Addiction, déprime, symptômes physiques : les jeunes utilisateurs de réseaux sociaux courraient de grands risques… Une vision plus alarmiste que scientifiquement fondée.
(Illustration : Hector de la Vallée)
Depuis des décennies, les passions émergentes des adolescents ont été diabolisées par les adultes. Après les comics dans les années 1950, le rock dans les années 1960, la télé dans les années 1970, les jeux vidéo encore aujourd’hui, c’est maintenant l’internet qui semble la source des maux de la jeunesse, et notamment les réseaux sociaux. Une étude récente de Microsoft montre que 67 % des internautes adolescents y consacrent la majorité de leur temps de surf. A l’occasion du Safer Internet Day 2009, dix-sept sites communautaires (dont Dailymotion, Facebook, YouTube, MySpace, les skyblogs…) ont pris les devants en promettant d’améliorer la sécurité des mineurs.
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Au-delà des prédateurs sexuels qui y rôderaient, de quoi accuse-t-on les réseaux sociaux ? On en deviendrait accro, et le temps qu’on y passe modifierait notre corps, notre cerveau, nos réactions… Une étude du département de psychologie de la State University de New York, parue en février, laissait entendre que les adolescentes devenaient plus inquiètes et déprimées quand elles discutaient excessivement en ligne de problèmes de coeur. Le même mois, un membre de la Royal Society of Medicine de Londres, le docteur Aric Sigman, annonçait que les sites comme Facebook tiendraient les gens éloignés les uns des autres, et que ce manque de relations physiques pourrait avoir des effets biologiques et ainsi accroître les risques de cancer, de crise cardiaque, de démence…
“Twitter donne le cancer” fut alors la blague circulant sur les blogs. Enfin, Lady Greenfield, professeur au Lincoln College d’Oxford, faisait une fracassante déclaration devant la Chambre des Lords : les réseaux sociaux infantiliseraient le cerveau. L’immédiateté des expériences prévaudrait sur les conséquences et sur la réflexion. Mais la rapidité de l’évolution des technologies et le manque de recul ne facilitent pas le travail des chercheurs et les études sérieuses sont rares.
Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, s’énerve de ces discours catastrophistes : “Ce n’est pas parce qu’on est dans l’immédiateté qu’on n’est pas dans la réflexion. Le seul danger de Facebook, c’est le renoncement à la vie privée. Le grand problème, c’est le temps d’écran total. Dans l’absolu, je ne vois pas pourquoi passer trois heures sur Facebook provoquerait des troubles de l’attention. C’est quand vous passez sept heures d’écran pour le boulot et trois heures pour le loisir que c’est plus problématique.” Parler de troubles de la concentration ne lui paraît pas plus pertinent : “Si vous avez l’attention complètement dispersée, l’internet peut la centrer sur l’écran. Ainsi, le net peut très bien être un espace de reconcentration pour les enfants dispersés. Qu’on les trouve dispersés après ne prouve pas qu’ils ne l’étaient pas avant.”
Elisabeth Rossé, psychologue, spécialiste des pratiques addictives à l’hôpital Marmottan, insiste sur le côté exceptionnel des cas de cyberdépendance et encore plus sur les addictions aux réseaux sociaux. Elle n’a jusqu’ici rencontré qu’une personne accro à Facebook. “Dans le cas des jeux en ligne, on partage des enjeux communs, on travaille ensemble, on trouve sa place dans un groupe. Sur les réseaux sociaux, l’intérêt est de se connecter ensemble et de partager ses goûts. Cela ne suffit pas à devenir vraiment accro.” Le caractère de mode relativise aussi le risque que pourraient présenter ces réseaux à long terme. “MySpace est déjà remis en question, Second Life aussi, et pourtant ils existent depuis peu de temps. Au bout d’un moment, les gens les délaissent parce qu’ils en ont fait le tour, ça ne les intéresse plus, sauf cas exceptionnels de folie”, explique-t-elle.
Aux Etats-Unis, la fondation Macarthur mène depuis trois ans une étude sur plus de mille jeunes gens. Responsable du projet, Mizuko Ito explique que “des mythes circulent sur le temps que les jeunes passent en ligne, que ça serait dangereux, les rendrait paresseux. Nous avons trouvé que passer du temps en ligne est essentiel et permet aux jeunes gens de trouver les compétences sociales et techniques pour devenir des citoyens compétents de l’ère numérique.” Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont un outil incontournable de la communication et de la socialisation des jeunes. Et leurs risques ne sauraient être évalués sans leurs apports.
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