En mettant ses oeuvres directement en vente chez Sotheby’s le très côté artiste anglais a provoqué une petite révolution dans le monde de l’art contemporain. La fin du règne des galeries ?
Pari réussi : l’artiste anglais Damien Hirst a fait sauter le plafond des records de ventes chez Sotheby’s à Londres, où il a écoulé en deux jours 223 œuvres, toutes réalisées en 2008, pour des sommes ahurissantes : 88 millions de d’euros le premier soir, et un total final de 140,3 millions d’euros. Et ce n’est pas le krach financier de la banque Lehman qui a freiné la vente la plus insolente de ces dernières années. Car au-delà de ces chiffres qui témoignent de la florissante activité du marché de l’art, l’action de Damien Hirst a valeur de New Deal dans le système de l’art. Très simplement : au lieu de passer par ses deux galeries, la londonienne White Cube et la new-yorkaise Gagosian, l’enfant terrible des Young British Artists est allé mettre ses œuvres nouvelles en vente directe chez Sotheby’s.
Un système impossible en France, où les maisons de vente aux enchères ne peuvent écouler des œuvres n’ayant fait l’objet d’aucun achat préalable. Reste qu’en mettant fin au partage à 50-50 entre l’artiste et sa galerie, Damien Hirst risque de faire des émules dans la communauté artistique. On sait d’ailleurs que certains majors de l’art contemporain ont déjà largement renégocié leur quote-part : Cy Twombly chez Yvon Lambert, Richard Prince dernièrement, Hirst lui-même, sont montés à 70% des recettes pour l’artiste et 30% pour la galerie. Dans la foulée, les maisons de vente aimeraient se substituer aux galeries : ainsi Phillips de Pury a annoncé qu’elle représenterait désormais en exclusivité la photographe Annie Leibovitz. Cette renégociation explosive tient aussi à un autre facteur : à l’heure de l’industrie culturelle, les artistes contemporains les plus cotés sur le marché aujourd’hui sont souvent à la tête d’une véritable entreprise, ou agence : Hirst emploie 120 personnes dans un site industriel à Chelsea, Olafur Eliasson 80 personnes à Berlin, idem pour Jeff Koons à New York ou le Japonais Murakami et ses assistants-disciples. Dans cette économie, la galerie n’est plus qu’un intermédiaire, et non plus le premier soutien financier de l’artiste.
Reste que Damien Hirst jouait là un jeu dangereux : un échec aurait marqué une forte baisse de sa cote artistique. D’autant que les pièces mises en vente, toutes réalisées en 2008, ne sont pas loin d’être des répliques des œuvres majeures de Hirst réalisées dans les années 90, comme ces requins et autres vaches baignant dans le formol. Autant dire que ce boom financier dissimule une auto-dévaluation par Hirst de ses travaux précédents. Mais la morale de l’histoire est donnée par la pièce la mieux vendue de cet éclatant New Deal : un veau d’or, noyé dans le formol et surmonté d’une auréole à 18 carats.