Le groupe LVMH a pris officiellement les rênes du quotidien cédé par Amaury. Un changement de propriétaire qui préoccupe salariés.
Les équipes des journaux Le Parisien et Aujourd’hui en France se pressaient en ce début d’après-midi du 4 novembre pour rejoindre la grande salle de réunion du siège de l’entreprise, à Saint-Ouen. Hors de question de louper la première intervention publique de Francis Morel, leur nouveau PDG et représentant de LVMH. Le groupe de luxe de Bernard Arnault est en effet officiellement devenu fin octobre propriétaire du quotidien régional et de son édition nationale, avec leurs plus de 365 000 exemplaires vendus chaque jour en moyenne et 185 millions de chiffre d’affaires annuel. Pour 50 millions d’euros environ, il a considérablement élargi son périmètre dans les médias, où il détenait déjà Les Echos, Investir, Radio Classique, Connaissance des Arts… Après plusieurs mois de négociations et d’attente du feu vert de l’Autorité de la concurrence, l’occasion était enfin donnée à ses nouveaux salariés d’entendre de vive voix ce que LVMH leur réserve pour l’avenir. Et peut-être de lever les craintes de ceux qui redoutaient un risque de restrictions pour le personnel, voire de reprise en main éditoriale à dix-huit mois de la prochaine élection présidentielle.
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« Le groupe est proche des pouvoirs, de tous les pouvoirs »
D’ailleurs – pure coïncidence ou signe prémonitoire ? –, on pouvait noter 48 heures avant, la parution en événement dans le quotidien d’une longue interview de Nicolas Sarkozy. Une double page où celui-ci a allègrement déroulé son argumentaire sécuritaire. L’entretien, prévu de longue date, s’inscrivait dans une vaste opération de communication de l’ex-président de la République, qui s’est poursuivie le 4 novembre au matin sur l’antenne de RTL, autre média populaire. « Le groupe est proche des pouvoirs, de tous les pouvoirs, de Sarkozy comme de la Ville de Paris », généralise un journaliste. Et, s‘exprimant à plusieurs reprises devant les élus du personnel ou dans les médias au cours des derniers mois, Francis Morel s’est efforcé de rassurer tout le monde.« Il s’est engagé à ne pas modifier la ligne éditoriale », souligne Oliver Corsan, élu SNJ. Devant les salariés, le PDG a encore expliqué que « Le Parisien n’est pas un journal d’opinion mais un journal d’information », et rappelé la diversité du lectorat.
A vouloir toucher de l’électeur du Front national à celui de NPA, du souverainiste à l’abstentionniste, il semblerait donc difficile d’afficher clairement un positionnement politique… Ces propos n’empêchent pas de rester sur ses gardes. Dans un communiqué interne publié le matin même, la société des journalistes a réclamé « les mêmes garanties d’indépendance (charte de déontologie ; droit de véto de la rédaction sur la nomination du directeur des rédaction ; comité d’indépendance éditoriale) que celle accordée aux Echos au moment de leur rachat par LVMH en 2007″. Et estimé que « le rejet de ces propositions reviendrait à la mise en place d’un pôle presse à deux vitesses. »
La démarche a même été soutenue par leurs confrères des Echos, qui avaient précédemment obtenu ces mesures. Ils préféraient se prémunir de tout risque de conflit d’intérêt avec leur acquéreur Bernard Arnault, qui préside un des fleurons de l’économie française. Voire avec leur dirigeant à cette époque, Nicolas Beytout, un PDG politiquement très marqué depuis sa participation à la sauterie du Fouquet’s qui avait suivi l’élection de Nicolas Sarkozy le 6 mai 2007. A entendre Francis Morel, la problématique s’avérait essentielle aux Echos, « un journal qui parle des entreprises et appartenait désormais à l’une d’entre elles ». Or, en 2015, l’élaboration d’une charte éditoriale serait une dépense d’énergie inutile. Et c’est « chacun chez soi: les Échos aux Échos, le Parisien au Parisien. Ce n’est pas parce qu’il y a une charte là-bas qu’il doit y en avoir ici. »
« La direction sortante n’a cessé de nous dire que c’en serait fini du papier dans 10 ans »
Autre préoccupation, les éventuelles modifications dans l’organigramme du groupe de presse. Face aux salariés, Francis Morel a assuré que « l’équipe actuellement à la tête du journal restera intégralement en place, contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse. » Des titres auguraient par exemple le départ du directeur général Jean Hornain. Mais la seule éviction significative a concerné le service publicitaire. Marianne Siproudhis, qui présidait la régie commerciale, a été déchargée de ses responsabilités le 19 octobre dernier. Cependant, la sortie du directeur général, proche de l’ancienne propriétaire du Parisien-Aujourd’hui en France Marie-Odile Amaury, n’aurait pas forcément soulevé un tollé général, ses prises de position sur l’avenir du journal ayant laissé des traces. «
« La direction sortante n’a cessé de nous dire que c’en serait fini du papier dans 10 ans », explique Olivier Corsan. « Le nouveau président se dit, lui, convaincu de son avenir. Ça change. »
Le dirigeant a en effet annoncé au personnel préparer « une nouvelle formule du journal pour le printemps prochain » et vouloir « remonter la diffusion et gagner le combat de la vente en kiosques ». Une envie partagée par les équipes qui ont vu reculer les ventes de 20% depuis 2011, de plus de 7% depuis un an.
Les journalistes sont davantage en alerte sur les nominations qui pourraient intervenir dans la rédaction. Un sujet sensible, comme en témoignent les remous début octobre provoqués par l’éviction de Jannick Alimi de son poste de n°1 bis du service politique et son remplacement par Nathalie Schuck, reporter depuis 2008 en charge de l’Elysée et de Nicolas Sarkozy. Les membres du SNJ-CGT s‘étaient alors déclarés « frappés par la brutalité de la méthode dont on pensait qu’elle faisait partie des heures sombres du Parisien. (…) Est-ce un syndrome de « sauve qui peut » avant l’arrivée officielle d’LVMH dans nos murs ou bien cela se fait-il avec son assentiment ? », s’interrogeait le syndicat. Lequel craignait « que cet épisode opaque dans la décision et les motifs, ne reste pas seul en son genre. »
Depuis, le directeur de la rédaction, Stéphane Albouy, qui vient donc d’être confirmé par le nouveau PDG, a justifié sa décision devant le SNJ. Il a expliqué, selon cet autre syndicat, « avoir identifié avant l’été un manque de communication, de cohésion et de fluidité dans l’encadrement du service politique ». Et ajouté qu’« aucune réorganisation n'(était) programmée », tout en précisant « maintenir la ligne éditoriale telle qu’il l’a définie lors de sa prise de fonction. »
« La direction a ainsi clairement exposé son souhait que les plus jeunes restent. »
Mais une autre inquiétude pour les salariés du Parisien porte sur les conditions de travail. Jusqu’ici, Francis Morel a martelé un discours rassurant, comme sur France Inter le 12 octobre dernier . Il « s’engageait à ce que les effectifs restent quasiment les mêmes. (…) Imaginons que demain, la moitié de la rédaction s’en aille, ce serait très mauvais. » Sauf que la vente du journal a ouvert une clause de cession permettant aux titulaires de la carte de presse de partir dans de bonnes conditions. Les syndicats ont négocié une indemnité de licenciement allant de 1,1 mois par année d’ancienneté pour ceux étant dans la rédaction depuis moins de 5 ans à 1,5 mois pour ceux affichant plus de 15 années de présence.
« Le plan est plus favorable au départ des plus anciens, décrypte Olivier Coursan. La direction a ainsi clairement exposé son souhait que les plus jeunes restent. »
Pas seulement parce qu’ils représentent les salaires les plus bas, mais parce qu’ils seraient plus adaptés au virage numérique que le groupe LVMH compte faire prendre au Parisien:
« Certaines plumes de la rédaction n’écrivent pas une ligne sur le site, reconnaît un journaliste, il va falloir s’y mettre. »
Du côté syndical, le discours diffère un peu:
« La rédaction est consciente qu’il faut développer le web, en complémentarité et pas au détriment du papier, estime Olivier Coursan. Mais la rédaction a connu un plan de départs volontaires et a vu plusieurs projets avorter. Il faut des forces supplémentaires. »
Et le délégué SNJ de rappeler qu’« il y a 18 ans, 350 journalistes sortaient un journal 6 jours sur 7. En 2015, il en reste 300, dont 40 dédiés au numérique, pour publier un journal 7 jours sur 7. » Le Parisien n’a donc pas été épargné par la réduction des effectifs qui a frappé depuis 15 ans la presse dans son ensemble, alors que la production éditoriale a explosé.
Un déménagement en 2017
Mais la préoccupation majeure se place sur un terrain plus personnel. Car le nouveau propriétaire du groupe de presse va devoir libérer d’ici la fin 2017 les locaux, propriété du vendeur, le groupe Amaury. Un patrimoine immobilier aux portes de Paris qui serait déjà lorgné par pas mal d’acquéreurs potentiels. Le déménagement « aura lieu au deuxième semestre 2017 », a déjà annoncé aux équipes Francis Morel, qui « devrait avoir trouvé un lieu à l’été 2016. »
De nombreuses rumeurs sur la future implantation circulent, évoquant Clichy, Levalllois-Perret, Issy-Les-Moulineaux ou La Défense. Or, une partie des salariés s’est installée en fonction de la localisation à Saint-Ouen, privilégiant le Nord et l’Est de l’Ile-de-France. « Si Morel nous envoie à l’Ouest, c’est qu’il veut tuer Le Parisien« , pouvait-on entendre dans les couloirs après le réunion. Réponse dans moins d’un an.
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