A l’heure du Brexit, cette institution anglaise a pourtant tous les atouts pour détrôner l’apéritif italien, chouchou de nos terrasses.
« C’est ce que j’appelle de la sangria anglaise ! ” s’amuse Gilles du Harry’s New-York Bar, une fameuse enseigne à cocktails du quartier de l’Opéra. Le barman enfile sa blouse blanche et commence à préparer méthodiquement le fameux Pimm’s. Il verse une dose de cette étrange liqueur à la couleur caramel dans un verre à long drink rempli de glace, mélange soigneusement, puis ajoute de la menthe fraîche, une rondelle de concombre et des fruits frais. Et allonge le tout avec de la limonade.
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Attirés par ce cocktail coloré et fruité, deux clients néo-zélandais se mêlent rapidement à la conversation. Ces anciens barmen nous apprennent que cette institution anglaise est récemment devenue à la mode du côté de Melbourne et très répandue en Australie. Ils froncent les sourcils quand on leur apprend qu’en France, c’est une boisson un brin ringarde et oubliée du grand public… Gilles intervenant pour prendre la défense de notre cocktail outsider :
“Le Pimm’s est oublié car souvent les gens ne savent pas quoi en faire. Alors que c’est d’une simplicité ! Sans aller jusqu’au cocktail comme ça, un Pimm’s – limonade à la maison, c’est vite préparé.“
Une clientèle d’initiés et surtout anglophone
Et il faut bien l’avouer, quand on essaye de dresser un croquis de la clientèle française dudit cocktail, on est loin du profil branché. Le Pimm’s est surtout servi à un public d’initiés. Au Harry’s New-York Bar, par exemple, on en sert à peu près 300 cocktails par an, essentiellement l’été et à des “clients qui ont connu ça quand ils étaient jeunes et qui ont une soixantaine d’année”. Idem, chez le caviste Lavinia (9e) où Maxime Agostini, conseiller en vins et spiritueux, qui reçoit surtout des commandes de concierges de grands hôtels pour leurs fidèles clients. Parmi ses acheteurs, la moitié viennent de pays étrangers “surtout des Américains”, et forment dans l’ensemble une population plutôt vieillissante. Mais pas un jeune, nada.
Pourtant, il n’y a qu’à franchir la Seine et s’attabler au pub traditionnel anglais du Bombardier (Place du Panthéon), pour constater que son public ne demande qu’à rajeunir. Ici dès que le baromètre s’envole, on propose des Pimm’s Cup. Et si la clientèle est à la base plutôt anglophone,le cocktail séduit de plus en plus de Français, surtout des habitués du Spritz. Le barman explique:
“Quand des clients voient ce cocktail arriver à la table d’à côté, ils pensent au Spritz, un peu similaire, plus léger et avec ces fruits, ça donne envie, donc ils en commandent.”
Et avec l’arrivée des beaux jours, le Bombardier peut en servir presque autant que d’Aperol – Spritz ! Pimm’s 1- Apérol 0
Les ingrédients (à gauche) et le broc légendaire de Pimm’s Cup (à droite)
Un héritage anglais et une tradition estivale
Cocktail traditionnellement servi lors des courses de chevaux en Angleterre, et lors de Wimbledon – provoquant même un boom dans le prix des concombre ou une polémique sur le nombre de brins de menthe – le Pimm’s est encore aujourd’hui une institution typiquement britannique et définitivement estivale. Best-seller des pubs dès que les températures commencent à grimper, on le sert le plus souvent dans de grandes cruches à partager. “Et il peut tout aussi bien être dégusté en terrasse qu’emporté au parc pour un pic-nic festif, du fait de son faible dosage en alcool”, comme le précise le barman anglais du Bombardier.
Publicités Pimm’s des 70’s et 80’s
En France, c’est une toute autre histoire. Le Pimm’s a connu son heure de gloire dans les années 20. On le déguste alors surtout sur la Côte d’Azur, probablement grâce aux nombreux vacanciers anglais. Mais point à Paris, comme précise Gilles : “Oh non, on était plutôt au vin rouge, au vermouth ou à l’absinthe à l’époque, c’était bien avant que les barmans américains arrivent dans la capitale avec leurs cocktails.” Avec le temps, le cocktail est peu à peu oublié. Sa bouteille ne jouant pas en sa faveur comme nous précise Maxime Agostini : “La bouteille n’a pas changé et peut faire un peu vieux jeu, côté couleur : on est loin de l’orange fluo de l’Apérol !”
Et pourtant, on voit récemment fleurir sur instagram un lot de hashtags séduisants #pimmsoclock et #pimmscup – boostés par des campagnes australiennes essayant de relancer le fameux cocktail. Outre-Atlantique, on assiste également à un regain d’intérêt, pointé du doigt dès 2012 par le New-York Times qui décrivait cette tradition adoptée par La Nouvelle Orléans en Louisiane, puis répandue dans des bars à cocktails tendances de Brooklyn.
Un cocktail léger, rafraîchissant et très peu sucré
“C’est très rafraîchissant. Moi j’appelle ça le Tea Time”, ironise le barman Gilles. “c’est une boisson que vous allez boire l’après-midi, un peu comme l’Apérol Spritz.“
En effet, si la bouteille indique 25% d’alcool (en volume), le cocktail ne contient au final pas plus d’alcool qu’une bière. Côté calories, c’est même un très bon plan pour ceux (ou celles) qui surveillent leur ligne, affichant 160 calories pour 100 ml – soit 22 calories par verre (à raison d’une dose de 5cl). On est bien loin de l’addition salée d’un whisky coca, qui atteint souvent 250 calories !
Autre avantage, sa recette ! Difficile de se tromper, c’est écrit sur la bouteille, comme pour l’Apérol. On peut y lire : une dose de Pimm’s pour 3 de limonade. Ce à quoi, on peut ajouter de la glace, et toutes sortes de fruits de saisons dont les plus traditionnels : concombre, menthe, fraise, pomme et orange. De quoi vous dédouaner illico des 5 fruits et légumes par jour. Pour les puristes, sachez que vous pouvez les rajouter au dernier moment, ou les écraser. Dans les pubs, on a même tendance à laisser macérer liqueur et fruits pour donner plus de goût. Autre délicieuse variante, l’association entre la fraise et le basilic. Un must !
Une composition secrète, mise au point pour faciliter la digestion
Et si certains breuvages peuvent vous faire tourner de l’oeil à cause d’ingrédients pas toujours nets (tu nous entends l’Apérol ?), le Pimm’s lui, est un apéritif authentique, comme ses cousins italiens (Campari ou Cynar). Il a d’ailleurs été mis au point pour faciliter les digestions difficiles. Baptisé officiellement Pimm’s n°1, cette liqueur fut ainsi créé par un restaurateur londonien James Pimm. Ce fils de fermier, originaire du Kent, eut l’idée de servir ce bitter à base de gin pour aider ses clients à digérer… les crustacés servis dans son bar à huîtres. Après avoir commencé une production artisanale dès 1823, son succès l’encourage à le produire à l’échelle commerciale dès 1851. Si l’on en croit la recette, connue par seulement 6 personnes si l’on en croit la légende, le Pimm’s n°1 contiendrait du gin et une macération de fruits et d’écorces d’orange.
Au début du XXe siècle, il existait six différentes recettes de Pimm’s. La première, Pimm’s N°1, à base de gin, est sans conteste la plus populaire, et finira par esquiver les autres numéros contenant du whisky, brandy, rhum ou encore de vodka. Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas obligés d’aimer le Gin pour apprécier un Pimm’s n°1, le goût étant assez discret derrière les liqueurs de fruits et de plantes.
Une recette originale et des variantes infinies
Pour allonger le Pimm’s, la recette classique anglaise propose de la limonade, mais entre nous, elle est facilement détournable. La liqueur étant assez sucrée, certains préféreront remplacer la limonade par du Perrier (ou anciennement de l’eau de Seltz), au contraire lui donner une touche amère avec du Schweppes, ou du piquant avec du Ginger Ale (comme du Canada Dry), et pourquoi pas l’épicer carrément avec une Ginger Beer (ou même un mélange des deux précédents). Enfin, version chic, on préférera l’allonger avec du champagne : vous voilà bon pour un Pimm’s Royal.
Et si ce cocktail peut paraître trop léger pour certains, il existe bien des combines pour le rendre plus costaud. La recette originale ayant été abaissée en alcool, pour y remédier, vous pouvez rajouter un trait de Gin au cocktail, un cl suffit pour le renforcer, et les variantes sont infinies : “Si vous voulez changer son goût vous pouvez aussi mettre un cl de cognac, d’armagnac ou de whisky à la place. Ça se mélange vraiment avec tout ! Et en plus en ajoutant ce trait d’alcool vous lui donnez un goût unique, le vôtre. Vous le personnalisez en somme.”
https://www.instagram.com/p/BK0_-zwhLnc/?taken-by=pimmsbelgium
Le Pimm’s capable de détrôner l’Apérol ?
Quand on pose la question au barman ayant plus de 30 ans de métier au Harry’s Bar, sa réponse est sans appel :
“Moi sincèrement je préfère le Pimm’s à l’Aperol Spritz pour l’apéritif. Le Pimm’s est beaucoup plus fin. La preuve : l’Apérol seul, avec du Perrier ou de la limonade, c’est vraiment pas bon ! (…) D’ailleurs, le Spritz n’était pas beaucoup plus connu que le Pimm’s en France avant [la campagne de pub massive]. C’était même plutôt l’apéritif du pauvre. L’Apérol, c’est 100% chimique, contrairement au Campari ou au Pimm’s.”
Un autre argument, c’est celui de sa compostion à base de Gin, comme nous le confirme le Pub du Bombardier, “Ça pourrait devenir le nouveau Spritz Aperol, car de plus en plus de personnes boivent du Gin ces dernières années.” Maxime Agostini, acquiesce et confirme “le Gin refait un retour spectaculaire dans les ventes d’alcool, jouant des coudes avec le Rhum et le Whisky.” Pimm’s 2 – Apérol 0
Enfin, en termes de prix, le Pimms (70cl) s’en sort plutôt pas mal, avec environ 20 euros la bouteille contre 17 euros pour une bouteille d’Apérol (1L), sachant que vous n’aurez pas à rajouter le prix de la bouteille de Prosecco, mais seulement des fruits et du soda !
Bien entendu, le marketing et la publicité viennent donner un sacré bourre-pif à notre raisonnement. Il n’y a qu’à observer les affiches en 4 par 3 dans le métro pour promouvoir le Spritz. Cependant, les bars à cocktails branchés étant toujours à l’affût de nouvelles recettes, et la mode étant un éternel recommencement, on peut parier sur le retour du Pimm’s, comme le conclut notre barman anglais : “Je pense qu’il suffirait que les bars en fasse la promotion sur leur ardoises, comme ici au Bombardier, pour que ça devienne aussi populaire !” Ainsi soit-il !
https://www.instagram.com/p/BJvj0e7hJ8e/?taken-by=pimmsbelgium
Où boire un bon Pimm’s à Paris ?
Vous pouvez le déguster toute l’année aux comptoirs des grands hôtels, au Harry’s New York Bar bien entendu, et surtout l’été dans les pubs anglais. Pour s’en procurer et faire votre propre potion, sachez qu’il est présent chez de très nombreux cavistes (dont Nicolas), mais aussi dans les supermarchés. Cherchez bien, il se cache. Mais plus pour longtemps.
Merci au Harry’s New York Bar, au pub The Bombardier et au caviste Lavinia pour leur gentillesse et leur accueil.
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