Le Parti Pirate présente 58 candidats pour les élections législatives, près de deux fois moins qu’il y a cinq ans. Né sur internet en 2006, à son apogée en 2012, celui-ci a bien de la peine à faire entendre sa voix dans une élection qui lui laisse peu de place.
« Soit je m’arrêtais de m’intéresser à la vie politique, soit je m’impliquais pleinement. » Face à ce dilemme citoyen, Thomas Watanabe-Vermorel a choisi la seconde option et a jeté son dévolu sur un parti peu connu. « J’ai mis le doigt dans un engrenage terrible, sourit-il. Depuis 2012, je me présente à toutes les élections. »
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Thomas Watanabe-Vermorel est le porte-parole du Parti pirate (PP). Ce directeur d’école de 37 ans, cheveux longs et lunettes rondes devant des yeux rieurs, est candidat dans la 5e circonscription de Paris, sous la bannière pirate. Comme ce dernier, les « pirates » s’engagent souvent par coup de cœur.
Cinquante-huit candidats en France
Né sur internet, le parti milite originellement pour une liberté totale sur la toile et « contre les droits d’auteurs tels qu’ils existent, contre les brevets et les monopoles ». Il est fondé en 2006 en France, sur les traces de son homologue suédois. Depuis dix ans, c’est en Allemagne qu’il a le plus prospéré. En plus de compter des élus dans différents pouvoirs locaux, c’est le seul à avoir envoyé une émissaire au Parlement européen. Inspiré par le succès du cousin d’outre-Rhin, le PP français se rêvait un destin à l’allemande. Mais le rêve a fait long feu.
En France, il connait son apogée aux législatives de 2012 où il présente 101 candidats. Il bénéficie alors d’une couverture médiatique conséquente. Cette même année, il compte plus de 1 200 adhérents contre 600 aujourd’hui, pour seulement 58 candidats à travers l’Hexagone. « On souffre d’un vrai déficit de notoriété, regrette Thomas Watanabe-Vermorel. Demandez à des gens s’ils nous connaissent, neuf sur dix vous diront que non. »
De fait, on est loin du flamboyant PP d’il y a cinq ans. Celui que l’on voyait déjà fondre sabre au clair sur l’Assemblée nationale. Celui pour qui on espérait un destin européen. « On a arrêté de penser que le PP serait le parti du masse du XXIe siècle, souffle doucement Thomas Watanabe-Vermorel. On n’est plus vraiment le PP conquérant. »
« Se présente qui le souhaite »
Pour autant, les pirates ne baissent pas les bras. Aujourd’hui, le parti compte six sections locales. Son fonctionnement est horizontal pour « lutter contre la centralisation à la française« . Les sections élisent un représentant qui siège dans un bureau national qui impulse une ligne directrice.
Libertaire, le parti refuse d’être « une meute qui doit obéir uniformément à un chef ». Pour trouver des têtes à placer aux législatives, ils ont fait un appel à candidature. « Se présente qui le souhaite », assure Thomas Watanabe-Vermorel. En riant, il martèle son mantra. « Si tu ne sais pas pour qui voter, présente-toi comme candidat. Par exemple, moi maintenant je sais toujours pour qui voter. »
Le profil d’un pirate ? « Plutôt bac plus 5 que bac moins 5, et plutôt urbain que rural, convient le porte-parole. Mais on essaie de s’élargir. » Cette volonté de renouvellement se retrouve dans les quatre points fondamentaux d’un programme qui a un peu évolué depuis cinq ans. Le parti milite pour une rénovation de la démocratie, une nouvelle vision de la propriété intellectuelle, la défense des libertés individuelles et des droits fondamentaux ainsi que la notion de « communs » pour promouvoir une vision écologiste.
« Hackez l’Assemblée nationale »
Lorsqu’on s’étonne qu’internet ne soit plus au centre du programme d’un parti pourtant fondé sur et pour la toile, les pirates ont une réponse claire. « Internet c’est le monde, s’exclame Gabrielle Nereuil, 33 ans, candidate dans la 7e circonscription de Paris. Notre slogan c’est toujours ‘Hackez l’Assemblée nationale’. Dans la notion de « hacking », il y a celle de déconstruction. Nous on veut déconstruire le système pour plus de démocratie. »
Pour la jeune femme, « le parti ne s’est pas banalisé, il s’est généralisé ». Selon elle, l’échec « relatif » et le manque de visibilité des pirates ne proviennent pas de cet élargissement du programme mais plutôt d’un « verrouillage institutionnel » qui l’empêche de grandir. « On ne vit que sur le financement de nos adhérents et des dons, expliquent les candidats. On n’est pas très riche or on doit financer nos idéaux. »
« Virage stratégique »
C’est entre autres ce qui a poussé le PP à effectuer un virage programmatique, mais aussi stratégique. De conquérant, il est devenu coordinateur. Il essaie désormais d’articuler autour de lui les différents petits partis. « Rien que dans ma circonscription il y a plus de vingt candidats, personne ne se penche dessus, mais ça prouve bien que les gens veulent plus de démocratie », se réjouit Thomas Watanabe-Vermorel. Une fonction de coordination qui explique entre autre le peu de candidats cette année. « On s’est mis d’accord avec d’autres partis qu’on soutient, d’autres collectifs. »
L’objectif : ne plus être dans des « logiques ennemies » afin de chercher le consensus avec d’autres petits partis. Mais pas que ces derniers. Car les pirates visent un parti institutionnel : Europe Ecologie – Les Verts (EE-LV), dont ils sont « proches ». « Franchement, on a du mal à différencier un militant EE-LV d’un militant pirate, assurent en chœur les candidats. C’est absurde que EE-LV nous considère comme des ennemis. »
Ainsi, en cas de défaite, probable, appelleront-ils à voter pour d’autres partis ? « Jamais », tranche Thomas Watanabe-Vermorel. Au second tour de la présidentielle non plus, aucune consigne n’avait été donnée. A cela près, que « un vote pour Marine Le Pen est incompatible avec les valeurs des pirates ».
Pour les législatives, généralement, les pirates envoient un questionnaire aux différents candidats qualifiés pour le second tour. « Et généralement, ils ne nous répondent pas », sourit le porte-parole. Lucide, le trentenaire sait qu’il n’a aucune chance d’entrer dans l’Assemblée. « Une victoire serait d’avoir des financements publics pour pérenniser le mouvement. »
Pour y arriver il faut que cinquante candidats atteignent au moins 1 % des suffrages, synonyme de financements publics. En regardant Thomas Watanabe-Vermorel coller sa dernière affiche de campagne d’un geste expert, Gabrielle Nereuil sourit. « Ça va être compliqué, mais on ne perd pas espoir. »
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