Le Centre Pompidou inaugure son Nouveau Festival pour un mois de performances artistiques sans tabou. En vedette, Beaubourg-la-Reine (photo), le cabaret surréaliste d’un tandem excentrique : Sophie Perez et Xavier Boussiron.
On a encore dans les narines l’odeur âcre et tiède du crottin qui maculait le sol du Grand Palais. C’était pendant le mémorable Bartabas tabasse, la performance one shot conçue par Sophie Perez et Xavier Boussiron dans le cadre de l’exposition La Force de l’art 02, en mai dernier. Ils revenaient sur l’événement qui avait gâché les fêtes de fin d’année 2008 au ministère de la Culture, soit le remake de la mise à sac de la Drac Ile-de-France par un Bartabas hors de ses gonds après avoir appris que sa subvention ne serait pas intégralement reconduite.
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Trublions des plateaux au répertoire aussi baroque que singulier, chroniqueurs zélés des petits et grands bugs de la vie artistique française, Sophie Perez et Xavier Boussiron ne rechignent pas à s’aventurer hors des théâtres pour dynamiter aussi les territoires de l’art. Invités au Nouveau Festival, rendez-vous interdisciplinaire de la création contemporaine au Centre Pompidou à Paris, les voici placés aux avant-postes dans l’Espace 315, la galerie phare de l’institution.
Des artistes de tous poils vont y défiler dans un cabaret du nom de Beaubourg-la-Reine. Sophie Perez et Xavier Boussiron ont débarqué ici pour créer “une salle polyvalente, au sens noble du terme ; et aussi une sculpture qui rappelle l’architecture-enseigne du début du XXe siècle : le cordonnier habite dans une maison en forme de santiag, le vendeur de sandwichs dans une gargote en forme de hot-dog”. Pour affirmer leur qualité de saltimbanques, c’est très logiquement qu’ils ont fait construire une minicage de scène et l’ont surmontée d’un masque géant de la commedia dell’arte aux yeux vides et au nez en forme d’appendice turgescent.
C’est dans le capharnaüm de leur atelier parisien et devant la maquette de la “chose” qu’il font pour nous le point sur leurs activités et leurs parcours croisés. Après un prix de Rome en scénographie à 22 ans avec, à la clé, une résidence à la Villa Médicis, Sophie Perez fut l’assistante du décorateur d’opéra Carlo Tamisi durant trois ans : “un vieux de la vieille qui avait bossé avec Federico Fellini, Andrei Tarkovski et Giorgio Strehler. Puis j’ai travaillé avec le peintre Jean-Paul Chambas avant ma première expérience dans le milieu théâtral français : costumière sur une Orestie montée à Nanterre par des anciens du Groupe T’chan’G de Didier-Georges Gabily”. La mort de Gabily transformant le projet en hystériques séances de psychothérapie de groupe, l’image cauchemardesque de la nouvelle génération du théâtre français lui donne des envies de fuite. Un bad trip vite effacé via un détour par New York où, travaillant sur Roberto Zucco de Bernard- Marie Koltès, elle rencontre enfin d’autres acteurs. “Des mecs qui faisaient leur boulot sur le plateau” et qu’on voyait aussi dans les films d’Hal Hartley. C’est à Paris qu’on lui propose un jour de rencontrer le réalisateur. “Je me suis dit, je vais me faire chier, je n’ai rien à lui dire. Du coup, j’ai invité plein de gens et je ne lui ai pas parlé de toute la soirée ! (rires) Mais c’est là que j’ai rencontré Xavier…”
Ce soir-là, Xavier Boussiron rentrait d’une résidence à Los Angeles. “J’avais été engagé un peu par hasard par l’artiste Mike Kelley pour le 25e anniversaire de son groupe Destroy All Monsters. Ce qui était cohérent avec ce que j’avais fait jusque-là après ma sortie des Beaux- Arts : pas mal de musique (il a composé la musique du film d’Alain Guiraudie, Le Roi de l’évasion – ndlr) et, chaque année, des résidences entre le Mexique, le Lot-et-Garonne ou les Etats-Unis. La seule expérience de théâtre que j’avais, c’était roadie pour le Wooster Group et le metteur en scène Reza Abdoh, un an avant sa mort. Bosser avec eux, c’était quand même génial…”
De cette rencontre dans une fête naît une collaboration de près de quinze ans. Le premier acte fondateur en fut une adaptation pour le théâtre d’une méthode des années 30 pour apprendre à nager sans eau. Titrée Mais où est donc passée Esther Williams ? (1998), cette initiation au crawl qui nécessitait de vider les piscines fut créée à Dijon au festival Théâtre en mai, puis reprise à Paris Quartier d’été. S’ensuivirent quelques valeureux morceaux de bravoure tels Détail sur la marche arrière (2001), un hommage aux fins de soirées distordues dans lequel la troublante Marie France faisait une apparition remarquée en Marylin glamourissime, et Leutti (2002), rappel gourmand du bonheur des confiseries chères à l’enfance qui se terminait dans une mare de jelly rouge comme du sang. Premier passage à Beaubourg, programmé par Serge Laurent, avec Le Coup du cric andalou (2004) : la formule hésite, dans un pathétique foutoir, entre l’apologie du cabaret ou celle de la boîte à partouzes. Il était temps de passer au texte. C’est chose faite avec Laisse les gondoles à Venise (2005), gondolante adaptation de Lorenzaccio d’Alfred de Musset.
Puis ils rendent hommage à Louise Bourgeois avec Enjambe Charles (2007), après avoir rencontré l’artiste à New York pour lui présenter un tour de chant de Charles Aznavour. Enfin, ils revisitent Witold Gombrowicz, en concoctant un Gombrowiczshow (2008), succès damné de l’oeuvre du maître polonais servi bien frappé dans les fumées d’un gigantesque décor d’opérette.
Voici qu’ils changent de catégorie avec ce Beaubourg-la-Reine, scène ouverte en accès libre réunissant tous ceux qui ont compté pour eux durant ces quinze ans de provocations tous azimuts. Ainsi, de Philippe Katerine dessinant d’après modèle vivant à Marie France chantant Brigitte Bardot, d’Alejandro Jodorowsky se livrant à une conférence sur le cabaret mystique aux performeurs de Forced Entertainment transformant l’art des clowns en interrogatoire, c’est toute une galaxie artistique qui va se produire sur leur plateau masqué, au milieu d’un pot-pourri des temps forts de leurs spectacles.
“On aurait pu enquiller une nouvelle création trois mois après ça. Sauf qu’on a dit non artistiquement, même si financièrement, on n’est toujours pas conventionnés. On bouffe l’herbe, mais on a une sorte d’orgueil à vouloir bien faire les choses.” Revendiquant aussi de dire ce qu’ils pensent et de rire des fats et des présomptueux, Sophie Perez et Xavier Boussiron paient parfois les pots cassés de leur liberté de penser. Comme ce jour où, après dix ans de coproduction, la nouvelle codirectrice du Théâtre national de Chaillot, Dominique Hervieu, les débarque d’une phrase : “Je ne peux avoir dans mes murs quelqu’un qui ne défend pas mon projet…” Un licenciement sans préavis au prétexte de leur soutien affiché à l’ancien directeur Ariel Goldenberg sur une radio du service public.
Heureusement, il s’en trouve toujours pour apprécier leur humour, tel Jean Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point, pour lequel ils préparent une création en 2010, capable lui d’un généreux “On choisit avec qui on couche !” Aujourd’hui, Sophie Perez et Xavier Boussiron couchent avec le Centre Pompidou, gageons que ce sera pour le meilleur.
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