Le 26 mars, le relais de la torche olympique débutera au J-Village, situé dans la préfecture de Fukushima, à une vingtaine de kilomètres de la centrale nucléaire accidentée. Neuf ans après la triple catastrophe, les communautés locales qui sont toujours en voie de reconstruction, trouvent qu’il est encore un peu tôt pour faire la fête.
“J’adore les jeux, je regarde chaque édition avec beaucoup de plaisir mais cette année, je ne serai pas euphorique, promet Akihiro Yoshikawa, ancien employé de Tepco, opérateur de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Je ne me sens pas à l’aise avec l’idée de fêter le sport alors que la reconstruction de notre lieu de vie n’est réalisée qu’à 50 %”. Neuf ans après la triple-catastrophe, Akihiro Yoshikawa est revenu vivre dans le secteur lorsque la zone d’évacuation et d’interdiction à résidence a été réduite. “En tant qu’ancien travailleur de Tepco, je me sens en partie responsable de tout ce désastre alors j’ai à cœur d’œuvrer pour la région désormais. Il faut continuer de réparer.” Selon ses estimations, “les problèmes de décontamination ne seront pas réglés avant au moins 30 ans.”
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Le 26 mars, c’est dans la zone qui jouxte la centrale de Fukushima que débutera le relais de la torche olympique. Le gouvernement japonais souhaite profiter des JO 2020, baptisés les Jeux de la Reconstruction, pour fêter la renaissance de cette partie du Japon. En quittant l’enceinte du J-Village pour entamer sa course dans différentes villes de la préfecture de Fukushima puis du Tohoku, la torche traversera notamment les communes de Naraha et d’Hirono et passera juste devant le café de l’école Futaba Mirai Gakuen, symbole de la revitalisation. “Le monde va alors voir notre réalité”, explique Ippei Nango, proviseur adjoint de l’établissement.
Ceux qui ont été irradiés
Situé à moins de 10 kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, le Futaba Mirai Gakuen, le “collège-lycée du futur”, a été inauguré en 2015. Système éducatif novateur et une section Sports, en particulier Badminton, réputée dans tout le pays, ont attiré près de 600 élèves à la dernière rentrée. “Les enfants qui viennent ici sont souvent de retour, avec leurs familles, après avoir vécu le pire, rappelle Ippei Nango. Nous les accompagnons du mieux possible car ils ont besoin d’attentions particulières. Nous les encourageons à s’exprimer mais aussi à s’investir dans des projets citoyens pour participer à la reconstruction de la zone. Les communautés locales doivent encore relever tant de défis et de challenges : la jeunesse, c’est notre espoir.”
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Une reconstruction matérielle mais aussi morale. Nombreux sont les élèves de la Futaba Mirai Gakuen qui ont souffert de discriminations, lorsqu’ils ont dû évacuer leurs foyers pour s’installer, en état de choc, dans d’autres villes ou préfectures au lendemain de l’accident. Ils étaient les jeunes de Fukushima, ceux qui ont été irradiés, moqués par leurs camarades. “Nous leur enseignons à expulser leurs émotions mais aussi la tolérance, la lutte contre toutes les discriminations à travers le théâtre et des ateliers-débats.” Un système éducatif unique au Japon où, traditionnellement, les enfants ne sont pas invités à développer un esprit critique dans le cadre de leur scolarité.
Malgré ces infrastructures toutes neuves et les nombreux atouts du collège-lycée, l’établissement peine à recruter. La raison à cela ? Sa proximité avec la centrale. “Les stigmates de l’accident nucléaire restent coriaces, explique-t-il. Les parents sont toujours réticents à scolariser leurs enfants dans la région…” Et sur ce dernier point, il ne les blâme pas. Si Hirono, la ville où se trouve le collège, reprend vie, l’atmosphère de ville fantôme reste tenace. “Il faudra bien au moins plusieurs décennies avant de pouvoir parler décemment de reconstruction”, reconnaît le proviseur adjoint.
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Kana, Haru, Sakura et Yuuka, âgés de 15 et 16 ans, ont peu d’intérêt pour cette fête qui va se jouer devant leur école. Sakura affirme d’emblée qu’elle n’ira même pas regarder la torche passer. “Nous savons que les gens s’inquiètent pour les taux de radioactivité, souligne Yuuka. Je vis à Naraha avec ma famille et nous ne nous sentons pas en danger, nous aimerions que l’image de notre région change et que les noms de nos villages ne soient plus associés à cet accident.”
“Des cobayes humains”
En mars 2011, ce sont sept municipalités qui ont été évacuées. Aujourd’hui, Futaba et Namie restent des « zones interdites de résidence ». Les ouvriers continuent de démolir bâtiments et maisons rendus inhabitables par la radioactivité. Ils prélèvent également des couches de terres avant de les placer dans des sacs noirs qui seront confinés, en attendant de pouvoir être traités.
Résidents à Iitate, Nobuyoshi Ito, Jun Nakamura et Kazumasa Aoki, mesurent régulièrement les taux de radioactivité dans les sols et dans l’air au sein d’une ONG qu’ils ont fondée après 2011. “Des prélèvements de terre réalisés en 2019 et 2020, à 69 endroits, le long de l’itinéraire du relais de la torche, ont démontré que 43 d’entre eux présentaient des taux de radioactivité intenses : à Iitate, parfois sept fois plus élevés que le taux limite, détaille Nobuyoshi Ito. On nous parle de reconstruction mais c’est encore trop tôt : en tant que résidents, nous avons l’impression d’être des cobayes humains.”
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