir que beaucoup des grandes maisons de production ont investi dans le milieu de la cam’, ce qui leur permet de baisser leurs coûts de production. Or, ce sont les mêmes qui nous font croire que le porno en ligne leur a été fatal. Comme pour les majors de l’industrie du disque face au piratage, il faut nuancer ce discours alarmiste.
“On est tous égaux face au X, que l’on consomme pour des raisons à peu près semblables, quel que soit notre niveau d’études ou notre classe sociale”
De l’exploration de « l’amateur » à celle des camgirls, tu l’affirmes : « pour la première fois de l’histoire la pornographie est accessible à tous […] ce n’est pas le pouvoir politique, masculin ou religieux qui décide si j’ai le droit de regarder des scènes de sexe ou pas« . Le X sous YouPorn serait-il devenu un outil de contestation sociale?
La pornographie a toujours été un objet de pouvoir. Un mode expression d’abord réservé aux hommes des élites, qui, disait-on, avaient la matière intellectuelle pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. Puis la pornographie a été diffusée aux hommes des classes populaires – parce qu’on pensait que les femmes n’avaient pas le droit à la pornographie, qu’elles allaient devenir hystériques. D’élitiste, elle est devenue contestatrice. Le combat opposant Larry Flynt (créateur de la revue cochonne Hustler) et le révérend Jerry Falwell l’a démontré dans les années 80.
Défendre le porno est un acte politique : il s’agit de liberté d’expression. On ne peut pas interdire le X sous prétexte qu’il serait nocif pour les enfants. Sa démocratisation fait peur, et pourtant, c’est un produit social qui permet aux gens de se réunir. L’on est tous égaux face au X, que l’on consomme pour des raisons à peu près semblables, quel que soit notre niveau d’études ou notre classe sociale.
Si la pornographie peut s’envisager en medium de conciliation comme tu tends à le faire, elle suscite surtout beaucoup de craintes. On parle alors de « panique pornographique« . Cette peur, comment l’expliques-tu ?
Chaque évolution de la pornographie (format, moyen de diffusion, contenu) a engendré un vent de panique morale. La « panique pornographique » n’est pas née sous YouPorn, Larry Flynt en faisant déjà l’objet. C’est en glissant des plus riches aux classes populaires que la pornographie a engendré la peur. Idem pour le libertinage, autorisé quand il se destine à l’élite chic, scandaleux quand tout le monde le pratique. Car comme l’écrit l’historien Florian Voros, spécialiste en porn studies, « l’obscénité est un principe d’exclusion des publics subalternes« .
A travers l’idée de panique pornographique, tu étudies l’argument de l’addiction au porno. Ce phénomène est-il une légende urbaine ou une menace bien réelle ?
L’idée d’addiction à la pornographie est récente car elle est indissociable des nouvelles technologies – on parlera tout aussi bien d’addiction aux jeux vidéo et aux téléphones portables. C’est quelque chose qui fait peur car l’on a tous ressenti un jour l’idée que le porno pourrait être un poil addictif. Mais il faut se calmer : il ne nous rend pas tous obsédés, n’occupe pas nos journées entières.
Cependant, l’addiction à la pornographie existe, même si c’est un phénomène très minoritaire, loin d’être un mal menaçant au sein de la société actuelle. La rapidité et la succession d’images du porno sur le web font que l’addiction est permise d’un point de vue neurologique. Ce n’est donc pas une vue de l’esprit mais il faut toujours la contextualiser, préciser que le souci n’est pas la pornographie à proprement parler mais la situation de la personne concernée, son rythme de consommation, sa capacité décisionnelle. Le X est dans ce contexte un objet de l’addiction et non sa cause. Boire un verre le soir ne nous rend pas tous alcooliques !
L’autre enjeu social associé à la pornographie est son accessibilité à un (trop) jeune public. A ce titre, le gouvernement de Theresa May a mis en place une mesure de sécurisation nécessitant une identification sur les pornotubes (en précisant l’indicatif de sa carte de paiement et en présentant sa carte d’identité ou son passeport.). Une mesure polémique – quant à son incidence sur la liberté d’expression, la liberté sexuelle et la liberté du web. Quel est ton point de vue à ce sujet ?
Cette mesure, c’est la mise en place d’un système liberticide. Présenter sa carte d’identité pour consommer de la pornographie sur internet, c’est un vrai problème, et ce n’est pas en faisant ça qu’on protégera nos enfants. C’est un problème qu’une démocratie adopte une mesure semblable à celles de la Chine pour censurer la diffusion du contenu sur Internet. Sur le principe, il faut se battre contre, même si on a pas de solutions alternatives pour protéger nos enfants, si ce n’est la surveillance parentale. Il faut privilégier une prévention et un dialogue autour de la pornographie, qui passerait aussi par les écoles, plus qu’une censure à très haut niveau.
Crois-tu en la nécessité d’une éducation au porno, parallèle et distincte à l’éducation sexuelle ? Une sorte d’éducation aux médias version X ?
L’éducation sexuelle que l’on propose aux enfants est déjà insatisfaisante, car elle repose sur la fécondité, le système reproductif, le préservatif, mais ne parle jamais de désir, d’orgasme…et de plaisir féminin n’en parlons même pas ! Mais oui, il faut aussi leur expliquer que la pornographie est un miroir grossissant, un spectacle, le catch du sexe. C’est ce qu’explique Amarna Miller : « La pornographie n’est en aucun cas un outil d’éducation sexuelle, peu importe qu’elle soit réaliste ou pas« . L’initiative de Céline Tran au sein de l’association Open, délivrant des campagnes de prévention au numérique, irait dans ce sens. Je pense aussi à thepornconversation.org, un site éducatif à destination des écoles mis en place par Erika Lust.
Par contre, je trouve le discours de la philosophe et sexologue Thérèse Hargot très dangereux et alarmiste, à toujours dénoncer la « tyrannie de la pornographie » dans les collèges, affirmer que le porno provoquerait des pulsions horribles ou déformerait l’esprit des enfants. Les enfants et les ados ont toujours consulté de la pornographie quand ils le voulaient et cela n’a pas fait d’eux des violeurs. Le problème n’est pas la pornographie, mais l’idée d’enfants livrés à eux mêmes, déconnectés, qui n’auraient pas le recul nécessaire pour lire ces images.
Planète Porn nous démontre à quel point la définition du porno est flottante. Tu cites le juge Potter Stewart : “La pornographie, je la reconnais quand je la vois !« . Aujourd’hui, est-elle toujours aussi ardue à appréhender ?
La pornographie est une culture qui se redéfinit au fil des moeurs et se réinvente en permanence, du Kama Sutra du cinquième siècle aux oeuvres littéraires de Sade, de la diffusion des premières images de femmes nues en 1830 au premier numéro de Playboy en 1953. Aujourd’hui je m’intéresse aux nouvelles évolutions technologiques, comme l’explosion du format 4K. De l’Ultra HD qui étend la profondeur du champ et les sensations. C’est une sorte de réalité augmentée du X.
Justement, comment envisages-tu la pornographie de demain ?
Je pense que l’on est arrivé au bout du système actuel de consommation du porno qui est celui des pornotubes, vers la finalité de ce porno-zapping où la masturbation se fait par fragments, de façon un peu trop mécanique. L’étape suivante pourrait être un retour à une pornographie plus créative, plus émotionnelle et contextualisée, qui ferait la part belle aux moments de latence qui précèdent l’acte, de présentation plus étendues des situations et des personnages. Avant, le désir précédait le visionnage. Il y avait le plaisir transgressif du suspens : aller chercher sa VHS, la ramener chez soi sous le manteau, c’était déjà plus excitant que de la mater !
Le X est un cycle, et je pense que l’on va en revenir à cette conception du plaisir qui passe par le teasing. La « mise en route » du plaisir sexuel plus que son accomplissement spectaculaire, un retour vers une montée rituelle du désir.
Propos recueillis par Clément Arbrun
Planète Porn, Enquête sur la banalisation du X, de Marie Maurisse, éditions Stock, 224 p., 18 €
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