Le “pedal pumping” Vous connaissez ? Le “pedal pumping”, c’est le fantasme du pied, de préférence féminin, sur la pédale d’accélérateur – d’une voiture, d’un tracteur, embourbé ou pas. Un fétichisme aux multiples variations auquel on s’est intéressé, pied au plancher.
C’est la nuit. Une jeune femme, seule au volant d’une Renault 21 modèle 1987, conduit sur une petite route de campagne que ses phares jaunes éclairent péniblement. Personne en vue. Il se met soudain à pleuvoir, de plus en plus fort, tandis que la route s’est muée en chemin de terre cahoteux où, la pluie aidant, la voiture s’embourbe.
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Pour en sortir, la jeune femme appuie fort sur la pédale d’accélérateur, tout en essayant de ne pas noyer le moteur. Son pied droit, chaussé d’un stiletto rouge, se cambre et fait des mouvements de va-et-vient sur la pédale usée. Le moteur vrombit, une fumée noire s’échappe du pot d’échappement, les pneus crissent, la boue gicle par derrière… Rien à faire : la voiture est coincée.
L’amour des pieds féminins sur la pédale
Dans un porno classique, un chevaleresque gaillard arriverait sur les lieux par hasard, sortirait la demoiselle de ce mauvais pas, et en obtiendrait naturellement une gratification. Mais pour certains fétichistes, d’un genre bien particulier, cette scène constitue au contraire un climax, qui rend la suite superflue. Ce fétichisme, c’est le pedal pumping, ou l’amour des pieds féminins appuyant sur une pédale d’accélérateur.
https://www.youtube.com/watch?v=rMlzRluwHb0
Si vous n’y croyez pas, entrez ces deux mots dans YouTube : des milliers de vidéos ressemblant à la scène décrite plus haut – avec une infinité de variations, et souvent aucune mise en contexte, rien d’autre que le geste répété plusieurs minutes durant – apparaîtront.
Et si vous pensez qu’il s’agit d’une minuscule niche, regardez le nombre de vues : des dizaines, parfois des centaines de milliers. On trouve aussi des groupes Facebook, des comptes Twitter par dizaines et, bien sûr, des sites entièrement dédiés à cette passion, avec des noms on ne peut plus éloquents.
Pedal-lady, Carstuckgirl (pour les branchés embourbement), Vespagirl (pour la variante scooter du phénomène), Pedaldiscount (le Lidl du pedal pumping ?), Pedalvamp (made in Italy) ou le plus classique Pedaltube, géré par un couple d’Allemands, Hans et Sara, qui nous parlent avec enthousiasme de leur petite entreprise.
Hans et Sara gèrent leur site depuis dix ans
Gérant plusieurs sites avec des offres variées (gratuité, abonnement, paiement à l’unité pour 4,99 euros pièce), ils mettent en ligne une nouvelle vidéo chaque semaine et comptent, selon les sites, entre 2 000 et 6 000 abonnés, “dont 10 % sont actifs et paient régulièrement pour nos services, précisent-ils. Que des hommes, âgés de 25 à 50 ans, de toutes classes sociales d’après ce que l’on en sait”.
“Nos clients affectionnent particulièrement les vieux modèles”
Hans et Sara font cela depuis dix ans, mais n’en vivent pas : “Presque tous nos bénéfices repartent dans la production. On le voit plus comme un passe-temps. C’est cependant un business en expansion constante, surtout en Asie, confient-ils. Mais ce n’est pas aussi facile qu’on pourrait l’imaginer en regardant nos vidéos.”
“La difficulté consiste surtout à trouver les voitures : nos clients affectionnent particulièrement les vieux modèles, à cause du bruit et de la rigidité des pédales. Il nous faut souvent nous déplacer pour en trouver, en Italie – beaucoup –, en France ou en République tchèque – où il est aussi très facile de recruter de jolies modèles pour pas cher…” Clin d’œil, clin d’œil…
De multiples variantes au pedal pumping
Le pedal pumping, c’est donc essentiellement deux variables, un pied et une pédale, et mille possibilités. Il y a ceux qui aiment les pieds nus, sales ou vernis, en chaussures à talons, en sneakers, en Converse, en bottes de cuir… Puis, ceux qui vont se focaliser sur certains types de véhicules, de la Ferrari au tracteur, en passant par la mobylette ou la Peugeot 205.
Enfin, le fétichisme se divise en sous-catégories en fonction de l’action pratiquée. Gontran, un ingénieur financier de 58 ans, est intarissable lorsqu’on lui demande de nous les détailler, révélant au passage leur sens caché.
“D’abord, il y a principalement le ‘cranking’ : une femme qui a du mal à faire démarrer sa voiture en pompant sa pédale : le va-et-vient ressemble à l’acte sexuel jusqu’à ce que la voiture, c’est-à-dire l’homme, démarre, avec un pot d’échappement tremblant et crachant.”
Nous y voilà : l’homme est donc la voiture, qui tantôt prend le contrôle sur la femme, tantôt le perd. “Puis, il y a le ‘revving’, poursuit-il. Une fois la voiture démarrée, la femme la punit d’avoir été récalcitrante en la faisant ronfler à fond. Enfin, il y a le ‘stucking’, avec la voiture embourbée, typiquement pour les amateurs de demoiselles en détresse.”
Paraphilie et BDSM automobile
Agnès Giard, chercheuse à l’université Paris-Nanterre, journaliste à Libération (le blog Les 400 culs) et auteur d’un passionnant ouvrage sur les paraphilies (Le Sexe bizarre, éditions Tabou) le formule quant à elle assez poétiquement.
“Le pedal pumping est une forme de danse érotique accompagnée de musique. La musique est d’ailleurs l’élément moteur du fantasme : celle du bolide ronronnant correspond au revving ; par opposition, le cognement de l’arbre à came, le râle de l’auto cacochyme, est typique des scénarios de cranking. Quant au stucking, il s’agit d’une variante mécanique du bondage, réduisant les femmes à l’impuissance au moyen non pas de cordes mais d’un véhicule embourbé.”
“Le bruit du démarreur ressemble à une fille qui pleure”
Gontran évoque une dernière approche, moins répandue : “La mécanophilie, c’est-à-dire un homme en train de faire souffrir une vieille voiture récalcitrante, la noyant volontairement, la faisant hoqueter, la poussant à bout, vidant la batterie. Ici, la voiture est la femme récalcitrante, et le bruit du démarreur ressemble à une fille qui pleure ou se moque du conducteur.”
Du BDSM automobile. Nous avons pour notre part trouvé, en fouillant un peu, une ultime et fascinante variante : le cock pedal pumping, qui consiste à placer un pénis entre le pied et la pédale. Comment ? C’est un peu technique, le mieux est de vérifier par soi-même (enfin du moins sur Google, pour commencer !).
Un plaisir solitaire souvent dévorant
Mais d’où vient cette pratique exactement ? A quel moment et comment devient-on pedal pumper ? Pour les deux hommes que nous avons interrogés, Hans et Gontran, et selon les témoignages qu’on a pu lire ici ou là sur Doctissimo, c’est à l’enfance que tout s’est joué. Agnès Giard confirme que c’est le cas pour presque tous les paraphiles.
“Ma mère m’emmenait en voiture le matin à l’école, se souvient Gontran, et à cette époque, faire démarrer une petite voiture après une nuit froide et humide était une épreuve. Contempler du siège arrière ma mère avec la même routine chaque matin était une excitation, sa voiture tremblant à chaque coup de démarreur dans le garage noir, avec cette odeur d’essence, m’attirait et me faisait un peu peur. Ce fut la même chose avec les mères de mes copains, mes voisines, mes copines et aujourd’hui ma femme.”
Lorsque nous demandons à Gontran si sa femme partage sa passion, voire y participe, il s’assombrit un peu : “Elle sait que j’adore voir les femmes conduire, elle en particulier, et connaît ma passion pour les voitures des années 1960, 70 et 80, mais je n’ai pas osé tout lui révéler… Cela viendra !”
Il décrit ainsi un plaisir solitaire, assez dévorant (“J’y pense au moins une fois par jour”), qui lui a coûté quelques amours et amitiés, et qui est difficile à partager au-delà de coreligionnaires virtuels. “C’était pire avant l’internet, ceci dit. J’ai longtemps cru que j’étais seul à avoir ce fantasme. Jusqu’à ce que je découvre, il y a cinq ans, qu’il y avait des gens comme moi dans le monde entier. Ça m’a décomplexé !”
“Le pedal pumping se pratique surtout dans les Etats républicains”
En 2010, un article américain, repris un peu partout, a semble-t-il sorti le pedal pumping de son trou (où il était embourbé). La journaliste Anneli Rufus du Daily Beast, aidée de la sexologue Susan Block, a en effet signé une enquête révélant les fondements psychologiques de la pratique, mais aussi socio-politiques :
“Le pedal pumping se pratique surtout dans les Etats républicains, davantage intéressés par la culture de la bagnole, sexuellement différencialistes, et sensibles au cliché de la demoiselle en détresse.” Les mecs de droite auraient donc, selon elle, plus de facilités à se projeter dans leur voiture pour toutes sortes de scénarios.
Et les cinéphiles ? Si, en ce qui nous concerne, nous pensons avoir découvert une nouvelle clé de lecture des films de Tarantino (même si le pied féminin est chez lui plutôt posé sur le tableau de bord ou la banquette, un gros plan montre le pied nu manucuré de la chauffeuse de taxi Esmeralda appuyer violemment sur l’accélérateur dans Pulp Fiction, Bruce Willis à l’arrière), ou un aspect supplémentaire à verser au dossier Fast and Furious (Michelle Rodriguez serait-elle la revving queen ?), ce sont trois autres films que cite Gontran, à notre grande surprise.
“Louise Wimmer, avec cette femme fauchée qui couche dans une vieille voiture récalcitrante ; Moka, avec Emmanuelle Devos qui achète la vieille voiture qui a tué son fils ; et Vivement dimanche !, où Fanny Ardant vole et conduit une Citroën DS, voiture typiquement masculine des années 1960.” Grand podophile (du moins son Antoine Doinel), François Truffaut aurait sans doute aimé qu’un de ses films pût aussi bien se prêter à un tel fantasme.
merci à Claire Ferrero d’avoir attiré notre attention sur le sujet
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